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L'attrait du gain, de la toilette et du plaisir
Le sujet qui m'a été proposé: «Instincts d'égoïsme et de matérialisme dans la jeunesse; comment les combattre ou les utiliser?» constate un état de fait qu'il serait inutile de vouloir nier. L'égoïsme et le matérialisme sont des plaies de notre temps et constituent à l'heure actuelle le plus redoutable obstacle au progrès moral et spirituel que nous rêvons pour le monde et pour l'humanité. Nous désirons lutter contre ces tendances et, si possible, soustraire à leur action la vie des jeunes dont nous avons à faire l'éducation. Comment lutter? Comment triompher?
Il faudrait un travail de longue haleine et de vaste envergure pour répondre à cette question. Aussi ne puis-je songer à la traiter dans son ensemble. Je me bornerai à quelques réflexions que m'a suggérées la lecture d'une liste des sujets que plusieurs abonnées du journal Aux Mères désiraient voir traiter cette année. L'une d'elle estimait nécessaire «une charge à fond contre l'égoïsme et le matérialisme de notre jeunesse masculine et féminine», et signalait «le gain, la toilette et le plaisir» comme «la trinité adorée» qu'il s'agit de détrôner à tout prix. Ces trois mots résument en effet les préoccupations d'une grande partie de notre jeunesse et il ne sera pas inutile de nous demander ce que nous avons à faire à cet égard.
C'est ici le cas de rappeler avant tout le proverbe bien connu et souvent si mal interprété: Charité bien ordonnée commence par soi-même. Autrement dit: la première chose à faire, c'est de nous demander si nous ne sommes pas entachés nous-mêmes de cet égoïsme et de ce matérialisme que l'on reproche à la jeunesse actuelle, - si, opposés en théorie à ces tendances, nous ne contribuons pas, dans la pratique, à les lui inculquer.
Déjà avant la guerre, la vie était difficile pour bon nombre d'entre nous. Cependant les divertissements de tout genre et les occasions de dépense se multipliaient. Le goût du luxe et de la vie confortable devenait général et les plus sages se laissaient insensiblement entraîner. Les parents les plus tendres étaient les plus tentés d'accorder à leurs enfants des jouissances peu en rapport avec leurs moyens limités. Alors c'était l'exclamation souvent répétée: «Ah! si nous avions plus d'argent, si nous étions dans la situation de tel ou tel, nous pourrions nous accorder ceci ou cela, mais nous n'en avons pas les moyens!» Si bien qu'aux yeux des jeunes, l'argent finissait par devenir la chose désirable entre toutes.
Et depuis la guerre, n'avons-nous pas attribué aux circonstances matérielles une importance exagérée, au détriment des préoccupations spirituelles laissées provisoirement à l'arrière-plan? Beaucoup n'ont-ils pas été occupés avant tout à se procurer la plus grande quantité possible de denrées, quitte à tourner la loi, à esquiver les réglements et à léser ainsi leur prochain? Même dans les milieux en apparence les plus respectables, ces agissements n'ont-ils pas exercé une influence désastreuse sur la moralité de notre jeunesse qui en a pu conclure que l'important, c'est de savoir tricher dans une mesure raisonnable, afin de vivre aussi confortablement que possible?
Examinons-nous sérieusement et adoptons une ligne de conduite parfaitement honnête et désintéressée dans ce domaine. C'est par là, me semble-t-il, qu'il s'agit de commencer, si nous voulons lutter contre l'égoïsme et le matérialisme ambiants.
Reconnaissons aussi que le désir très légitime d'accorder à notre jeunesse plus de liberté, une plus forte dose d'initiative, un épanouissement plus complet, dégénère parfois en faiblesse et laisse le champ libre aux caprices et à l'égoïsme des jeunes, qui en arrivent à prendre leurs désirs pour des nécessités et à faire bon marché des égards dus au prochain. Dans ce cas, c'est à notre lâcheté et à notre sottise qu'il faut nous en prendre, et non à ceux qui en sont les victimes.
