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L'éducation de nous-mêmes par nos enfants
Le premier don que nous apportent nos enfants, c'est le besoin d'aimer les autres enfants, et à travers eux, leur mère; c'est de faire tressaillir en nous le sentiment d'humanité et de solidarité.
Avec nos enfants nous entrons en relation directe avec Dieu et avec l'humanité.
Avec Dieu parce que c'est de Dieu que provient la vie, parce que pour notre enfant qui est faible il nous faut faire à tout moment un acte de foi qui nous mette en communion avec Dieu; parce qu'un enfant, c'est un espoir, c'est une promesse, c'est en nous le plus pur et le plus désintéressé désir de bien et de mieux. Parce que pour notre enfant nous devons vivre sans égoïsme, dans la vision de la perfection, dans la confiance, et que tout cela nous mène à Dieu.
Mais si par notre enfant nous entrons en relation avec l'invisible, par lui aussi nous formons des liens intimes avec l'humanité. Rien ne sépare deux mères, aucune situation sociale, aucune différence de caractère et de nature ne peut empêcher cette communion merveilleuse, spontanée en leurs enfants. Et je trouve cela admirable et je voudrais que cette communion instinctive, nous l'éprouvions plus souvent et que nous ne fermions pas notre coeur quand nous l'avons éprouvée.
Par nos enfants nous rentrons dans le vrai. Nous sommes semblables à toutes les mères dans nos espoirs, nos souffrances et notre amour. Donner la vie, aimer nos enfants, les élever, cela ne représente-t-il pas dans tous les coeurs de mères la même chose?
Et puis, par nos enfants, nous sortons de notre pauvre vie individuelle, nous entrons en contact avec le grand courant de la vie. Nous espérons toujours que notre enfant sera une force plus grande que nous n'avons pu être.
Tout ce que nous lui donnons, tout ce que nous lui confions, ce que nous lui sacrifions, c'est pour qu'il le fasse rayonner plus loin que notre sphère.
Et par nos fils et nos filles, nos vies de femmes souvent rétrécies, s'élargissent à l'infini, notre influence se multiplie, nous prenons contact avec tant de vies différentes, nous apprenons à connaître tant de difficultes diverses, de natures diverses, nous ne restons pas seules, nous sommes un lien, un anneau. Il y a des natures riches, aimantes, qui peuvent être sans effort en contact avec l'humanité; pour d'autres il faut ce grand éducateur d'âme qu'est l'enfant, pour les arracher à elles-mêmes, ouvrir leur coeur faire circuler l'amour et la vie.
Les idées ont peu de puissance sur nous pour nous transformer; quand il s'agit de nous, la théorie ne nous aide pas. Ce sont nos affections qui sont nos grandes éducatrices. Nous vivons par le coeur, toutes nos puissances et nos possibilités sont dans ce domaine. L'amour nous éduque déjà, nous élève et augmente en nous le désir de la perfection. Mais il faut une secousse morale en nous encore plus grande, un déplacement du centre de notre vie, pour que ces liens étroits de notre égoïsme se relâchent. Et c'est l'amour maternel qui produit cette révélation. «C'est par lui que nous apprenons à connaître le véritable dévouement, cette consécration entière d'une âme qui n'attend aucun retour égal pour ce qu'elle donne, aucun bonheur pareil à celui qu'elle veut procurer».
Et l'être que nous aimons ainsi agit sur nous avant sa naissance, son influence se fait sentir sur nous bien avant même que nous l'ayons dans nos bras.
Notre âme a besoin de s'évader vers les puissances spirituelles qui nous enveloppent et nous dépassent. Par le mystère de la vie qui se forme en nous, nous sommes en relation avec cette vie spirituelle.
Le don de la vie est divin et nous sommes par notre enfant en relation avec le divin.
L'enfant que nous ne voyons pas, auquel nous pensons sans cesse, crée en nous une vie intérieure si nous n'en possédons pas encore, l'augmente si nous la possédons. Avez-vous remarqué l'apparence recueillie de la femme qui attend un enfant, qui a ce regard intérieur tourné vers les choses invisibles, vers ce trésor qu'elle voit avec son âme, son amour maternel et tout son passionné espoir.
Déjà avant d'avoir notre enfant, nous commençons à expérimenter ce qui va être la base de notre perfectionnement moral pendant toute l'éducation de cet enfant.
