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Nos enfants et les inégalités sociales

Des millions d'êtres humains vivent dans un état de misère et de privations, sont mal logés, mal vêtus, mal nourris, n'ont ni loisir, ni repos, ni jouissance d'aucune sorte. Faut-il attirer l'attention de nos enfants sur ce fait? Ce problème m'a préoccupée il y a plusieurs années déjà. Peut-être n'a-t-il pas perdu toute son actualité à l'heure troublée où nous vivons. Nous allons au devant de profondes transformations sociales. Il est donc tout indiqué pour nous, les mères, de chercher à préparer nos enfants pour la société nouvelle dans laquelle ils auront à vivre.

Dans une conférence sur «l'évangélisation des classes dirigeantes», Wilfred Monod développait cette idée qu'évangéliser les possédants, c'est, d'une part, les éclairer sur l'état de la société moderne; d'autre part (je me sers de ses propres expressions), créer en eux «une salutaire inquiétude, une agitation de la conscience, un dégoût de leurs privilèges, un effort vers la justice, - en un mot, les rendre accessibles à l'influence de l'esprit du christianisme.»

Ce remords, cette inquiétude, faut-il chercher à les provoquer chez nos enfants? J'ai interrogé à ce sujet Mme Wilfred Monod, qui a bien voulu me faire part des expériences qu'elle et son mari ont faites quand leurs enfants étaient petits:

«Il nous semblait que nous n'avions pas le droit de faire peser sur eux le fardeau quotidien et parfois écrasant des souffrances auxquelles notre ministère nous forçait d'assister. Nous estimions qu'il ne fallait pas révéler trop tôt l'état d'un monde qui aurait risqué de paraître inhabitable à ceux qui venaient d'y être envoyés pour y vivre...

Plus j'y songe, plus il me semble qu'il faut que l'enfant ne sente pas le monde se dérober sous ses pas; c'est-à-dire que l'éducateur devrait éviter certaines révélations de la souffrance sociale

A la branche trop faible encore pour la porter.

Et en même temps, chasse à l'égoïsme!»

Je crois qu'elle a raison. Il faut que nos enfants soient de véritables enfants. L'heure des troubles, des angoisses intellectuelles, morales, religieuses, viendra assez tôt. Ne cherchons pas à la devancer artificiellement.

Il y a un second danger qu'il importe d'éviter et dont je veux parler d'emblée. Il existe surtout pour certaines natures douées d'une sensibilité et d'une imagination vives. Rien de plus facile que de créer chez ces enfants-là une sorte de sentimentalité vague. Ils s'attendriront volontiers sur «les enfants pauvres» en général, et ce sentiment leur suggérera des prières touchantes comme celles que faisait un petit garçon de ma connaissance, lorsqu'il n'avait pas encore quatre ans:

«Pense à ceux qui sont malheureux. Donne-leur une bonne nuit et une bonne journée; console-les; donne-leur un bon dîner, un bon souper, un bon goûter. Tâche qu'ils aient une bonne maman pour leur donner quelque chose!»

Ou encore:

«Donne une couverture à ceux qui n'en ont pas, donnes-en une bonne à ceux qui en ont une toute déchirée.»

C'est très joli, mais il ne faut pas se contenter de cela. Si cette pitié reste stérile, elle devient dangereuse. Les lectures ont, en général, une grande influence sur ces enfants-là. Ils pleureront à chaudes larmes sur des infortunes imaginaires. Il serait plus difficile - et plus utile - de faire un sacrifice personnel en vue d'un être humain, en chair et en os. Je me demande si les beaux livres de Mme de Pressensé (que j'ai lus avec passion dans mon enfance et que j'aime à relire aujour d'hui) ne renferment pas un danger subtil - au moins pour ce type de petits sensitifs dont je viens de parler. J'hésiterais à laisser lire ce chef-d'oeuvre qu'est «Un petit monde d'enfants» à un enfant qui appartiendrait à cette catégorie. Je craindrais que l'émotion ne soit trop forte pour lui. Il faudrait en tout cas trouver un dérivatif.

