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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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(Sans titre)

Le plaisir que procure aux enfants la narration des plus simples histoires tient à la vivacité des représentations dans leur esprit. Les tableaux qu'on évoque au dedans d'eux sont peut être plus brillants, plus colorés, que ne le seraient les objets réels; un récit leur fait voir la lanterne magique. Il n'est donc pas besoin de vous mettre en grands frais d'invention pour les divertir. Prenez un enfant pour personnage principal; joignez-y un chat, un cheval, quelque accessoire enfin qui fasse image, et mettez de la chaleur dans le débit; votre auditeur ouvrira des oreilles avides; l'intérêt que vous exciterez tiendra de la passion. Chaque fois qu'il vous rencontrera, il vous fera répéter votre histoire, mais donnez-vous garde d'y rien changer. Il veut revoir la même scène, et la moindre circonstance omise ou ajoutée dissipe l'illusion qui lui plaisait.

Plus l'imagination est en jeu chez l'enfant, et plus il a de plaisir. Il aime à se figurer autre chose que ce qu'il voit, et jouit de la fiction dont il a l'idée. Les joujoux qu'il invente lui-même sont ceux dont il s'amuse le plus.... Un tabouret renversé est un bateau, un cabriolet, placé sur ses pieds c'est un cheval ou une table, un carton est une maison, une armoire un chariot, enfin tout ce qu'on veut. Vous devez entrer dans ses vues, et même avant l'âge des joujoux utiles, donner à l'enfant des moyens d'opérer, plutôt que des oeuvres tout achevées. Ainsi quelques planches épaisses, en forme de livres, et susceptibles d'être posées les unes sur les autres en différents sens, seront pour lui d'excellents matériaux de construction qui le dispenseront d'en chercher d'autres; et si ces planches étaient trouées, si l'enfant pouvait les assembler de diverses manières avec des ficelles il se livrerait à son génie. Très jeune encore, on le rend parfaitement heureux en lui donnant à manier du son ou du sable, objets qui sont tour à tour pour lui de l'eau, de la terre, un dîner à préparer, etc. C'est dans ce qui prête à la fantaisie du moment qu'est la source des plaisirs inépuisables....

Parvenue à un certain point de vivacité, l'illusion chez l'enfant cesse d'être volontaire; il ne peut plus conjurer le prestige, et dès lors un sentiment de crainte s'empare de lui, il se croit sur le bord d'un monde inconnu, plein d'effrayantes réalités.... Le possible est sans borne pour lui.... Aussitôt qu'une idée s'offre aux enfants, leur imagination lui donne une forme vivante, réelle; un sentiment vague de crainte évoque des spectres dans leur esprit.... L'expérience a prouvé qu'à tout âge il est comme inutile de combattre directement les chimères d'imagination. Laisser tomber la pensée dominante, chasser un sentiment par un sentiment plus fort, distraire, intéresser, aguerrir par le mouvement moral et physique, tel est en général le régime contre la peur. Un remède plus direct pour une crainte particulière, c'est de substituer la présence de l'objet redouté à l'idée que l'enfant s'en formait. On ne se figure pas ce qu'on voit, et la réalité, même désagréable et rebutante, produit un effet calmant sur les sens. Ce moyen, s'il peut se pratiquer, est très efficace, mais c'est avec ménagement qu'on doit s'en servir (1).

Dans son moindre degré de développement, l'imagination se confond avec ce pouvoir de retracer les objets absents, qu'on nomme la mémoire représentative. Toutefois elle s'en distingue bientôt par le don de varier ses tableaux, de combiner les éléments de ce qui a déjà existé pour offrir aux regards de l'esprit ce qui n'existe point encore. Voilà comment elle est en rapport avec l'avenir, et comment elle devient la source de l'espérance.... Supprimez l'imagination et voyez quel serait alors notre état moral. Incapable de prévoir le plaisir d'exécuter nos projets et le bien qui résultera de leur réussite, nous resterions stationnaires, oisifs, nous n'aurions pas de raison d'agir et nos forces seraient engourdies.