Mais, cela fait, allons plus profond et demandons-nous si tout est à blâmer dans ces tendances qu'on nous exhorte à combattre.
La recherche du gain, d'abord, est-elle blâmable? L'argent, dans l'état actuel de la société, est indispensable, nous le savons tous. Et cela, non seulement pour notre vie matérielle, mais aussi en une certaine mesure pour notre vie supérieure. Celui qui manque d'argent, ne manque pas seulement de pain, mais de loisirs, de repos d'esprit, de possibilité de se développer, de considération, surtout d'indépendance de pensée et d'action. Car l'homme qui dépend matériellement d'autrui, à un degré quelconque, n'est pas libre de dire et de faire ce que lui inspire son sentiment personnel. Il faut qu'il tienne compte de l'opinion de ceux qui l'emploient ou le secourent, et qui peuvent, d'un jour à l'autre, lui retirer son gagne-pain ou leur assistance. Il est donc tout à fait naturel que la jeunesse recherche l'argent et désire en gagner beaucoup.
La toilette? L'amour de la toilette n'est qu'une des manifestations du goût artistique, du sentiment de la beauté, - dévoyés souvent, je le veux bien, mais innés chez l'être humain. Une jeune fille qui ne serait pas enchantée de porter une jolie toilette mettant sa personne et sa figure en valeur, serait un monstre. Tous, nous admirons les fleurs, les beaux paysages, les oeuvres d'art; un bel enfant, une jolie femme réjouissent nos yeux. Pourquoi n'aimerions-nous pas à être bien vêtus, élégamment même? - si l'élégance nous sied. - Chacune de nous sait comme on se sent plus à l'aise dans une robe qui va bien que dans un costume mal ajusté, qui fait des faux-plis ou dont la coupe est ratée. Se sentir bien nous donne de l'assurance, de l'aplomb. J'avais une élève qui mettait toujours son meilleur costume pour subir ses examens; elle se sentait alors, disait-elle, plus sûre d'elle-même. Et n'y a-t-il pas dans une toilette combinée avec goût une satisfaction très légitime?
Et le plaisir, ce troisième élément de la trinité décriée! Cela encore, comme il est naturel à la jeunesse de le rechercher! La gaîté est un besoin, les récréations sont une nécessité pour l'esprit comme pour le corps. Une vie sans plaisir est presque la mort pour un être jeune. C'est par là qu'il s'évade d'une existence monotone, qu'il oublie un instant les soucis qui l'entourent, les souffrances d'un coeur souvent mal satisfait. Certains plaisirs sont un reconstituant, un tonique bienfaisant, la satisfaction d'un impérieux besoin de l'être.
Il ne s'agit donc point d'extirper les tendances que nous constatons. Cela est impossible, puisqu'elles sont dans une grande mesure normales et légitimes. Chercher à les déraciner, ce serait déformer les jeunes ou faire d'eux des hypocrites. Alors, que résoudre?
Il n'y a qu'un moyen de remédier à n'importe quelle tendance fâcheuse, de corriger n'importe quelle erreur: reconnaître les éléments de vérité et de bien qu'elles renferment, et développer ces éléments-là, en sorte qu'en se fortifiant ils éliminent tout naturellement les éléments mauvais. Ensuite orienter ces tendances, les utiliser, les sublimer - selon l'expression récemment créée par les psychologues - de manière à en faire des agents de progrès et de vie. Ici s'applique la parole du Christ: «Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir». Et ici, comme ailleurs, c'est sa parole qui nous trace la route à suivre.
