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La Fabrique. Réflexions d'une Maîtresse d'école

J'arrivai devant la grande fabrique d'horlogerie.

"La fabrique !" Que de fois je l'ai entendu mentionner dans mes visites De combien de soupirs, de combien de chutes n'a-t-elle pas été cause ! C'est l'habitude, hélas ! d'envoyer dès l'âge de douze ans les fillettes à la fabrique. Elles y gagnent leurs 12 francs par mois comme commissionnaires, quelquefois leurs 15 francs, c'est vrai; mais elles y gagnent en même temps, par le contact avec des jeunes filles plus âgées qu'elles, la connaissance de bien des choses mauvaises qu'elles devraient ignorer et le goût de courir, de bavarder et de s'amuser d'une manière très peu convenable. Peu de parents semblent s'en apercevoir, et pourtant combien de jeunes filles déroutées par ce genre de vie si nouveau pour elles au sortir de l'école! La semaine dernière encore, j'en parlais à Mme Giraud, sur le point de placer son enfant à la fabrique: "Ah ! Mlle Marie, m'a-t-elle dit, vous ne pouvez pas comprendre, vous, combien les 15 francs de la petite me seront utiles avec ce loyer qui court toujours, que le père travaille ou qu'il ne travaille pas!"

Tout cela est vrai, je le sais; mais telle autre mère de ma connaissance eût pu en dire long à Mme Giraud sur les soucis, les inquiétudes et même sur les gros chagrins, que ces 15 francs gagnés dans la fabrique avaient introduits dans sa famille.

Tout à coup, la porte d'une petite salle de rafraîchissements s'ouvrit et livra passage à une dizaine d'ouvrières qui avaient profité d'un quart d'heure de répit pour aller prendre une tasse de café. Je m'arrêtai un instant pour les voir passer et saluai deux ou trois d'entre elles, mes anciennes élèves, maintenant ouvrières de 16 à 20 ans. Les coiffures prétentieuses, les toilettes tapageuses, mais aussi les visages pâles, étirés et flétris, se succédaient rapidement devant moi. Etaient-ce bien là mes petites élèves d'autrefois ? Le bon goût et la simplicité sont-ils donc choses inconnues des jeunes filles de nos jours ?

Je sais qu'elles gagnent jusqu'à 2 ou 3 francs par jour, et se croient le droit d'en dépenser plus de la moitié pour leur toilette. Mais ces toilettes, elles me dégoûtent, elles me font horreur, quand je pense aux petits frères et soeurs de ces jeunes filles, qui se rendent à l'école en tabliers usés, en chaussures percées, sans châle ni manteau, même pendant les mois les plus rigoureux de l'hiver ! N'est-ce pas un sujet de pitié ou de honte de voir que nos jeunes filles, même honnêtes, craignent de se singulariser en ayant une tenue plus simple et plus convenable que leurs compagnes ?

Là encore, chères mères de famille, à qui la faute ?

N'est-ce pas vous qui, trop souvent, avez encouragé, excité même, chez vos filles, le goût de la toilette ? N'est-ce pas vous qui les avez aidées à se déclasser ? Voulez-vous savoir qu'elle en sera la conséquence presque inévitable ? Ce sera celle-ci: un jour elles auront honte de vos vêtements trop simples, elles auront honte de votre beau nom d'honnêtes ouvriers, elles auront honte de vous, leurs pauvres et trop faibles mères, et elles ne voudront plus se montrer dans la rue avec vous ! Cela s'est vu cent fois, et cela se verra aussi longtemps que des mères insensées encourageront leurs filles dans cette folle voie.

Jeanne Rouge marche en tête. Autrefois c'était une enfant adroite et serviable, mais aujourd'hui elle refuse à sa mère de lui aider à peler les pommes de terre ou à laver la vaisselle, de crainte de "gâter ses mains." Puis voilà Julie Mockli qui, allant passer quelques semaines dans un établissement de bienfaisance à la campagne, s'est fait accompagner par sa mère pour porter son sac. Mademoiselle Julie n'aurait pas pu le porter elle-même, c'eût été trop humiliant ! Qu'auraient dit ses compagnes, si elles l'avaient rencontrée chargée de ce sac fané et démodé! Derrière elle, Marie Détraz se presse, essoufflée, haletante car la cloche a sonné; mais comment courir quand on porte un costume aussi incommode, une robe aussi serrée, des bottines aussi étroites, munies de talons si hauts et si pointus ? Elle me dépasse; son souffle est court, sa taille est étranglée, soit visage empourpré. Pauvre Marie ! Elle souffre toujours de la tête, mais qu'y a-t-il là d'étonnant ? Il n'y a pas de santé capable de résister aux efforts de cette jeune fille pour paraître autre que la nature ne l'a faite.

Mais, de l'autre côté de la rue, voici venir Anna Morand, tenant par la main le petit garçon de ses maîtres. Elle porte une robe utile très bien faite et un tablier blanc parfaitement propre; tout en elle respire la santé et le bonheur. C'est une jeune fille qui a du bon sens et de l'indépendance de jugement, que cette Anna Morand; preuve en soit la fermeté de caractère qu'elle montra lorsque, à l'âge de seize ans, elle se décida à entrer en service. Ses amies se récrièrent: "Entrer en service, obéir à Madame faire la cuisine, brosser les souliers, récurer les planchers, travailler comme une esclave, ne pouvoir pas sortir quand ou veut, être tenue à l'attache du matin au soir et tout cela pour ces malheureux vingt francs par mois ! N'est-ce pas une pitié, une misère ?"

Quant à moi, je comprenais Anna Morand et je l'estimais à cause de sa résolution et de son courage. Il y a de l'héroïsme chez cette brave et vaillante fille. Elle réussira et fera honneur à sa famille, soyez-en sûrs !

"Et tu es toujours contente, Anna ?" ne puis-je m'empêcher de lui dire: "Tu n'as pas de regret de t'être décidée à aller en service quand tu vois tes amies entrer à la fabrique?"

"Les premiers mois, je leur enviais bien leur liberté du dimanche et aussi... " Anna rougit et hésita: "et aussi... un peu leurs toilettes; mais maintenant je n'y pense plus. J'ai bien d'autres avantages; je n'ai jamais été mieux portante et je suis très heureuse chez mes maîtres, ils ont augmenté mes gages, et j'ai déjà des économies à la Caisse d'épargne.









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