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Le nouveau moyen d'Henri
Clara s'amusait royalement. Elle avait affublé son chien du plus beau chapeau de sa mère et riait follement de l'air malheureux de Fido qui faisait les efforts les plus comiques pour se débarrasser de cette coiffure inaccoutumée. Soudain la mère de Clara entra et ne parut pas enchantée du tout de ce divertissement. Au contraire, enlevant promptement le chapeau de la tête du chien, elle dit d'un ton de reproche: Oh! Clara, comment as-tu pu faire une chose pareille ? je suis sûre que tu ne rirait pas autant si Fido avait abimé ton propre chapeau.
- Mais il était si drôle que je ne pouvais pas m'empêcher de rire.
- Si tu étais une maman tu n'aimerais pourtant pas que ta petite fille fût aussi peu soigneuse de tes affaires, n'est-ce-pas ?
Une question s'échappa aussitôt de la bouche de Clara:
- Quelle espèce de petite fille étais-tu, dis, maman?
Prise au dépourvu, Madame Forin répondit en soupirant:
- Une petite fille à peu près comme toi.
- Alors, est-ce que je suis mauvaise parce que toi tu l'étais?
- Un peu, certainement.
- Donc, tu ne devrais pas me gronder, ni me punir puisque c'est ta faute.
La logique de l'enfant semblait irréfutable. Que répliquer? Après un moment d'hésitation Madame Forin attira sa fillette sur ses genoux et lui dit avec tendresse :
- Quand j'étais petite, personne ne m'a dit que plus je serais sage plus mes enfants le seraient; si je l'avais su j'aurais toujours voulu faire ce que j'aimerais que tu fisses toi-même.
- Oui, mais tu ne savais pas que tu aurais une petite fille et moi non plus je ne sais pas si j'en aurai une.
- C'est vrai, seulement si j'avais songé que je pourrais en avoir une, j'aurais été meilleure en pensant à elle, et maintenant elle aussi serait plus sage et plus heureuse.
- Je comprends et il me semble que si je pensais à cela il y a une foule de vilaines choses que je ne ferais pas. Je veux essayer !
La conversation en resta là et Madame Forin s'imagina que Clara l'avait oubliée. Bien au contraire; elle pesait dans son petit cerveau cette nouvelle idée destinée à transformer sa vie et qui semée par elle dans un sol fertile y porta aussi des fruits. Ce même jour un petit garçon vint jouer avec elle. Comme il trichait, Clara offusquée s'écria:
- Comment peux-tu agir ainsi ? Tu ne voudrais pas que ton petit garçon fût un tricheur !
- Que veux-tu dire ?
- Maman dit que nos enfants auront moins de peine à être sages si nous le sommes nous-mêmes.
- Quelle idée ! je n'en crois rien.
- C'est pourtant vrai; maman dit toujours la vérité et elle est bien fâchée de n'avoir pas su ça quand elle était petite. Cela m'aurait aidée à être sage et maintenant je veux essayer de faire tout-à-fait comme je voudrais voir faire à ma petite fille.
- Et moi aussi, je penserai à mon petit garçon.
Sur cette nouvelle base de conduite les enfants continuèrent leur jeu.
Quelques jours plus tard, en se mettant au lit Henri demanda qu'on laissât sa porte ouverte afin d'entendre rentrer son père parce qu'il avait quelque chose à lui dire. Un pas d'homme retentir bientôt dans le vestibule et Henri s'écria: "Viens ici, papa, je veux te parler." Le père répondit volontiers à cet appel.
- Papa, dit l'enfant avec beaucoup de sérieux, j'ai trouvé le moyen d'être sage et je veux te le confier: c'est de faire toujours ce qu'on veut voir faire à son petit garçon.
As-tu remarqué que maintenant j'essaie de ne plus faire de bruit en fermant les portes?
- Non, mais je me rappelle pourtant que tu as été plus sage ces jours-ci.
- Eh bien, je vais te dire pourquoi : J'ai pensé que si je rentrais bien fatigué à la maison je n'aimerais pas entendre mon petit garçon frapper les portes. C'est aussi pour cela que j'ai apporté chaque soir tes pantoufles avant d'aller me coucher. J'ai aussi pensé à être gentil avec maman, comme j'aimerais que mon petit garçon soit gentil. C'est bien facile de comprendre ce qu'on doit faire quand on a cette idée. Et j'ai pensé que toi qui dis souvent que tu ne sais pas comment faire tu serais content de connaître mon nouveau moyen.
Le père dit affectueusement bonsoir à l'enfant dont l'enthousiasme l'amusait. "C'est un drôle de petit bonhomme", pensait-il. Mais pendant la soirée les paroles qu'il venait d'entendre lui revinrent à l'esprit ainsi que l'ardeur que soit fils avait mise à lui communiquer le moyen de devenir meilleur; et le souvenir de certaines fautes d'autrefois lui fit désirer de l'avoir connu plus tôt.
Cependant il paraissait avoir tout oublié le lendemain matin, jusqu'au moment où sortant de chez lui, il chercha dans sa poche son cigare habituel. Au même instant Henri arriva en courant jusqu'à la porte, agita sa main en signe d'adieu et cria gaîment: "Papa, est-ce que tu essaieras aujourd'hui mon nouveau moyen ?"
A ces mots, Mr Girard, laissa son cigare dans sa poche car il savait bien qu'il n'aimerait pas que son fils fumât. En descendant la rue, il fut accosté par un ancien ami:
- Salut, Girard ! il y a une, éternité qu'on ne vous a vu ! Venez prendre un verre avec moi, en souvenir du bon vieux temps.
- Merci, dit Mr Girard. Et il allait accepter l'invitation lorsque la figure de son cher Henri se présenta à lui. "Je ne voudrais pas que mon garçon aimât à boire", pensa-t-il. Aussitôt il eût l'idée de se dérober par un subterfuge mais cette fois encore cette réflexion traversa son esprit: "J'aimerais que mon garçon eût le courage de son opinion." Aussi répondit-il franchement:
- Merci, mais les hommes d'affaires ne peuvent pas faire un bon travail avec des nerfs excités par l'alcool. Faisons quelques pas ensemble en causant; cela vaudra infiniment mieux.
- Vous avez raison, Girard. Je voudrais avoir votre courage, je serais meilleur et mes enfants aussi.
Pendant la journée, Mr. Girard absorbé dans son travail ne pensa guère au nouveau moyen d'Henri; mais vers le soir une terrible tentation vint l'assaillir: il lui suffiusait d'un trait de plume mensonger pour gagner une très forte somme. Il avait besoin de cet argent; pas ponr lui-même, oh! non, mais pour donner plus de confort à sa chère femme, une instruction complète à son garçon, son beau, son bien-aimé garçon. Tout d'un coup cette pensée jaillit dans son esprit: "Je ne voudrais pour rien au monde que mon fils accomplit cet acte d'improbité, dût-il pour obéir à sa consience n'avoir pour vivre que le strict nécessaire. Mr . Girard laissa tomber sa plume, la tentation s'évanouit et tandis qu' une sueur froide couvrait son front en songeant au crime qu'il avait été si près de commettre, il bénit Dieu du fond du coeur pour le nouveau moyen d'Henri.
Ce soir-là encore le garçon attendait soit père et l'appela dès qu'il l'entendit:
Papa, as-tu essayé aujourd'hui ?
- Oui, mon enfant, dit tout bas Mr Girard, en l'embrassant.
- C'est un joli moyen n'est-ce-pas ?
- C'est un moyen magnifique, mon garçon.
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