Le psychologue américain bien connu, William James dit quelque part à propos de l'émotion artistique, que celle-ci devrait toujours se traduire en actes.

«Si vous avez été remué par un beau concert», dit-il en substance, «arrangez-vous, quand vous en sortirez, à faire une bonne action, si modeste soit-elle, ne fût-ce que de dire une parole aimable à votre grand-mère». Si cela est vrai de l'émotion esthétique, il me semble que ce l'est bien davantage encore quand il s'agit de cet attendrissernent que provoque chez toute âme sensible la vue et la pensée de la souffrance humaine.

Donc, ne craignons pas d'encourager chez nos enfants des actes de renoncement plus efficaces que les plus belles paroles.

Une mère me citait un joli trait de sa petite fille qui, ayant reçu une belle poupée, habillée avec soin par une de ses tantes, exprima le désir de la donner aux enfants de l'hôpital. Sa mère, lui ayant objecté que sa tante en serait peut-être peinée, la petite ne voulut pas saisir ce prétexte pour renoncer à sa bonne action. «Oh ! je suis sûre que tante comprendra!»

Il n'est pas toujours facile aux parents de laisser libre carrière à ces mouvements de générosité spontanée qui sont naturels à bien des enfants. Mais je crois, qu'en général et sauf exception, il est fâcheux de les réprimer.

Faut-il donc, sous prétexte de ne pas surexciter la sensibilité des enfants, les laisser grandir et se déveopper dans une bienheureuse inconscience en leur évitant, autant que possible, tout contact avec la souffrance et la misère? Non. Ce serait faire d'eux de parfaits égoïstes, c'est-à-dire des êtres malfaisants et, par surcroît, malheureux. Je n'ai pas besoin de développer ce truisme.

Il faut, non par des discours, mais par des faits concrets, chaque fois que l'occasion s'en présente, attirer leur attention sur ce fait, qu'ils sont des privilégiés. Ce n'est pas tout à fait la même chose que leur inspirer du remords. Qui dit remords dit culpabilité ; qui dit privilège dit responsabilité. Il serait exagéré, je crois, de donner à nos enfants le sentiment qu'ils sont coupables de l'état de choses actuel, mais il est bon d'attirer leur attention sur les privilèges dont ils sont les objets. Les menus incidents de la vie journalière nous en fourniront tout naturellement l'occasion. Un enfant est-il difficile pour sa nourriture, je trouve tout à fait légitime de lui faire honte de sa gourmandise en l'amenant à se comparer avec ceux qui ne mangent pas tous les jours à leur faim. Ils sont pIus nombreux que jamais, hélas! au temps où nous vivons. Si l'on peut citer un cas précis dont on a été témoin, ce sera, bien entendu, plus efficace.

De même pour les jouets. Une mère de ma connaissance s'affligeait de constater combien ses enfants étaient peu soigneux, et la quantité de jouets qu'ils laissaient se perdre ou se détériorer par leur négligence. Après maintes réprimandes, qui étaient restées sans effet, elle eut la chance de pouvoir donner à ces leçons une application pratique. Une couturière, qui venait travailler chez elle lui ayant dit un jour que ni elle ni ses enfants n'avaient vu d'arbre de Noël, mon amie proposa à ses petits d'inviter cette famille à une fête de Noël qu'ils organiseraient eux-mêmes. Il fut convenu qu'on n'achèterait aucun jouet, mais que les enfants fourniraient eux-mêmes tous les cadeaux qu'ils offriraient à leurs invités. Ils se mirent aussitôt à l'oeuvre avec entrain et ils n'eurent aucune peine à trouver parmi les objets dont ils ne se servaient plus, des jouets fort présentables (on répara les cassés) en nombre suffisant pour contenter toute la famille. La petite fête fut très réussie, et les enfants, en voyant la joie débordante qu'ils avaient causée à d'autres, en leur cédant seulement une part de leur superflu, ne manquèrent pas de faire d'utiles réflexions. Ce simple fait leur fit plus d'impression que n'auraient pu le faire les discours les plus éloquents.

