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(Sans titre)

J'avais déjà reçu bien des remontrances sur le mensonge, mais je ne pouvais m'empêcher de mentir, croyant la chose aussi indispensable dans la vie qu'un bon et solide parapluie. Pourquoi donc, pensais-je, faut-il absolument se laisser mouiller quand on peut s'en dispenser? Ce n'est certainement pas quelque chose de bien beau qu'un parapluie, mais cela garantit ceux qui s'en servent des inconvénients de l'eau, qui autrement ruissellerait sur eux. Et si le mensonge n'a rien de beau non plus, ne nous préserve-t-il pas néanmoins de beaucoup de désagréments et de déboires? D'autre part, il épargne souvent de la peine aux parents. Je pensais ainsi autrefois.

Mais un jour vint à mon oreille une belle louange de la vérité: un aimable vieillard me conduisit avec lui au bord de la mer, au moment où la première étoile se levait sur l'immensité des flots. Il resta là, debout, immobile, puis il me dit: «Vois comme elle brille là, entre deux petits nuages gris, l'étoile du soir: on peut toujours se fier à elle. J'éprouve le besoin de joindre les mains, chaque fois que je la vois. Elle me rappelle la plus magnifique chose qui soit au monde: un homme à qui l'on peut se fier. Oui on peut compter sur sa parole comme sur la brillante étoile du soir: il ne trompe jamais. Le monde s'abîmerait avant qu'une parole fausse sortît de ses lèvres. Chacun, autour de lui, peut perdre sa route dans le brouillard de la cachoterie et du mensonge; mais dès qu'un tel homme se met à parler, l'étoile luit à travers les nuages, et l'on sait tout de suite où l'on est». Ainsi me parla ce vieillard, et nous regardâmes pendant longtemps briller la petite étoile. J'étais très calme mais je ne comprenais pas encore, et j'étais honteux de constater que mes pensées, pendant que nous achevions notre route, étaient restées suspendues au parapluie comme au conseiller de ma vie. La nuit devint plus sombre, et bientôt après le ciel entier rayonna des lumières éternelles. Alors, je sentis tout à coup que dans la vraie sincérité il y avait quelque chose d'étoilé et de supra-terrestre... et un grand, un immense amour pour elle envahit peu a peu mon coeur.

Que le mensonge soit parfois commode, ah! je l'avoue encore maintenant. Mais devenir une étoile, à qui l'on peut toujours se fier, ferme comme le rocher sur cette pauvre terre, où si peu d'hommes sont absolument conscienscieux, et où beaucoup cherchent au contraire à se rendre la vie facile par le mensonge, cela me parut si enviable et si sublime que les avantages passagers conquis par le mensonge pâlirent à mes yeux, comparés à cette magnifique vision. Et je me dis immédiatement: «Rien à demi: veux-tu devenir un homme dont les moindres paroles inspirent la confiance d'un serment solennel ? Alors, ne permets plus jamais à la moindre exprèssion mensongère de sortir de tes lèvres. Et quand même tu viendrais à savoir que tu peux tirer d'un grand embarras, par une tromperie, toi-même ou les autres, tu ne te le permettras pas; car si tu veux que la pleine confiance te soit accordée, le mensonge doit te devenir impossible, aussi impossible qu'il l'est à l'étoile du soir de traverser le ciel comme une étoile filante. Il faut que dire toujours la vérité soit devenu dans ton âme une habitude ferme et indestructible. Il faut que les hommes croient en toi, comme si tu la disais depuis des milliers et des milliers d'années. Devenir un homme absolument véridique, voilà une belle carrière et une vocation rare, mais pleine de bénédictions. Car ces hommes, qui ne mentent jamais, sont le secours et le soutien d'une multitude innombrable d'âmes...

Mais, me direz-vous, un mensonge officieux est bien permis. - Savez-vous comment un poète de notre temps a répondu à cette question? Quand on profère un mensonge, on le croit toujours nécessaire. On pourrait donc s'excuser à propos de son mensonge en se disant: c'est un mensonge officieux. Alors l'avocat du mensonge nous propose de ces cas embrouillés où quelqu'un est malade, et où l'on se croit obligé de lui dire un mensonge pour ne pas l'impressionner. Mais on oublie une chose très importante: Quand un malade s'aperçoit qu'on lui a une fois menti, c'en est fini de sa tranquillité. Corneille a écrit, dans sa comédie du Menteur:

La vérité... Quand un menteur la dit,
En passant par sa bouche elle perd son crédit.

Cette parole a sa valeur dans les rapports avec les malades. Il faut justement que le malade ait la confiance la plus absolue dans ceux qui le soignent. Autrement, il ne manquera pas de chercher, à cause même de sa disposition mélancolique et irritable, un mystère sous chaque parole et derrière chaque figure. Au contraire, s'il peut se fier en toute sécurité à ceux qui l'entourent, et croire qu'ils lui disent toute la vérité, il pourra se reposer en paix sur ce qu'on lui apprend, et ne cherchera pas plus loin.









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