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L'entêtement
La scène se passe dans le salon étroit de jeunes bourgeois aisés. Ceux-ci accueillent l'ami qui vient d'entrer par ce cri:
- Ah ! monsieur, nous sommes si désolés !
- Un malheur est-il arrivé à votre fils ?
- Un malheur ? Peut-être qu'un accident... pas trop sérieux... vaudrait mieux pour lui que cette manie dont il est affligé.
- Quelle manie ?
- Monsieur, imaginez-vous que nous voudrions faire de notre fils un docteur, et qu'il ne veut ni suivre sérieusement les cours, ni faire raisonnablement ses devoirs. Il barbouille ses livres de dessins, de couleurs, que c'est à en pleurer !
- Sont-ils grossiers, ces dessins ?
Après un silence .
- Oh ! non, monsieur; quoique âgé de douze ans seulement c'est étonnant ce qu'il produit. Voyez ce cheval fougueux, ce clairon sonnant la charge ! Il croque une vieille marchande des quatre saisons en un tour de crayon. C'est merveilleux, mais ce n'est pas avec tout cela qu'il deviendra un savant médecin.
- Mes amis, votre fils possède un talent que bien des parents voudraient acheter pour leurs enfants. Pourquoi vouloir lui en donner un autre de force ? Toutes les carrières peuvent conduire à la fortune, celle de peintre aussi bien que celle de savant, et tous les talents ont leur utilité, leur raison d'être. Croyez-moi, la sagesse consiste à perfectionner dans nos enfants les dispositions naturelles qu'ils possèdent déjà.
- Il est si jeune, monsieur, qu'on ne peut guère savoir si...
- Y a-t-il longtemps qu'il s'entête à ne faire que du dessin ?
- Il s'y entête depuis qu'il sait tenir un clou. Tout petit, il vous faisait des bonshommes sur la terre, les meubles, les murs... et son entêtement, car c'est vraiment un entêtement, vous l'avez dit, son entêtement nous a causé beaucoup de peine.
- Hé ! vous devriez en remercier Dieu. Les grands succès sont le résultat d'un entêtement bien entendu. Elles sont peu communes les découvertes, fruits du hasard. Elles sont souvent le fruit d'un labeur persévérant, et d'un entêtement exclusif, si je puis ainsi m'exprimer.
L'entêtement de Colomb est historique, celui de Palissy, celui de Jacquart, celui de Denfert-Rochereau, celui de Pasteur et celui d'Edison et j'ai la conviction que Delagrange et Farman, qui aujourd'hui travaillent à trouver un aéroplane pratique, sont deux grands entêtés.
Vous aimez votre Bible, et jouissez avec délices de toutes ses beautés; ses promesses vous sont précieuses; ce qu'elle vous a donné déjà de consolations, de joie est inappréciable; mais vous en devez la possession, après Dieu, aux deux plus grands entêtés docteurs de leur temps: Luther et Calvin.
- Vous nous dites là des choses étranges...
- Mais vraies...
Il faut aimer à voir de la volonté chez nos enfants.
Avec l'aide du Seigneur, essayons de diriger cette volonté exclusivement vers le bien, et ces enfants volontaires deviendront de grands caractères.
Or, c'est de grands caractères que Dieu a besoin aujourd'hui.
Des girouettes, des hommes de paille, de pauvres cervelles légères qui tournent à tout vent de doctrines, des chrétiens tout en surface, à la foi mal assise... Hé ! qu'est-ce que le Maître peut faire d'instruments pareils ?
Donnons-lui des coeurs fermes, des hommes comme des murailles, qui savent ce qu'ils veulent, d'où ils partent et où ils vont.
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