A celui qui a beaucoup reçu, il sera beaucoup redemandé. C'est là une notion simple qu'il est facile d'inculquer à l'enfant et qui correspond à son sentiment inné de la justice. Quel que soit le milieu auquel il appartienne, on doit lui apprendre de bonne heure qu'il n'est pas dans ce monde pour que tous ses désirs soient satisfaits, mais qu'il a des devoirs à remplir, des services à rendre. Nos petits courent un grand danger dont, souvent, nous n'avons pas conscience. Dès leur petite enfance, ils ont auprès d'eux une mère ou, à son défaut, une bonne attentive à satisfaire leurs moindres besoins, et souvent même leurs caprices. Quoi d'étonnant s'ils se considèrent comme de petits pachas qui n'ont qu'à commander? Eh! bien, c'est dès le berceau qu'il faut déraciner chez eux cette tendance qui tend si facilement à s'implanter en nous, parce qu'elle satisfait notre égoïsme naturel. Même de très jeunes enfants peuvent et doivent apprendre à rendre de menus services. Quand il y a plusieurs frères et soeurs, cela se fait tout naturellement. Les aînés aident leur maman à soigner les petits. Mais cela ne suffit pas. A mon avis, on peut et on doit demander davantage, à mesure qu'ils grandissent, en particulier aux garçons. (J'ai vu des familles où ceux-ci se faisaient servir par leurs soeurs, sous prétexte que les soins domestiques sont l'apanage de la femme. Je n'ai pas besoin de vous dire ce que je pense de ces moeurs. T. Combe les a stigmatisées de main de maître dans sa brochure «Le petit Pacha»). Pourquoi ne donnerions-nous pas à nos enfants l'habitude de rendre des services dans la maison, de faire leur lit, par exemple, et de cirer leurs souliers? J'ai souvent été étonnée de voir combien ces coutumes étaient peu répandues même dans des familles pénétrées d'un idéal social. Voici ce qu'écrit à ce sujet Ellen Key dans son livre «Le Siècle de l'Enfant»:

«Ce qu'il faut avant tout rendre aux enfants d'aujourd'hui, ce sont les sérieuses occupations dans la maison; il faut exiger d'eux des services réguliers, sans les soumettre à aucune surveillance dans tous les cas où ils pourront s'en tirer tout seuls. Tandis que l'écolier moderne a autour de lui sa mère et les domestiques pour le préparer à aller en classe et l'empêcher de rien oublier, l'enfant devrait chaque jour, avant l'école, arranger sa chambre et brosser ses habits et il ne devrait recevoir aucun avertissement concernant les choses de l'école, mais celle-ci devrait s'entendre avec la maison pour lui faire expier toutes ses négligences. On voit, tout au contraire, aujourd'hui, les mères apprendre les leçons avec les enfants, inventer pour eux des jeux, leur lire des livres amusants, ranger les choses après eux, ramasser ce qu'ils laissent tomber, finir le travail qu'ils ont laissé inachevé, et par ce moyen et d'autres semblables, par leur tendre sollicitude et leur activité, endormir et affaiblir chez l'enfant le goût du travail, la persévérance, le don d'invention et l'imagination.

A la maison, la jeunesse est habituée à ce qu'on lui rende des services sans en rendre elle-même, à recevoir toujours sans donner. Et puis, on s'étonne de voir cette jeunesse intéressée et déréglée qui, en toute occasion, se pousse effrontément devant les plus âgés, complètement oublieuse de ces attentions qui étaient autrefois si jolies à observer chez les jeunes.

Je connais des pères et des mères consciencieux qui ne vivent absolument «que pour les enfants», qui ont organisé au mieux de ces derniers leur vie toute entière, leur faisant croire ainsi qu'ils sont le centre de leur existence. D'autres, qui travaillent sans relâche, cachant leurs privations à leurs enfants, et se tuant de travail, afin que ceux-ci ne croient pas qu'ils ne sont pas en état de les habiller aussi bien que leurs camarades ou de leur offrir les mêmes plaisirs....

