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Pour Noël
Fragments
Entre petit Paul! entre Martin! Et puis Marguerite, et puis Madeleine, et puis Jean! . . . . Bien. . . . Les petits d'abord, les grands ensuite . . . . Allez, regardez, prenez . . . . et venez m'embrasser après . . . .
- Non, dit Madeleine, avant!
Et elle sauta, toute rayonnante, à son cou,
C'était un homme heureux que ce père, ce soir-là. Au milieu des plus importants soucis, il savait être tout à ses enfants, tout à leurs peines, tout à leurs joies. Que ne l'eussiez-vous vu préparer l'arbre! Sa main tremblait de bonheur en allumant les petites bougies, et à chaque petit cadeau qu'il suspendait aux branches, vous l'auriez entendu qui murmurait une bénédiction pour l'enfant, à qui ce cadeau allait échoir.
Ils étaient petits les cadeaux, car l'homme était pauvre. Et pourtant c'était un grand homme! C'était le docteur Martin Luther.
Un an après, le 24 décembre 1542, le matin, vers dix heures, Luther était dans sa chambre travaillant; du moins avait-il dit en y entrant: «Je vais travailler».
Deux ou trois fois déjà Catherine y était entrée, arrangeant ceci ou cela, peut-être dérangeant, car elle n'avait pas trop l'air de savoir ce qu'elle faisait.
La première fois, elle avait trouvé le Réformateur assis, sa Bible devant lui. Lisait-il? Priait-il? Elle n'avait pu le savoir. Une seconde fois il était devant la fenêtre, le regard perdu dans le ciel gris. Une troisième, il s'était rassis devant sa Bible, immobile encore et les mains jointes.
Elle approcha doucement, et lui mit la main sur l'épaule.
- Cher docteur, dix heures, bientôt onze . . . . Alors il se retourna. Deux grosses larmes coulaient le long de ses joues.
- Et pourras-tu, dit-il, toi? . . . .
- Moi? . . . . Oui, Dieu m'en donnera la force.
-Eh bien, à moi aussi, Catherine, à moi aussi . . . Va dire aux enfants qu'ils auront l'arbre. Ne sont-ils pas encore quatre? Merci, Seigneur, merci! . . . . Et si je n'avais eu qu'elle? S'il ne me restait rien? . . . . 0 Seigneur! je suis un ingrat . . . . Va, Catherine, va .... Prépare tout. Il sera ici dans un quart d'heure . . . .
Un quart d'heure après, en effet, Luther rentrait chez lui avec le sapin sur l'épaule. Les gens se découvraient, comme si le cercueil de Madeleine eût passé encore une fois dans Wittemberg en pleurs, et le vieux paysan qui venait de lui vendre l'arbre lui avait dit, tout ému: «Docteur Martin, Dieu vous bénisse!»
Enfin, le soir est venu, et les enfants, dans la chambre voisine, attendent. La porte s'ouvre, mais le père ne les nomme pas par leur nom; il craindrait d'en dire un de trop.
Ils entrent, mais en silence. Bientôt, pourtant, l'arbre produit son effet ordinaire. Les cadeaux sont distribués. On cause d'abord tout bas, puis plus haut; on va et vient tout doucement, puis on court; on étouffe les rires, puis on les laisse s'envoler, bruyant essaim de ces notes fraîches, vibrantes, qui vous retrempent le coeur.
Le coeur du père essaya d'abord de lutter. Debout comme l'autre année, devant le grand poêle de faïence, Catherine à sa droite, Mélanchton à sa gauche, il éprouvait comme une douloureuse indignation de voir que rien ne parût changé. Mais, peu à peu, cette indignation s'apaisa. Madeleine, consultée, aurait permis, aurait demandé la fête . . . . Et Luther, à cette pensée, se réconciliait avec la fête; et il commençait à entrevoir, près de l'arbre, vivante et souriante, heureuse du bonheur des autres, l'aimable soeur des quatre enfants. Puis, Noël, c'est toujours Noël, le jour de la grande joie il peut ramener des larmes, mais il les ramène adoucies, épurées, sanctifiées.
Luther doutait cependant encore de son courage et de sa force.
Philippe, dit-il, c'est toi qui parleras aujourd'hui à ces enfants.
- Et je leur dirai?
- Ce que tu voudras.
- Volontiers. Mais vous leur direz, vous, tout le contraire. . . .
- Moi, Philippe!
- Hélas, oui. Si Martin Luther se montre abattu, vaincu, qui me croira quand je dirai que Jésus console et fortifie?
Il réfléchit un moment, puis:
- Philippe, tu as raison. Le disciple, a été plus sage que le maître. Appelle-les. . . .
Que leur dit-il ce soir là?
Il parla de Jésus consolateur, et il en parla de telle façon que la preuve éclatait en chacune de ses paroles. On sentait l'homme consolé, mais consolé d'en-haut; on assistait, en quelque sorte, à ce travail intime de la consolation par l'Esprit-Saint, celle qui n'est pas seulement consolation, mais régénération et vie nouvelle. Il était calme, presque froid, chose rare chez lui; mais cette froideur était celle de la conviction pleine, de la foi déjà changée en vue. On écoutait avec le même calme, mais grâce à la même foi, qui rayonnait, puissante, autour de lui. Les enfants n'avaient encore jamais si bien mesuré le vide, ni si bien compris, en même temps, comment on retrouve, en Jésus, ceux qui ne sont plus. La mère même ne pleurait pas.
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