Heureusement nul ne manque jamais d'imagination à ce point; mais combien souvent ne la voit-on pas languissante et inactive. De là l'indolence, l'ennui, le manque d'intérêt dans la vie. Il n'est point d'avenir pour les êtres atteints de ce mal, et le temps présent leur est désagréable; leur état a beau être insipide, déplorable même, ils en souffrent sans consentir à s'en tirer. Ils naissent vieux, si l'on peut dire, et quand la véritable vieillesse arrive, elle est plus triste, plus dépouillée que jamais. Le sentiment ne manque pas toujours aux êtres privés d'imagination, c'est le pouvoir d'y associer des idées qui est trop faible; alors ils sont angoissés en dedans; leurs chagrins sont sans fruit, sans issue, sans distraction même d'un moment. On les croit égoïstes, et souvent ils ne le sont pas; seulement ils ne savent pas se transporter dans la situation des autres; et quand on réussit à leur faire impression, on découvre qu'ils ne sont pas incapables de sacrifices...

L'imagination n'est pas entièrement indépendante de la volonté. L'éducation cherchera donc, d'une part, à donner à l'élève assez de force de caractère pour qu'il interdise à son imagination certains domaines; d'autre part, à créer dans son âme assez d'intérêt pour qu'ils puissent aisément lui faire suivre une autre route. Exercer innocemment l'imagination est aussi nécessaire que la contenir; et peut être ne la contient-on que lorsqu'on l'exerce.

L'oeuvre de la répression et celle de la culture doivent donc marcher de front.... Les maux causés par l'exaltation des sentiments (dans le domaine des choses religieuses aussi bien que dans celui des affections tendres) sont si redoutables, qu'on ne saurait écrire sur l'éducation sans se faire un devoir de les signaler.... Mais on a bien moins pensé à d'autres égarements tout aussi funestes; on n'a pas senti que sur une route opposée on rencontrerait des écueils plus inévitables encore. L'éducation sèche et abstraite, qu'on croit prudente, est peut être une des plus mauvaises pour le gouvernement de l'imagination. La tentative de la faire mourir d'inanition est vaine, périlleuse même. Privée d'un aliment, elle se jette sur un autre, et il s'en offre dans la vie humaine qu'il est impossible de lui dérober.... La culture de l'imagination commence dans la réalité longtemps avant l'éducation littéraire, et les récréations en sont peut être le principal moyen. Toutefois, il y a ici beaucoup d'écueils à éviter. Quand la succession des objets les plus agréables est trop rapide et trop continue, les sensations s'effacent réciproquement, et il ne reste que de la confusion dans leurs jeunes têtes. Quand les enfants sont abattus, mornes, silencieux, après qu'on leur a procuré des récréations inaccoutumées, c'est la preuve que les amusements ont été trop prolongés ou trop excitants pour leur constitution morale. Loin alors d'avoir cultivé leur imagination, on l'a fatiguée, ou on en a dépensé les forces à venir, et les impressions que feront par la suite des objets pareils seront pour longtemps émoussées. Quand au contraire ils parlent avec feu de ce qu'ils ont vu, et qu'ils se plaisent à le décrire, on peut espérer que, sous le rapport intellectuel du moins, on n'a pas abusé de leurs facultés naturelles.

Les impressions calmes, au contraire, peuvent produire des effets heureux sans qu'aucun signe le donne à connaître. A la campagne par exemple, les enfants ont des plaisirs dont eux-mêmes ne s'aperçoivent pas; un certain charme agit sur eux sans qu'ils s'en doutent. Ceux qui sont le plus décidés à ne pas se permettre de distraction en étudiant, acceptent avec transport la proposition d'aller apprendre leur leçon à l'ombre d'un arbre. Toute occupation en plein air leur est agréable et pourquoi? c'est que leur âme alors est doucement remuée; c'est que les mille sensations éparses dont les beaux-arts rassembleront un jour les effets agissent sur eux par une secrète magie. Ils ont déjà la poésie dans le coeur.


(1) Un garçon de huit ans en revenant du cimetière où l'on était allé conduire sa grand'mère, dit que c'était beaucoup moins triste qu'il ne le pensait; il s'était toujours imaginé qu'on sortait le corps du cercueil pour l'enfouir dans la terre. (Réd.)









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