Nous venons de voir que la recherche du gain, du plaisir, de la toilette, dérive en partie d'instincts élevés: besoin d'indépendance et d'épanouissement, amour du beau, bon goût, auxquels se mêlent, il est vrai, d'autres penchants moins nobles: ambition, légèreté, paresse, vanité. Pour éliminer peu à peu les seconds en fortifiant les premiers, commençons par admettre ces préoccupations naturelles à la jeunesse, et cherchons à en tirer parti. Nous ne pouvons empêcher une jeune fille, de n'importe quel milieu social, de s'occuper de sa toilette et de son apparence. Mais l'amener peu à peu à préférer les lignes simples et harmonieuses aux fanfreluches tapageuses, un ornement de bon goût - il y en a même à bon marché, - à une parure de clinquant, un tissu de bonne qualité à de la camelote, c'est élever son niveau intellectuel et moral. Lui faire sentir qu'une toilette soignée et gentille, si simple soit-elle, apporte dans la vie commune, à la table de famille ou à l'atelier, une note joyeuse, une impression de beauté, tout comme un bouquet de fleurs ou un objet d'art, c'est donner à ces préoccupations futiles une valeur de vie. Surtout c'est détourner sa pensée d'elle-même pour la porter sur autrui. C'est, par conséquent, lui faire faire un pas en avant, lui faire éprouver, dans un détail de la vie journalière, le sentiment de la solidarité avec ses semblables.
Supposez maintenant que, par tous les détails de la vie, nous fassions vivre la jeunesse qui nous entoure dans cette atmosphère de liberté et de don de soi tout à la fois, ne sera-ce pas la meilleure manière de triompher de l'égoïsme et du matérialisme qu'on lui reproche? Nous ne détruisons un penchant nuisible qu'en lui substituant des aspirations plus nobles et plus pures. A nous de chercher comment y parvenir, sans prêcher, sans faire de la morale, uniquement par notre manière d'envisager la vie et l'être humain, et par la contagion d'une pensée haute et large.
Et ce que nous disons de la toilette, nous pouvons le dire aussi du plaisir. Admettons simplement que le plaisir est nécessaire à la jeunesse et à son épanouissement complet. Et pour commencer, toutes les fois que nous le pouvons, faisons de son devoir un plaisir.
J'ai entendu un jour une dame qui, pour demander à son petit garçon de lui apporter une carafe d'eau, lui dit: «Je te permets d'aller remplir la carafe». Et l'enfant d'y courir tout joyeux et tout fier d'en être jugé capable. - Une autre amie me racontait que sa mère, n'ayant pas de bonne, faisait elle-même tout son ménage avec l'aide de ses enfants. Les jours les plus amusants, me dit-elle, étaient ceux où il y avait une accumulation de besogne. Ces jours-là, ma mère nous disait avec un entrain joyeux: «Enfants, aujourd'hui nous avons beaucoup à faire, il s'agit de nous y mettre vivement». Et il y avait tant de courage, tant de gaîté communicative dans sa voix que nous allions à l'ouvrage comme s'il se fût agi d'une fête.» Il est évident que pour beaucoup de mères accablées de travail, cette attitude est difficile, impossible même. Cependant nous pouvons toutes chercher à donner au devoir un aspect attrayant pour nos enfants, et aussi pour les jeunes bonnes et les jeunes ouvrières desquelles on réclame tellement plus d'efforts et de sérieux que l'on n'en exige des jeunes filles du même âge faisant partie de ce qu'on appelle la société.
Puis procurons aux jeunes les plaisirs simples, peu coûteux qui sont à leur portée: lectures, promenades, moments d'intimité familiale. Tirons parti de la curiosité naturelle à ceux qu'une vie trop dure n'a pas encore réduit à l'indifférence et à l'inertie. Intéressons-nous à ce qu'il les intéresse. Ils sont curieux de tout. Satisfaisons cette curiosité et quand nous n'en sommes pas capables, cherchons avec eux la réponse à leurs questions. Profitons des occasions qui se présentent, d'une lecture, d'une conversation, pour les inciter à se procurer des informations sur tel ou tel sujet, à rassembler des documents qui l'éclaireront, à collectionner des objets qui l'illustreront. Cet effort commun devient une joie. Un divertissement exceptionnel, de temps à autre, suffira à ceux dont la vie habituelle aura pris ce caractère de joie simple et saine. Et nous habituerons ainsi leur esprit à se fixer, à s'occuper sérieusement, nous les arracherons à la superficialité qui cherche dans des distractions extérieures une compensation au vide de la pensée.