Les enfants ne doivent pas recevoir tout comme un dû, mais prendre part au travail de la maison dans la mesure de leurs forces. Il apprendront à avoir des égards envers leurs parents, envers les domestiques et les uns envers les autres. Ils ont des devoirs et des droits aussi inébranlables que ceux des adultes, et l'on aura pour eux de la considération, de même qu'on leur enseigne à en avoir pour les autres».


Les domestiques... c'est un sujet fort délicat et même brûlant; mais nous ne pouvons le laisser de côté, car c'est là justement que le problème qui nous occupe est le plus difficile à résoudre. Il est très fâcheux pour des enfants de voir autour d'eux des êtres dont la fonction consiste à les servir et qui, en outre, sont considérés comme des inférieurs. (Ils parlent autrement qu'on ne leur parle, ils mangent à la cuisine, etc. Un enfant a tôt fait de discerner cela). Comment éviter ce danger ?

Il faut, d'abord, exiger des enfants qu'ils aient les plus grands égards pour les domestiques et, bien entendu, leur en donner l'exemple, ne jamais se plaindre d'eux en présence des enfants, comme je l'ai vu faire si souvent. Il faut apprendre à nos petits à remercier pour tous les services qu'on leur rend, à ne jamais les réclamer comme un dû et aussi à éviter de la peine à ceux qui les servent en s'imposant, au besoin, une certaine gêne (s'essuyer les pieds avant d'entrer dans la maison, tâcher de ne pas trop salir leurs vêtements, etc.), bref il faut attirer leur attention sur la peine qu'ils donnent. Par la manière dont nous envisageons les choses, nous pouvons beaucoup atténuer l'impression pénible que pourraient produire sur eux certains usages, comme celui de faire manger les domestiques à la cuisine.

Voici un petit trait (tout à fait authentique) pour illustrer ma pensée:

Un matin, on entend de grands cris dans la maison. La maman s'informe et elle apprend, que, petit Jean ayant été très lambin pour boire son lait, la bonne a imaginé, comme punition, de porter sa tasse à la cuisine. D'où scène violente et refus de finir son repas. La mère appelle le petit et lui dit d'un air très surpris: «Mais, Jeannot, tu n'as sûrement pas réfléchi à ce que tu faisais. Pense que Rosa prend tous ses repas à la cuisine et toi, parce qu'on t'y envoie une fois, tu fais une scène! Sûrement, tu as fait de la peine à Rosa. Elle va croire que c'est un grand malheur de manger à la cuisine!» Impossible d'imaginer un changement à vue plus complet et plus rapide que celui qui se produisit chez l'enfant. Il alla finir son déjeuner non avec résignation, mais avec un empressement véritable. On voyait qu'il avait à coeur de détruire l'impression fâcheuse qu'il avait produite.

Ce qui importe, c'est l'esprit qui inspire nos relations avec nos subordonnés. Si nos enfants voient que nous les considérons non comme des inférieurs, mais comme des frères, «égaux à nous en dignité» (Rauschenbusch), il y a beaucoup de chances pour qu'ils soient animés des mêmes sentiments. (Je dois pourtant reconnaître qu'il y a parfois de grandes différences même entre enfants élevés de façon semblable.)

Un bon moyen (1) de rehausser, aux yeux de nos enfants, la condition des domestiques, c'est de chercher à leur faire voir la grandeur et la beauté de ce mot: servir. C'était le programme de Jésus. «Le fils de l'Homme est venu, non pour être servi, mais pour servir». «Je suis au milieu de vous comme celui qui sert». On peut mettre sous les yeux des enfants d'autres exemples plus près d'eux, leur faire voir que les hommes qu'ils admirent et auxquels ils voudraient ressembler, sont ceux dont la vie tient tout entière dans ce mot. Le travail de papa dans son bureau est un service. Chacun a un chef ..., tous méritent d'être blâmés s'ils font des fautes dans leur service. Ainsi, les observations qu'ils pourront nous entendre faire aux domestiques seront moins humiliantes pour ceux-ci.

Nous avons vu aujourd'hui l'enfant dans sa famille. Dans un prochain numéro, nous envisagerons le même problème dans un cercle moins restreint, celui de l'école et du milieu social en général.


(1) Ce dernier développement m'a été suggéré par Mme Pieczynska.









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