Accueil
   

 

 

 

RECHERCHES
Rechercher un mot dans les articles:


Recherche avancée
• par mots
• par thèmes

ARCHIVES DE TOUS LES ARTICLES



AUTRES MENUS
ACCUEIL
ADRESSES
  • Adresses utiles
  • Bibliographie
  • Liens Internet
LE JOURNAL






Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
Pour les pays lointains et si vous ne désirez pas profiter de la version papier, un abonnement sous forme de pdf est accessible au même prix annuel de CHF 30. Il vous donne un accès complet aux archives
RETOUR

Tragédies vécues

Vaincre la volonté d'un enfant par la force brutale ou annihiler cette volonté par une compression morale plus fatale encore et qui ne laisse aucune place aux explications et au repentir, telles sont, trop souvent, les punitions infligées au nom du bien de l'enfant. Mais elles ne le rendent pas meilleur et manquent complètement leur but.

Une dame raconte un incident de son enfance dont elle a gardé le plus pénible souvenir.

«Mes parents, dit-elle, appartenaient à l'ancien régime et exerçaient à notre égard la plus rigide discipline; ils estimaient qu'aucune faute ne doit échapper au châtiment. Un jour, ma mère avait confectionné pour le dîner certains gâteaux que nous aimions beaucoup et j'en avais eu une large part.

Dans l'après-midi je lui demandais si je pouvais en avoir encore un pour faire la dînette avec mes poupées?

- La bonne a dit à ton frère qu'il n'en restait plus qu'un, répondit-elle, et j'ai promis à Henri qu'il l'aurait lorsqu'il rentrera.

- Mais, maman, il en restait plusieurs dans le plat?

Ne recevant pas de réponse j'insistai:

- S'il y en a plus d'un, puis-le le prendre?

- Oui, mais fais attention d'en laisser un pour ton frère.

Le plat aux gâteaux était en haut du buffet, et je n'étais qu'une toute petite fille, je montai donc sur une chaise et me haussant sur la pointe des pieds, j'atteignis le plat qui était creux. Je sentis au fond un gâteau que j'attirai avec peine, mais c'était celui d'Henri, et je le laissai retomber. Peut-être y en avait-il un autre? La chaise avait glissé et j'étais maintenant tout au bord; quand j'eus rétabli mon équilibre, j'attirai de nouveau un gâteau: celui-là était le mien!

J'eus une charmante dînette et comme je ramassais les miettes, l'entendis mon frère dire à la bonne: «M'avezvous gardé mon gâteau?» Oui, répondit-elle en allant vers le buffet.

Quelques minutes après, ma mère m'appela: «Nelly, dit-elle de ce ton sévère qui me faisait toujours trembler, montez au grenier, et restez-y jusqu'à ce que je vienne vous chercher». Ma joie s'envola, mon coeur battit avec force, tout devint sombre dans mon esprit, car je ne savais pas de quoi j'étais accusée, et jamais petite fille plus désolée ne monta l'escalier en échelle qui conduisait au haut de la maison.

Ma mère était une bonne personne et j'honore sa mémoire, mais dans mon enfance, quand j'avais commis une faute, elle me semblait une sorte de Némésis vengeresse que rien ne pouvait fléchir. Je l'aimais quand elle était tendre et affectueuse, ce qui arrivait quelquefois, mais mon esprit n'était pas assez développé pour comprendre que son coeur restait le même lorsqu'elle me punissait, je ne ressentais alors que de la crainte et je me révoltais.

J'étais depuis une heure au grenier quand ma mère me fit chercher.

- Pourquoi m'avez-vous désobéi, mademoiselle, en prenant le gâteau de votre frère? dit-elle de sa voix la plus rude.

- C'était le mien, répondis-je.

- Ne vous avais-je pas dit de le laisser pour Henri?

- J'ai laissé le sien et pris le mien.

- Il n'y avait qu'un gâteau.

- Il y en avait deux!

Ma mère parut indignée de tant d'effronterie et de ce qu'elle croyait un mensonge.

- Nelly s'écria-t-elle en me secouant très fort; pensez-vous échapper à la punition en disant une fausseté? Retournez au grenier et restez-y jusqu'à ce soir.

La vie m'a apporté bien des épreuves, ajoute l'auteur de ce récit, de lourds fardeaux m'ont souvent oppressée; mais je n'ai jamais rien senti de semblable à la douleur qui étreignit mon coeur d'enfant quand je remontai l'escalier du sombre grenier.