Pourquoi faut-il, hélas, que précisément ces joies simples et légitimes soient refusées à la plupart des êtres humains? On reproche à la classe ouvrière de courir après le plaisir et de dépenser en divertissements l'argent péniblement gagné. On oublie que l'homme ne vit pas seulement de pain et que, si les circonstances de famille, de santé, de logement, ne lui permettent pas de faire de sa demeure un lieu de bonheur, il est fatalement entraîné à chercher au dehors les distractions et les stimulants dont il a besoin. Et une fois cette habitude prise, il est bien difficile d'y renoncer. Heureusement, on commence à comprendre que c'est en procurant à la jeunesse laborieuse des joies simples et saines qu'on luttera le mieux contre la soif exagérée de plaisir. Il se fonde des Clubs de jeunesse où les jeunes filles qui ont travaillé tout le jour se récréent, dansent, jouent, passent ensemble de gaies soirées. Parfois des causeries à leur portée leur apportent des éléments d'instruction et de développement intellectuel et moral. Parfois aussi elles s'unissent dans un travail commun. Et l'on est étonné des ressources, de l'entrain, de la bonne volonté qu'on rencontre chez ces jeunes avec, lesquels on se borne à être jeune, sans leur faire la leçon, mais en participant à leur vie tout simplement, et en leur permettant d'être eux-mêmes, avec toute leur spontanéité, sans attendre d'eux une perfection prématurée. A plus forte raison, combien les parents auxquels leur position permet de créer autour d'eux la joie, doivent-ils s'appliquer à ne laisser la vie de famille dégénérer ni en une association où règnent le mécontentement et la contrainte, ni en une réunion anarchique où la liberté devient un sans-gêne déplaisant.
Cependant ne laissons pas les jeunes jouir en égoïstes des joies que nous leur procurons. Presque tous les enfants sont sociables de nature. C'est nous qui mettons des entraves à leur besoin d'expansion, à leur bonne camaraderie avec n'importe quels compagnons de leur âge, si bien qu'ils deviennent avec les années des êtres sans élan et sans générosité. Rendons-les attentifs, au contraire, à ce qui se passe autour d'eux, à ce qu'éprouvent de moins privilégiés. Qu'ils apprennent par expérience qu'un plaisir partagé est un plaisir doublé. Qu'ils ne s'habituent pas à être heureux tout seuls, ni surtout aux dépens des autres. Qu'ils connaissent de bonne heure la joie du sacrifice. Une jeune fille qui s'en va gaîment à une fête, décidée à ce que, là où elle sera, personne ne s'ennuie ou ne se sente isolé et laissé de côté, peut y aller impunément. La préoccupation du bonheur des autres sera sa meilleure sauvegarde.
Mais la recherche du gain, peut-elle se légitimer aussi et devenir un agent de progrès? Certes, car elle peut développer la volonté, la persévérance, et s'accompagner d'un travail intelligent et consciencieux. Au reste, un gain assuré et suffisant peut seul nous procurer l'existence véritablement humaine à laquelle nous devons tous aspirer. Il est donc juste que les jeunes ne se contentent pas d'un salaire médiocre, mais réclament une rétribution équitable de leur travail. Malheureusement nous connaissons tous bon nombre de jeunes dont l'ambition suprême est de gagner beaucoup en travaillant peu ou pas du tout. Comment lutter contre ce goût de la vie facile et ce mépris de l'effort?
Par l'exemple tout d'abord. Quand les enfants nous entendent gémir sur la besogne qui nous est échue, quand ils nous voient aller au travail à contre-coeur, comme s'il s'agissait d'une pénitence, comment ne se figureraient-ils pas que l'idéal serait de n'avoir rien à faire, ou le moins possible? Veillons sur nous-même à cet égard, je serais étonnée que nous fussions sans reproche sur ce point.
