« Entre conversation et imagination »

Lorsque mes filles avaient 16 ans, des amies leur ont demandé d’être les marraines de leurs futurs enfants. Quelle fierté et quelle joie de se voir confier une telle responsabilité à un âge où on doute si souvent de soi-même. Au fil du temps ce choix se révèle toujours aussi positif, tant pour les marraines que pour les filleules. Cela me donne aussi parfois un avant-goût du rôle de grand-mère.
L’été dernier, j’ai emmené les deux petites filleules de mes filles, sept ans, voir un spectacle organisé par leurs marraines. Elles s’étaient déjà rencontrées, mais se connaissaient peu. Nous avions près d’une heure de route à faire. Durant le trajet de l’aller elles m’ont incluse dans leurs conversations, elles ont trouvé que le trajet était long et que la route sinueuse leur donnait mal au cÅ“ur. J’ai tenté de les distraire et nous avons discuté de sujets forts variés tels que la dureté du régime politique en Corée du Nord (l’une des petites revient d’un long séjour à Séoul), du type d’éducation donnée par leurs parents et des «amoureux» de leurs marraines. Nous avons aussi fait un concours de décompte des vaches afin de tenter de juguler le
mal de cœur.
Heureusement le but du trajet, voir un spectacle et rencontrer leurs marraines tant aimées, valait le déplacement!
Après la représentation, puis un bon repas qui leur a permis de faire mieux connaissance, le sujet de leurs conversations sur le chemin du retour avait totalement changé. Elles m’ont complètement oubliée et ont discuté entre elles. C’est ainsi qu’elles se sont posées la question sur la possibilité d’avoir des déguisements aussi beaux que ceux du spectacle. La petite, dont la marraine avait cousu les costumes, ne cachait pas sa fierté, mais estimait que son amie avait aussi ses chances. Leurs robes de rêve pouvaient être blanches ou
noires, les deux couleurs étant élégantes, les épaules devaient rester nues avec un système d’attaches sophistiqué. L’une voulait une robe longue derrière et courte devant, donc en diagonale dit l’autre…
J’étais sous le charme de cette conversation tellement féminine où la fantaisie tenait un rôle si important.
Lors du voyage un orage éclata entraînant une luminosité très particulière et un superbe arc-en-ciel. Je ne pus m’empêcher de m’immiscer dans leur conversation pour le leur faire remarquer. Mon intervention ne les a pas sorties de leur monde, au contraire. L’une a suggéré que l’arc en ciel servait de moyen de communication aux anges entre le ciel et la terre, sous forme de toboggan à la descente et d’échelle à la montée… Je ne me rappelle pas de tous les détails de leur discussion, mais quelle imagination et quelle poésie!
Contrairement à l’aller nous étions toutes trois presque déçues d’être arrivées à bon port. Il n’avait plus été question ni d’ennui, ni de mal de cÅ“ur. Grâce à ces trajets je me suis plongée dans le monde magique des enfants de sept ans, entre premier degré et merveilleux, mais dans lequel la complexité du monde des adultes commence à être perceptible.
Je ne me rappelle pas avoir vécu des moments aussi délicieux avec mes enfants, bien que je me sois souvent retrouvée avec cette distance entre le conducteur et les enfants sur le siège arrière, qui fait oublier notre présence.
Etait-ce dû à ces deux petites filles, au coucher de soleil magnifique ou est- ce moi qui ai changé?
Je penche pour la troisième solution. Mes amis devenus grands-parents me disent souvent combien ils apprécient d’une manière toute particulière les petites perles et les moments de tendresse partagés avec leurs petits enfants. Je suis probablement sur la voie de devenir grand-mère, bien que cela soit encore un peu tôt actuellement.


Laurence - 2009