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La pédagogie du travail
Même le travail le plus captivant comprend des parties rebutantes. Enseigner le travail, c'est donc arriver à intéresser la personnalité profonde de l'homme aux besognes même les moins attrayantes. Il faut montrer à l'individu tout le profit spirituel qu'il peut retirer d'une activité de ce genre. Il faut détourner son attention de la nature de l'oeuvre pour la concentrer sur l'homme qui travaille et sur les effets qui résulteront pour lui de la manière dont il accomplira son travail...
On a cherché par des méthodes raffinées à rendre les devoirs si attrayants qu'il ne fut plus du tout nécessaire de demander aux élèves de faire effort sur eux-mêmes. Il y a là un appel à la sensibilité individuelle de l'enfant, non à sa personnalité morale, foyer de ses énergies les meilleures. Ce n'est pas au goût naturel qui nous porte vers les distractions, les jeux et les excitations de toutes sortes mais aux aspirations de la volonté vers un triomphe et une victoire sur la matière qu'il faut s'adresser. C'est ainsi seulement que plus tard l'enfant sera à la hauteur des tâches de la vie réelle, qui, elles, ne parlent pas la langue du plaisir et de l'agrément...
La vie, ni la vertu ne sont des jeux. Il faut habituer les garçons à faire le bien, quelque désagréable qu'il puisse être, la magie de l'habitude suffira à leur y faire trouver du charme. S'accoutumer de bonne heure à une occupation désagréable, voilà ce qui forme l'homme et le prépare à une vie plus haute en le préservant des passions violentes, de l'ennui et de mille autres incitations au mal; cela le prépare à jouir vraiment des plaisirs qui s'offriront à lui...
La soif de jouir, l'agitation neurasthénique augmentent dans la génération nouvelle; il est urgent que la volonté redevienne le guide spirituel et moral de toute la conduite. Lui rendre ce rôle, ce serait réagir contre les manifestations morbides de tempéraments nerveux en grand nombre. S'exercer à vaincre ses nerfs, c'est bien souvent les guérir.
J'ai plusieurs fois, dans des cours pour l'étude de questions morales organisées par moi pour la jeunesse, demandé à mes élèves de répondre à cette question: «Quel est votre principal défaut?» Je ne leur demandais pas de m'indiquer la faute qu'on leur reprochait le plus souvent, mais ce qui leur paraissait à eux-mêmes leur point faible. Toutes les réponses devaient être anonymes. C'est un fait très remarquable que la très grande majorité des enfants s'accusèrent avant tout de «légèreté».
Voici la confession caractéristique d'une fillette de treize ans: «Mon principal défaut consiste en ce que j'ai très peu de persévérance dans mes devoirs et à l'école. Je devrais savoir jouer déjà très bien du piano: il y a deux ans que je prends des leçons. Mais j'ai interrompu plusieurs fois et j'ai oublié chaque fois ce que j'avais appris précédemment. De même à la maison, mes parents m'ont donné tout ce qu'il faut pour découper le bois. J'y ai pris d'abord un très grand plaisir et j'ai commencé toutes sortes de travaux, mais je ne les ai pas poursuivis parce que cela m'ennuyait. Mais cela va un peu mieux maintenant.»
Je ne craindrais pas pour illustrer une leçon d'apporter un jour en classe un de ces découpages commencés, et de faire trouver par eux-mêmes aux enfants tout ce qu'il comporte de leçons pour la vie: le profit qu'il y a de mener un travail à bonne fin à force de patience et d'énergie, et, en revanche, le danger que fait courir au caractère tout entier un travail qu'on ne fait qu'à moitié et avec mollesse. Il y a des gens dont toutes les habitudes révèlent qu'ils n'ont jamais su finir leurs découpages; il y en a qui n'arriveront jamais à triompher des obstacles du dehors, parce qu'ils n'ont pas su triompher de ceux qui venaient de leur propre faiblesse.
Ce manque de persévérance est un trait distinctif de notre âge. Trop souvent cette légèreté n'est qu'une disposition nerveuse accentuée par la multiplicité des amusements et des causes d'excitations qui assaillent aujourd'hui l'enfant.
Mais indépendamment de toute prédisposition maladive, l'inconstance inhérente à notre nature humaine - changeante et instable comme les Psaumes de l'Ancien Testament le reconnaissent déjà - est favorisée de façon inquiétante par l'atmosphère toute entière de notre civilisation.
... La constance, c'est la défaite des sens, avec leur incessant besoin de changement, - de l'inertie et de l'incohérence; les conséquences de cette stabilité intérieure ne peuvent être que salutaires au caractère. Apprendre à bien travailler - et pour les bons motifs - favorisera dans une très large mesure cette éducation de la constance. Les biens du caractère sont ici en jeu. Il faut que le maître s'applique à les faire valoir aussitôt que possible aux yeux des jeunes en leur montrant dans le travail, même le plus modeste et le plus attrayant, un exercice pour l'affermissement de l'âme...
On se demandera si l'enfant a un goût caractéristique, s'il est particulièrement doué dans un domaine quelconque; on le stimulera à faire, dans ce domaine d'abord, quelque chose d'achevé, à résoudre-là des problèmes difficiles; ce n'est que plus tard qu'on pourra faire bénéficier d'autres disciplines de la force de volonté et de la confiance en lui-même que l'on aura ainsi développées chez l'enfant...
Le caractère se forme en apprenant à se vaincre soi-même et à être fidèle dans les choses les plus simples et les plus petites de l'existence, - dans un effort pour être persévérant et consciencieux.
L'enseignement élémentaire de l'écriture et du dessin et les premières leçons de travaux manuels fournissent des occasions particulièrement favorables à cette culture du caractère; le laisser-aller dans ces branches peut, en revanche, miner de la façon la plus dangereuse la personnalité tout entière.
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