Ensuite cherchons à procurer aux jeunes le travail, quel qu'il soit, qui correspond à leurs dons et à leurs facultés et non celui que notre vanité ou d'autres considérations mondaines voudraient leur imposer. Le préjugé qui consiste à considérer certaines vocations comme au-dessous de la dignité de gens dits cultivés, est une des raisons de la paresse de bien des jeunes. On les oblige à cultiver des dons qu'ils n'ont point, on les empêche d'embrasser une carrière qui ne convient pas, dit-on, à des gens de leur condition. Comment voulez-vous qu'ils accomplissent volontiers une besogne qu'ils sont incapables de mener à bien? On ne s'acquitte avec courage que de ce dont on sait pouvoir s'acquitter avec succès. Un médecin de ma connaissance, très connu, perdit toute sa fortune par la faute d'un ami. Père de dix enfants, il dut changer son train de maison, et ses filles durent se mettre immédiatement à gagner leur vie. L'une d'elle n'avait aucun talent particulier, aucune corde à son arc. Mais elle aimait les tout-petits; elle se fit bonne d'enfants, tout simplement. Et elle n'eut jamais lieu de le regretter. Il n'y a pas de sot métier. En convaincre parents et enfants, ce serait rentrer dans la voie de la vérité, permettre à un grand nombre de parasites de se procurer un gain honnête et de retrouver avec un travail approprié, la joie de vivre.
Intéressons aussi les jeunes à leur travail en leur en montrant les résultats possibles et la portée générale. On fait mieux ce dont on comprend l'utilité et la valeur. En apprenant à connaître la raison pour laquelle tel travail doit être accompli de telle manière et dans telles conditions, en se rendant compte de la place que leur petite besogne particulière occupe dans l'ensemble de l'effort humain, ils sentiront mieux qu'ils n'ont pas le droit de s'y soustraire.
Puis cherchons à assigner à leurs efforts un but digne d'exciter leur ambition, au meilleur sens de ce mot. Proposons à leur imagination des exemples qui les stimulent. Parlons-leur des progrès apportés dans le monde, non seulement par des inventeurs, des savants, des artistes, des philanthropes, mais surtout par la foule des travailleurs anonymes dont le labeur obscur a secondé celui des chefs de file et permis la marche en avant de l'humanité.
Et enfin, que la pensée du gain s'associe toujours pour eux à celle de l'emploi généreux qu'ils en feront, même s'il faut pour cela s'imposer quelque sacrifice. Qu'ils ne se croient point le droit de profiter seuls de ce qu'ils n'ont pu acquérir seuls. Et que la joie de venir en aide à leurs proches, ou à de moins privilégiés qu'eux, soit ce qui donne pour eux le plus de prix à l'argent gagné. Il y a des habitudes de penser et de sentir qui se prennent inconsciemment dans l'atmosphère de la famille et de l'entourage. A nous donc de leur inculquer, par l'action communicative de notre vie journalière, certaines notions qui deviendront sans qu'ils s'en doutent les mobiles de leur activité. Nous comptons beaucoup trop peu sur cette contagion spirituelle dans nos rapports avec les jeunes auxquels notre attitude habituelle peut inspirer tout naturellement des habitudes simples, le respect du travail, la sollicitude pour les humbles, la justice envers les déshérités, la noble ambition de peiner non pour soi seul, mais pour la collectivité. Nous comptons aussi trop peu sur cette contagion spirituelle dans nos rapports avec ceux qui travaillent pour nous. Si nous connaissions les impressions des jeunes qui nous entourent, nous serions étonnés de voir combien ils travaillent avec plus de plaisir pour certaines personnes que pour d'autres, combien la question du gain est souvent secondaire à leurs yeux en regard de l'accueil plus ou moins gracieux et encourageant qu'ils rencontrent. Il y a plus de désintéressement que nous ne nous le figurons chez l'être neuf qui n'a pas encore été corrompu par la vie que nous lui faisons.
Je conclus. Au lieu de constater avec indignation les progrès de l'égoïsme et du matérialisme parmi la jeunesse qui grandit, travaillons à donner aux puissances qui s'agitent en elle l'orientation qui en fera des forces de vie, cherchons à élever ces forces à une hauteur où elles pourront coopérer à la grande oeuvre de rénovation morale et matérielle qui est, à l'heure actuelle, la tâche de chaque individu comme celle de l'humanité tout entière.
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