Nous sommes unies à Dieu par un lien sacré puisque c'est de lui que nous recevons une âme. Nous avons le sentiment de notre impuissance et un intense désir de purification.
L'enfant naît, et pendant cette première année nous nous privons trop souvent des joies les plus grandes, de tout ce que nos petits ont à nous donner de plus rafraîchissant, de plus «nature». Souvent nous confions nos enfants à des bonnes; quand nous ne pouvons pas les nourrir, comme ils sont peu à nous! Je regrette tant maintenant ce que je n'ai pas eu de mes enfants tout petits, que j'ai besoin de le dire à toutes les mères qui ont encore ces joies devant elles pour qu'elles ne s'en privent pas.
Et j'en reviens au factice de nos vies, à certaines obligations que nous nous créons, à bien des devoirs extérieurs souvent inutiles. Ne serait-il pas préférable d'être tout simplement des mères? Ne rentrerions-nous pas dans l'ordre, dans l'harmonie, dans la vérité, en donnant plus de notre temps à nos enfants tout petits? Il y a tant d'agitation dans nos vies, tant de nervosité, tant de fatigues inutiles, toujours avec le désir d'être autre chose, d'être ailleurs. Notre vie ne serait-elle pas plus harmonieuse et sereine, si elle prenait davantage pour centre le petit enfant, si materiellement nous nous occupions davantage de lui, si nous avions la satisfaction de l'avoir plus à nous, si nous sentions entre lui et nous ces liens secrets et exquis de dépendance et de reconnaissance!
Il faut savoir perdre beaucoup de temps avec les tout petits, sans cela ils ne sont pas nôtres, et eux ne nous sentent pas à eux. Ce n'est d'ailleurs pas du temps perdu, car cette tendresse donnée sans compter par la mère, cet échange qui ne peut se mettre en mots, de sourires, de regards, tout cela, ce sont des liens qui restent entre la mère et l'enfant, entre l'enfant et la mère, liens palpitants d'amour, non pas intellectuels ni théoriques, mais instinctifs et nécessaires.
Je n'ai jamais rencontré de regards aussi aimants, aussi radieux, aussi adorant que ceux de certaines mères pauvres regardant leur enfant. Que ne leur donnent-elles pas d'elles-mêmes, et en échange que ne reçoivent-elles? Cette dépendance absolue du petit qui attend tout de sa mère, qui n'a qu'elle, qui ne connaît qu'elle, la connaissons-nous?
Il y aurait peut-être un peu moins de neurasthéniques, et de tristes et de soucieuses, si nous remplissions un peu plus nos devoirs naturels et maternels. Je crois que ce serait un retour à la nature, très bienfaisant.
Toute la première éducation de l'enfant ne se fait que par l'amour, donnons-lui en autant qu'il en demande, ne réservons pas notre temps et notre coeur. Tous les enfants éprouvent un instinctif besoin de sympathie et il leur faut à tout prix échanger leurs impressions, leurs étonnements. «Voyez ce petit assis sur vos genoux, comme il approche les jouets de votre visage afin que vous puissiez les considérer, voyez comme il vous regarde quand de son doigt il a produit un craquement sur là table. Entendez les enfants qui entrent dans la chambre en disant: «Maman, regarde ceci, maman, regarde cela», habitude qu'ils conserveraient longtemps, si, trop souvent, nous ne leur disions pas de nous laisser tranquilles. Ecoutons tout ce que l'enfant a à nous dire, encourageons-le à dire le plus qu'il peut, et nous apprendrons, à le connaître mieux, à trouver le chemin de son coeur, à garder sa confiance. Permettez-moi de vous citer une page de Mme Necker de Saussure qui vous ouvrira peut-être des horizons nouveaux:
«Dans les familles pauvres où la mère a du bon sens, de la douceur, les petits enfants sont peut-être plus raisonnables, plus avancés que les autres; aussi jouissent-ils d 'un avantage particulier: ils s'intéressent à tout ce qu'ils voient; ils le conçoivent et y prennent part. Toutes les occupations du ménage sont à leur portée: souvent ils peuvent s'y associer. Laver, étendre du linge, éplucher, cuire du légume, cette suite de travaux variés dont ils sont témoins, qu'ils aident même à exécuter, donnent de l'exercice à leur esprit, leur impose le goût de se rendre utiles tout en les amusant beaucoup. