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L'Education des Sens (suite)
Lorsque l'on accuse les sens d'être les auteurs de la plupart de nos tentations, les pièges dans lesquels nous tombons le plus souvent, on donne au mot sens une extension peut-être excessive, on lui attribue la signification de sensualité. Néanmoins, en vertu de la définition même que nous avons proposée du mot sens, il n'est pas inexact de dire que ces sens, nos moyens de contact avec l'extérieur, sont aussi la cause première de beaucoup de tentations. Il n'est, hélas ! que trop facile de constater l'effet désastreux des images obscènes ou des publications immondes qui frappent nos yeux. Nos oreilles elles aussi peuvent être des facteurs de démoralisation.
La convoitise, le vol, la gourmandise naissent le plus souvent d'impressions produites sur nos sens.
Mais alors, dira-t-on, bien loin de travailler à développer ces sens, à multiplier et à perfectionner ces impressions, il faut les détruire, les annihiler. C'est le raisonnement de tous les obscurantistes ennemis de l'instruction parce qu'un individu qui sait lire est plus exposé qu'un ignorant à lire de mauvais livres. Ce principe, dont le moindre défaut est de nier la liberté et la responsabilité humaine n'est plus guère soutenu de nos jours pour ce qui concerne l'instruction. Il n'est pas plus soutenable pour l'éducation des sens que pour celle de l'esprit.
Ne l'oublions pas, en effet l'éducation des sens a pour but, non de nous faire leurs esclaves, mais au contraire de nous apprendre à les utiliser, à les dominer; ils ne doivent pas être des enfants mal élevés dont on ne songe même pas à réclamer l'obéissance et qui mènent leurs parents comme bon leur semble, mais bien des serviteurs dociles de notre raison et de notre volonté. C'est pour mieux les subjuger que nous devons les exercer sans cesse. Lorsque nous les tenons en main, lorsque nous en faisons ce que nous voulons au lieu d'être dirigés par eux, nous risquons moins de céder, dans un moment d'égarement, aux violentes sollicitations par lesquelles ils tentent de nous faire tomber.
L'homme qui sait ouvrir les yeux, sait aussi les fermer volontairement, couper à volonté la communication entre la vue et le cerveau; l'homme qui sait écouter, sait aussi ne pas entendre. Le mal a par conséquent beaucoup moins de prise sur lui, et on arrive en définitive à ce résultat bizarre, que plus les sens deviennent délicats, plus ils sont aussi disciplinés, plus l'homme est maître de lui, plus il est capable de résister aux influences du dehors.
Non pas qu'une saine éducation des sens puisse nous préserver de toutes les tentations ou même être un moyen infaillible de lutter contre elles. Tant que l'homme reste livré à ses propres forces, il demeure impuissant contre le péché, et les moyens qu'il met en oeuvre pour résister à ses attaques ne sont que des palliatifs absolument insuffisants. Néanmoins, ce n'est pas une raison pour les jeter allègrement par dessus bord; remède inefficace quand il est employé seul, l'éducation des sens devient un moyen d'action puissant lorsqu'elle se réduit à n'être qu'un moyen, une arme entre les mains d'un chrétien connaissant ses devoirs, croyant aux promesses de l'Evangile et sachant "d'où lui vient le secours".
Si l'emploi judicieux de nos sens nous donne une force de résistance sérieuse contre certaines tentations, il a de plus l'avantage de détourner notre attention de sujets auxquels il lui est dangereux de s'arrêter. Les mauvaises impressions sont ainsi contrebalancées par d'autres, bonnes en elles-mêmes ou inoffensives. Quand nous voulons bien écouter nos sens et nous intéresser, grâce à eux, au monde qui nous entoure, nous faisons une multitude de découvertes capables de rendre l'ennui impossible; nous éprouvons une série infinie de jouissances délicates que d'autres ne soupçonnent même pas. Les merveilles - grandes ou petites, surtout les petites merveilles - de la création se découvrent tout-à-coup, non pas à nos yeux, qui les voyaient sans en avoir conscience, mais à notre entendement.
De là à découvrir le beau partout où il se trouve - et il se trouve partout, bien qu'à vrai dire nous ne le discernions pas toujours - il n'y a qu'un pas facile à faire. Eh bien, le sentiment du beau, l'admiration que provoque un grand spectacle ou un tableau remarquable, n'ont-ils pas sur le coeur l'action la plus bienfaisante ? Le contact du beau épure l'âme pour ainsi dire; il la fait planer sur des sommets, loin de la boue dans laquelle elle peut être exposée à se traîner; il lui parle du vrai, du bien, de Dieu. L'artiste véritable est rarement une âme basse et c'est pour cela que certains spectacles le choquent beaucoup moins que nous.
La recherche du beau, conséquence de l'éducation des sens, est donc dans une certaine mesure un préservatif contre la sensualité; elle en est un également contre la sensibilité maladive, puisqu'elle suppose une volonté ferme, une raison solide qui a fait du corps, avec ses sens et ses appétits, un esclave; elle peut nous mener enfin à la recherche de Dieu.
Ceci nous conduit au côté religieux de la question. On s'est efforcé au nom des intérêts de l'âme, de circonscrire les besoins du corps, et à les réduire à leur plus simple expression. Pour ma part, je plains profondément ces saints presque réduits à n'être qu'une âme, offrant à Dieu cette âme, il est vrai; consumant leur temps, leurs forces, leur vie en oraisons, mais oubliant que Dieu leur a aussi donné un corps; que ce corps n'est pas en lui-même un ennemi de l'âme, mais au contraire l'enveloppe et l'auxiliaire de celle-ci; que de la santé de l'un dépend souvent la santé de l'autre; que si Marie, assise aux pieds de Jésus, a choisi la bonne part, l'activité de Marthe n'est point inutile; qu'enfin l'apôtre a dit: "Glorifiez donc Dieu en votre corps et en votre esprit qui appartiennent à Dieu", et ailleurs: "Que tout ce qui est en vous, l'esprit, l'âme et le corps, soit conservé irrépréhensible".
Le corps, avec ses organes et ses sens, a donc sa dignité, son rôle. Nous n'avons pas le droit de le négliger. Il est un de ces talents que le Maître nous a confiés pour les faire valoir. Le développement et surtout la saine éducation des sens sont donc un devoir pour le chrétien; n'eussent-ils pas dans la vie pratique et dans la vie morale la place étendue qu'ils ont, nous devrions les développer pour que notre être tout entier grandisse, se fortifie, se perfectionne; pour qu'il soit tout entier, avec toutes ses facultés, avec tous ses rouages et par conséquent avec toutes ses énergies, mis au service de Dieu. C'est à cette condition seulement que le chrétien devient réellement homme, et par homme, nous entendons un être bien équilibré chez lequel les appétits, les sens, les facultés, les activités spirituelles, bien loin de se combattre et de se disputer l'hégémonie, s'unissent, en restant chacun à sa place, pour accomplir la tâche que Dieu nous donne et atteindre le but de la vie terrestre.
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