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(Sans titre)
A l'entrée de la période dont nous nous occupons, ce qui manque surtout au caractère de l'enfant, c'est l'harmonie. Toutes ses facultés se sont accrues, mais leurs plus récents développements ne sont pas favorables à nos desseins. D'une part le développement de sa force physique, en lui fournissant les moyens de satisfaire plusieurs de ses désirs sans notre concours, lui rend le sacrifice de sa volonté plus pénible; d'autre part, les progrès de son intelligence ne le portent pas à la docilité, autant qu'il nous conviendrait.
Quand nos enfants n'ont de société que la nôtre, leur oisiveté, un sentiment confus de leur insignifiance, les associe trop à nos intérêts, pour qu'ils ne cherchent pas à nous plaire. Mais quand ils sont réunis avec des compagnons de leur âge, notre rôle s'efface de plus en plus. Ils s'appuient les uns sur les autres, et l'on voit naître un nouvel esprit, un esprit de corps, si l'on peut dire, avec lequel on est obligé de traiter. Une existence plus animée développe en eux de nombreux désirs; leur caractère se prononce, et l'influence de l'âge en agissant sur tous, s'augmente dans chacun d'eux. L'importance qu'ils mettent à leurs jeux, l'ardente poursuite du but commun, les passions fortement excitées chez l'individu mais réprimées par celles de la masse, l'espèce de justice irrégulière mais sévère qu'ils exercent, tout montre le commencement de l'état social, l'entrée dans une vie réelle et présente, bien différente de cette vie artificielle que nous leur construisons en les occupant d'avenir.
Nos qualités, notre tendresse, notre autorité même, s'éclipsent par moment aux yeux des enfants. Auprès de ces réunions si animées, où l'égalité de droits et la ressemblance de nature multiplient les points de contact, où des êtres mobiles, légers, passionnés pour les mêmes objets, jouissent du déploiement de leurs forces nouvelles, combien notre société ne leur semble-t-elle pas froide, gênée, compassée; combien cette rapidité électrique, cette vivacité qu'ils mettent à tout saisir, ne nous fait-elle pas paraître lents, vieux, insensibles à mille joies! Et si l'emportement, la violence de quelqu'un d'entre eux, leur rend parfois notre intervention désirable, nous ne sommes plus pour eux qu'un tribunal, un gouvernement, c'est-à-dire un mal nécessaire.
Tout cela est triste pour les mères, et si le découragement les gagne, ce moment n'est pas pour elles sans quelques dangers..... Je ne saurais trop leur conseiller de s'armer de constance, et de ne pas surtout se laisser atteindre par le mécontentement et par la froideur qui en est la suite.
Comment, dit tristement une mère, comment mes enfants sont-ils moins dociles, moins tendres, au moment où je devais commencer à compter sur eux, au moment impatiemment attendu où leur raison semble à certains égards s'être fortifiée? Que sont devenus cet abandon, cette touchante confiance, qui avait tant de prix à mes yeux? Voilà les questions qu'elle s'adresse. Mais ne devrait-elle pas s'en proposer d'autres encore? Elle aussi n'a-t-elle rien à se reprocher? Est-elle parfaitement sûre de leur avoir donné autant de bonheur que lorsqu'ils étaient plus petits et plus dans sa dépendance? Elle a bien eu au fond du coeur le même amour, mais a-t-elle su le montrer? Les grâces enfantines en s'enfuyant, n'ont-elle point emporté les témoignages les plus vifs, les plus involontaires de sa tendresse? A-t-elle caressé des visages un peu amaigris avec le même plaisir que de bonnes joues arrondies? Mille fautes qu'elle tolérait n'ont-elles point été sévèrement relevées? Et ces pauvres enfants n'en voyent-ils point de plus jeunes qu'eux hériter du bonheur qu'ils regrettent?
Le sentiment d'avoir moins de charme les rend plus timides, et dans cette vieillesse de l'enfance, ils ont la défiance de l'autre vieillesse qui n'ose plus rien risquer. Que de consolations ne demanderait pas cette situation nouvelle! Que de délicatesse ne faudrait-il pas pour rétablir avec les enfants des rapports faciles, lorsque de légers nuages ont altéré la sérénité de leur humeur! Si donc il y avait chez eux un peu de froideur, souvent hélas! trop naturelle, que les mères se gardent bien de laisser se relâcher le lien de l'intimité, lien un peu affaibli, mais qui se reformera dans la suite....
En général je crois que nous parlons trop aux enfants; nous abusons des exhortations, des remontrances, nous les tracassons. Un peu d'ennui fait naître en eux un désir de résistance. Si nous maintenions leur âme dans un état calme, la sympathie ne s'éteindrait peut-être jamais; ils auraient plus d'envie de nous obliger; ce qu'on appelle la bonne volonté, la bonne humeur, se peindraient jusque sur leur visage, et nous leur conserverions plus souvent ces physionomies franches et ouvertes dont la bienfaisante nature les avait doués.