J'étais une grande jeune fille lorsque, repassant en mon esprit ce triste souvenir, je compris enfin que le gâteau que j'avais pris était peut-être le même que celui que je venais de remettre? Ma mère était morte alors, et rien ne pouvait effacer l'impression de méfiance que cet incident avait produite dans nos deux coeurs, la barrière qu'il avait élevée entre elle et moi ne pouvait plus être abattue.»

Si des punitions injustes peuvent aigrir le coeur des enfants, que dirons-nous de cet abus de la force brutale s'exerçant sur leurs corps; ferment de rancune et parfois de haine entre leurs parents et eux, ces châtiments, au lieu de provoquer le repentir, produisent le découragement, la révolte et souvent la ruine de l'âme.

Un vieux pasteur racontait une fois avec douleur ce qu'il appelait une «Tragédie de la vie.»

Un jour, comme il se disposait à entrer chez une de ses paroissiennes renommée pour sa piété, des cris d'enfant parvinrent à son oreille; le pauvre garçon paraissait fou de souffrance et de terreur. Emu de compassion, le ministre aurait voulu aller à son secours comme il l'aurait fait pour un oiseau pris au piège, mais il se souvint que les parents ont le droit de punir leurs enfants et ne crut pas devoir intervenir.

La femme, qui venait de frapper si cruellement son enfant, reçut aimablement le pasteur; mais il la quitta bientôt et en traversant une ruelle il se trouva tout à coup auprès d'un enfant de sept à huit ans, étendu par terre et qui sanglotait de colère et de douleur. Il s'arrêta pour lui parler, mais l'enfant continuait à crier et son visage, qu'il cachait en partie avec ses mains, était défiguré par les coups. Le ministre se penchant sur le pauvre enfant lui dit tendrement: «Tommy, savez-vous que je vous aime?»

Le garçon alors leva la tête et répondit: «Non, vous ne m'aimez-pas, et personne ne m'aime et je n'aime personne.»

Le temps s'écoula, Tommy était considéré dans le village comme un mauvais garçon, et l'on plaignait sa mère qui passait, aux yeux de tous, pour une femme exemplaire.

«Il semble vraiment que certains enfants sont nés pour faire le mal», disait-on en parlant de lui.

Bien des années plus tard le pasteur, qui avait changé de paroisse, visitait la prison d'une grande ville, lorsqu'un jeune homme au regard intelligent lui demanda: «Me reconnaissez-vous?»

Le ministre saisit la main de celui qui lui parlait et dit tristement:

- Est-ce vous, Tommy? Comment êtes-vous ici, mon garçon?

- C'est ma mère qui m'y a envoyé, monsieur.

Le pasteur n'avait jamais oublié les cris de terreur poussés par l'enfant, ni cette pauvre petite créature gisant à terre dans les convulsions de la douleur et de la colère.

- Votre mère n'était-elle pas bonne, Tommy?

- C'est possible, oui, à certains égards, mais, quant à élever un garçon, elle n'en savait pas plus qu'une... (ici le prisonnier s'arrêta pour chercher une expression qui ne choquât pas trop son interlocuteur) pas plus qu'une païenne. Elle a maintenant le coeur brisé et c'est moi qui suis la cause de son malheur. Je crois qu'elle m'aimait, et cependant, je suis devenu ce qu'elle m'a fait. Le pasteur remarqua l'amertume qui faisait trembler la voix du jeune homme et la dure expression de son visage.

- C'est une terrible accusation que vous portez là, dit-il. C'est une chose affreuse de rejeter ainsi sur un autre son fardeau de péché, et surtout sur sa mère.

- Le jour, répondit-il, où vous m'avez vu étendu par terre, me débattant comme un furieux, ma mère croyait que j'avais pris de l'argent dans sa bourse et m'en accusa; en vérité, je ne l'avais pas pris et elle le reconnut plus tard; mais elle le croyait alors et me battit jusqu'à ce que j'eusse avoué, ce que pourtant le n'avais pas fait. Ce fut le premier pas sur la route qui m'a amené ici - mon honneur d'enfant avait été souillé, et depuis ce moment, il n'y a jamais eu que de la méfiance entre ma mère et moi. Peut-être aurait-elle fait de moi un bon garçon si elle avait su comment s'y prendre, mais elle ne le savait pas.









www.entretiens.ch fait partie du réseau « NETOPERA - culture - société - éducation sur Internet » et pour la photographie PhotOpera - Uneparjour || DEI - Défense des Enfants - International
ROUSSEAU 13: pour allumer les lumières - 300 de Rousseau  ROUSSEAU 13: les IMPOSTURES - 300 de Rousseau - portraits déviés PHOTOGRAPHIE:Nicolas Faure - photographe d'une Suisse moderne - Le visage est une fiction - photographie de l'image brute - Laurent Sandoz - comédien et acteur professionnel - Genève