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La première punition (1)

Adèle Bonnaud, l'héroïne de Jean Aicard, a fondé une école enfantine et se fait chérir de ses élèves qui l'appellent «Tata»; elle vit seule avec son père, âme ardente, nature d'artiste, que le chagrin et les déceptions ont vieilli avant l'âge.

Un jour une femme a frappé à la porte. Elle conduit par la main son enfant, un garçonnet de trois ans, l'enfant du fils prodigue; ne pouvant l'élever elle-même elle supplie «Tata» de s'en charger. Comment repousser cet oisillon ? Tata promet, mais elle frémit en pensant que par sa faiblesse le grand-père risque de gâter le fils comme il a gâté le père autrefois. Il faut être sévère, mettre les points sur les i bien vite. Chacun aura une part de la tâche et pour cela ils font une convention.


- Tenez, mon père, dit Adèle, causons sérieusement. Le grand péril pour l'enfant, ce serait d'avoir à subir des tiraillements en sens contraire. Il ne faut qu'un professeur.

- Et nous sommes deux, en me comptant, dit Bonnaud.

- Non, nous sommes un.

- Comment cela ?

- C'est bien simple. Ne faites rien, jamais rien sans me consulter. Ne contrariez jamais ouvertement un ordre de moi, ou même une idée. Ayons l'air d'être d'accord en tout, ou mieux, soyons-le, grâce à des conversations préalables. Il n'y aura pour lui qu'une vérité. Toute question n'aura qu'une face et qu'une solution. Il aura une âme simple. Il n'y a qu'une morale, qu'une vérité, qu'un Dieu. Montrons lui cette unité. Ne le préparons pas à jouer avec les conflits de ses propres idées, et à en souffrir. Aimons-le tous deux ensemble et non pas à part. Faisons-lui, je vous le répète, une âme qui soit une et non double et hésitante....

Or à quelques jours de là, l'enfant voulut aller jouer au jardin, juste au moment de se mettre à table.

- Si tu fais cela, Gustave, mon chéri, la soupe sera toute refroidie et tu ne l'aimes que bien chaude... Et puis quand tu reviendras, il n'y aura plus de confiture pour toi. Si tu sors, c'est que tu ne veux pas de confiture.

Le grand-père ne disait rien.

La porte était ouverte. Le petit s'échappa et courut dans le jardin.

- Ce n'est pas grave, se hâta de dire Bonnaud. Il se fait homme. C'est la volonté qui apparaît. Ça n'est pas un mal. Je vais le chercher, ajouta-t-il, sous l'oeil sévère d'Adèle.

- Pas avant que nous ayons mangé notre soupe, dit Tata, et que la sienne soit refroidie... Ne perdons pas l'occasion d'une si bonne leçon.

Bonnaud, docile, mangea sa soupe, l'oeil à tout moment tourné vers la porte.

- J'y vais ! Dit-il enfin n'y tenant plus.

Il revint avec l'enfant.

- Notre soupe était bien bonne, bien chaude, dit Adèle, la tienne est toute froide.

Le révolté prit sa cuiller et goûta la soupe.

- C'est bon ! Dit-il, faisant bon visage à mauvaise fortune.

- Tant mieux, dit Tata.

Quand les confitures arrivèrent, elle en prit. L'enfant la regardait faire avec l'attention d'un chiennot gourmand.

- Oh ! Adèle ! essaya le grand-père.

- Puisqu'il n'en a pas voulu !

- Comment cela?

- Je lui ai dit: Si tu sors, c'est que tu ne veux pas de coufiture. Il est sorti. C'est qu'il n'en voulait point.

- J'en veux bien ! grogna le petit.

- Trop tard, dit l'inflexible Tata. J'ai cru ce que Gustave m'a dit. Je crois toujours ce qu'on me dit. Et j'ai promis qu'il n'aurait pas de confiture. Je tiens toujours ce que j'ai promis. Je ne mens jamais.

