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La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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Conversations à table

Les repas ne sont-ils pas les événements principaux de la vie domestique ? C'est alors que se retrouvent les membres dispersés de la famille, c'est alors que les coeurs se réchauffent, que les langues se délient, qu'en bien ou en mal on se dit ce qu'on pense et qu'on laisse percer les traits dominants de son caractère. De quelle importance ne seront donc pas, pour notre propre éducation et celle de nos enfants, les conversations que nous tiendrons ou tolérerons pendant ces précieux moments ! N'est-il pas vrai que nulle part nous n'exerçons une influence aussi profonde sur les petits, que nulle part ceux-ci n'ouvrent d'aussi grandes oreilles que lorsque nous mangeons et buvons ensemble ?...

Il est utile, nécessaire même que devant nous les enfants usent de leur langue. Elles ont passé, les vieilles moeurs d'autrefois, à teneur desquelles garçons et filles devaient ne pas souffler mot pendant les repas et ne parler que pour répondre. Quelques familles imposent encore le silence absolu aux jeunes. Certes, cette austérité vaut mieux que le sans-gêne avec lequel des enfants interrompent leurs parents, poursuivent leurs contestations bruyantes pendant que les grandes personnes ne s'entendent pas. Quelque retour au bon vieux temps ne ferait pas de mal, lorsqu'on voit les enfants prendre ou tenir le dé de la conversation, lancer leurs questions insignifiantes ou hors de saison à travers des entretiens intéressants, élever leurs voix aiguës jusqu'à ce qu'ils aient le dessus.

Mais le silence offre de graves dangers. Car, il ne faut pas se le dissimuler, quantité d'enfants ne demandent pas mieux que de se taire; certaines natures paresseuses, renfermées, égoïstes trouvent commode de laisser tenir à d'autres les premiers rôles; on n'en pense pas moins, surtout on n'en juge et critique pas moins dans son for intérieur. Tout ce feu, ou tout ce fiel qui s'amasse, nuit à la santé de l'âme; ces silencieux, de petite ou de grande taille, répandent une impression de malaise sur les réunions de famille, et l'embarras qu'ils produisent réagit sur eux en un sens défavorable. Aux parents à observer, à guetter dès l'enfance ces êtres à nature sensitive et qui ne demanderaient que quelques chauds rayons, quelques paroles d'encouragement pour s'épanouir. Craignons que ces taciturnes ne s'habituent à se replier, à se hérisser, à s'emprisonner; toutes ces forces contenues risquent de faire explosion; il faudrait solliciter à parler ces enfants qu'on connaît si peu, quoiqu'ils vivent près de vous. Cherchons les sujets qui les intéressent, si puérils qu'ils nous paraissent; ils ont probablement leurs marottes innocentes: quel mal y aurait-il à les faire causer sur leurs points favoris ? Celui-ci a la passion des tramways: parlons tramways. Cet autre aime collectionner, n'importe quoi: parlons-lui de ses collections. Jeanne a l'amour des chats: qu'elle nous en conte sur ses chats ! Il se pourra que les pauvres enfants aient quelque peine à se décider; voyez comme ils rougissent à la mention de tel objet favori! Ils font la moue, ils ont peur que frères et soeurs ne s'amusent à leurs dépens, et, en effet, des sourires malins se dessinent déjà sur les figures rieuses. Oh ! que les parents se hâtent d'intervenir, qu'ils montrent que tout les intéresse: chats, tramways et le reste. Qu'ils rassurent tous ces petits timides; qu'ils songent au prix de ces mille et une confidences d'enfants; qu'ils se gardent de fermer ces jeunes bouches par des sentences de plomb ou des railleries qui déchirent, car l'amour propre n'attend pas les années pour sentir les blessures. Maint enfant s'est promis dès ses premiers ans de garder pour lui ses sentiments et ses goûts plutôt que d'être à table la risée des siens.

A tout prendre, mieux vaut que les enfants parlent trop que pas assez; mieux vaut qu'ils déraisonnent à haute voix que de serrer les lèvres sans bénéfice pour leur intelligence ni leur conscience. Au moins vous saurez, vous, parents, ce qu'agitent ces jeunes têtes; la sagesse ne parlera pas par leur bouche, les questions oiseuses succéderont aux questions oiseuses, mais vous pourrez juger de quel côté se dirigent les sympathies et les antipathies de vos enfants. Ils n'auront pas besoin alors de vous être présentés, ils se seront présentés tout seuls. Sous le régime de sage liberté auquel vous les aurez habitués, ils auront pris goût à penser tout haut; vous les connaîtrez sans qu'ils aient à remplir de formulaire. Les connaissant, vous pourrez aussi rectifier leurs idées soit sur les gens, soit sur les institutions. Vous leur montrerez qu'ils jugent souvent d'après les apparences, qu'ils n'ont entendu qu'une cloche, que ce qu'ils estiment évident est précisément ce qui est en question. Vous ferez la guerre à ce malheureux "tout ou rien" qui paraît le comble de la sagesse aux commerçants. Ce qui ne signifie pas, on le devine, que les parents doivent suivre les enfants raisonneurs à travers tout le dédale de leurs objections et de leurs pourquoi.

L'art de diriger les conversations, de brider les langues n'est pas encore l'art qui importe le plus à des parents soucieux d'élever dignement leurs enfants. Nous remplissons une mission éducatrice autrement grave par les conversations que nous tenons nous-mêmes en leur présence.

Les enfants senteut que c'est de l'abondance du coeur que notre bouche parle; nous prêchons par le fait même que nous ne songeons pas à prêcher.

Ils sont terribles les enfants, terribles pour deviner, comprendre à demi-mot, terribles pour écouter sans en avoir l'air, emmagasiner nos réflexions, qu'ils reproduisent à quelques semaines d'intervalle, terribles également par la confiance illimitée qu'ils ont en nos jugements. Avec quelle passion n'épousent-ils pas nos préjugés politiques et religieux ! Nous sommes confus de retrouver vivantes chez eux des irritations contre telles nations, telles églises ou sectes, telles classes de gens que nous avions exprimées dans un moment d'humeur. Nos griefs ont germé dans leur esprit; nous avons semé de l'ivraie sans le vouloir, et une triste moisson de soupçons, de défiances lève sur ces terres neuves. Que le père traite dédaigneusement quelqu'un d'épicier, que la mère compare certaines personnes à des lavandières, voilà les épiciers et les lavandières désormais classés et tenus en mince estime, sans qu'on sache pourquoi. Heureux encore sommes-nous lorsque nos enfants ne nous citent pas en toutes lettres, car nous sommes pour eux des oracles, surtout lorsque nous maugréons et condamnons. "Mon père l'a dit:" il n'en faut pas davantage pour satisfaire ces petits, et ils iront rapporter à leurs camarades, qui les rapporteront à leurs parents, les opinions peu mesurées, trop sommaires que nous avons énoncées sur les gens et les questions à l'ordre du jour.

Nos propos se colportent de maison en maison, nos secrets se divulguent. Ainsi naissent des susceptibilités et des brouilles, ainsi se fomentent des curiosités malsaines. Ce que nous craindrions que nos enfants répétassent, abstenons-nous de le dire ou mesurons nos termes avec soin. (A suivre).









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