Il n'est point de recette infaillible en éducation. Néanmoins, nous ferons ici une application plus précise de l'emploi d'un moyen que nous avons déjà indiqué. Comme l'éducation morale ne peut réussir qu'autant que l'enfant met de l'intérêt à sa propre sagesse, le mieux sera, selon nous, de le consulter fréquemment sur la manière de s'y prendre avec lui pour qu'il se conduise bien.
Dans ce but, il ne faut pas d'abord avoir trop de choses en vue. Choisissez quelque objet précis, mauvaise habitude à déraciner, ordre ou défense à observer, peu importe, seulement ne demandez rien d'abord de bien difficile: obtenir un premier succès est essentiel. Comme l'objet auquel vous vous serez fixée aura déjà sans doute précédemment fourni matière à quelque reproche, montrez-vous décidée à en finir. Dites qu'à l'âge de l'enfant le menacer d'une punition serait une honte, et que s'il peut vous éviter d'en venir là, vous lui aurez de l'obligation. Alors consultez-le de bonne foi; cherchez avec lui quelque manière de rappeler à son souvenir la résolution qu'il est censé former d'éviter sa faute. S'il veut vous assurer qu'il n'y retombera pas, n'acceptez de lui aucune promesse. Il est trop peu maître de ses mouvements pour pouvoir répondre de lui-même, et la violation d'une promesse est un tort trop grave pour que vous consentiez à l'y exposer. Hors cela, acceptez le moyen, quel qu'il soit, qu'il proposera, et peut-être il se piquera d'en prouver le bon effet par sa conduite.
Toutefois, quand il n'en sera pas ainsi, gardez-vous de vous rebuter trop vite. Dites-lui avec tristesse, mais avec calme, qu'il faut malheureusement en venir à le menacer d'une punition, et choisissez-en de vous même une peu sensible, puisqu'alors il serait absurde de vouloir qu'il indiquât la manière de l'affliger. N'allez pas l'exempter de la punition en cas de rechute: tout serait perdu; le sentiment de son tort la lui fera subir sans murmure. Alors encore revenez à lui. En le consultant de nouveau sur les moyens d'éviter à lui et à vous un chagrin, dont vous aurez tous deux senti la force, vous lui prouverez que vous espérez encore de lui, et vous le relèverez dans sa propre estime. Avec de la fermeté et de la suite, il est bien probable que vous obtiendrez le point désiré, et vous pourrez après passer à un autre.
Cette marche qu'on peut longtemps suivre en mettant, à mesure que l'âge s'avance, plus de sévérité et de gravité dans la manière de consulter l'enfant; cette marche, dis-je, a le double avantage de lui donner un rôle actif dans la réforme de sa conduite et de n'amener jamais de rupture entre ses parents et lui. Ceux-ci comptent toujours sur l'allié qu'ils ont dans son coeur et ils n'aliènent pas sa volonté qu'ils supposent bonne. Lui-même apprend à se diviser en deux: le pécheur et la conscience, éternelle tâche de l'homme...
Ne nous faisons pas d'illusions. La culture des bons sentiments la mieux entendue est presque toujours insuffisante en éducation. Il va de fâcheux intervalles où les meilleurs mobiles n'agissent pas, et où une sorte d'endurcissement semble fermer l'accès à toute influence heureuse. Alors l'enfant paraît indifférent à l'idée du mal; des fautes commises sans regret, ne lui laissent pas de remords ensuite, et comme les torts n'amènent pas leur conséquence naturelle, la douleur, il faut avoir recours à des moyens extérieurs pour produire la repentance...
Une punition, pour être efficace et juste, doit avoir été annoncée d'avance et appliquée ensuite à un cas bien défini. Ce qui la rend efficace ce n'est pas du tout d'être forte, c'est d'être infaillible. Laissez-y le moindre hasard, l'enfant en court la chance assez volontiers, et peut trouver piquant d'en braver l'idée.
Ce dont il faut surtout se garder, c'est d'imaginer qu'on obtiendra par une aggravation de peine ce qu'on n'a pas obtenu d'abord. Le châtiment une fois subi, supposez l'enfant corrigé, accordez un pardon complet, et ne songez plus même aux menaces. Laissez là pour quelque temps cette partie de l'éducation, vraisemblablement l'oeuvre en sera faite.
Ceci s'applique en particulier à l'obstination. Quand un enfant se décide à refuser d'obéir, il est presque mal de l'y contraindre. Recourir à la violence dans le but de le forcer à céder, c'est le rendre lâche, c'est faire triompher la peur sur le courage, le physique sur le moral, l'animal sur l'homme. C'est là que la punition est fort à sa place; infligez-là rigoureusement s'il le faut, mais sans exiger ensuite que l'enfant exécute l'acte qu'il avait refusé d'exécuter. Le châtiment suffit pour attester vos droits. Ne parlez plus après du point contesté. Vous avez sauvé votre dignité sans blesser celle de l'enfance.
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