- J'en veux bien ! dit l'enfant les yeux écarquillés, cherchant à comprendre le fond des choses.

- Puisqu'il en veut bien ! dit Bonnaud.

Adèle regarda son père d'un oeil si terrible qu'il se hâta d'ajouter:

- Je ne dis pas qu'il faut lui en donner... puisque tu lui as promis le contraire ... Mais, s'il n'en prend pas... moi, je ne pourrai pas ... je n'en prendrai pas non plus... Je ne pourrai pas.

- Vous ne vous en porterez pas plus mal, mon père.

Bonnaud la regardait, tout penaud. Ah ! ce n'était plus le fier Bonnaud devant qui rampaient les femmes! Quel changement !...

Je vieillis, pensait-il, j'ai beaucoup vieilli...

Ce n'était pas sûr. Mais, certainement, il s'assagissait. De grosses larmes germaient dans les yeux du petit fils. Elles se gonflèrent, tremblèrent un moment au bord des cils, puis coulèrent le long des joues, jusque dans son assiette vide.

Tata, le coeur bouleversé, le regarda sans émotion apparente. Très calme, elle étala un peu de confiture sur une mince lame de pain, caressa la tartine du dos de la cuiller et la porta à sa bouche.

Le petit Gustave, suffoqué, sanglotait, avec ces secousses de tout le corps qui annoncent les grands désespoirs d'enfants.

- Adèle ! supplia Bonnaud, je ne peux voir ca.

- C'est facile mon père, éloignez-vous un moment.

Il eut envie de se fâcher. Elle le regarda alors d'un oeil, non plus sévère, mais si plein de triste pitié, qu'il réussit à se dominer un instant. Il fit un mouvement pour se pencher vers son petit fils, mais un nouveau regard irrité d'Adèle le tint immobile... Le pauvre grand-père mit ses coudes sur la table et elle vit qu'il pleurait.

- Tu vois, tu as fait du chagrin, un gros chagrin à bon papa.

Alors, la voix éplorée du petit sanglota:

- Eh! bien... eh ! bien... donne-lui-z-en à lui, tout de suite ! tout de suite !

A ce cri, elle fut aussi gagnée par les larmes.

- Il aura un bon coeur, nous sommes sauvés ! dit-elle; mais vous n'aurez de confiture ni l'un ni l'autre... Quant tu désobéis, ton grand-père pleure et ne peut plus manger, tu vois. Regarde-le bien... n'oublie jamais ça. C'est toi qui a privé grand-papa de confiture, parce que tu as désobéi. L'enfant n'avait plus de larmes, mais il respirait à grand bruit, par secousses toujours plus précipitées.

- Ça fait bien mal, dit Bonnaud.

- Il faut souffrir pour leur faire une âme, dit Tata, plus que les mères pour les mettre au monde. Et ce n'est pas tout, reprit-elle en s'adressant au petit, il n'y aura pas de musique, ce soir.

Oh ! ça, dit Bonnaud, ça, par exemple !

- Pardon, Tata ! pardon, grand-père ! hurla l'enfant à cette menace.

Ah ! s'écria Bonnaud, éperdu d'amour, il a dit pardon !... il l'a dit de lui-même !...

Puisque tu as demandé pardon de toi-même, tu auras de la musique, fit-elle. Et quand ils le portèrent à sa chambre, il passa des bras de l'un dans les bras de l'autre sous des prétextes...

Lui se blotissait tout entier dans leur poitrine, cachait sa tête, les yeux fermés, bien pressé contre eux...

- J'attendais, dit Adèle, cette occasion inévitable du premier châtiment. Je crois que de cette première épreuve dépend tout le reste, si nous sommes logiques.

- J'aime mieux m'être chargé des récréations ! dit le vieux... Allons dormir, c'est un repos bien gagné.


(1) Nous empruntons ce fragment au volume de jean Aicard «Tata».









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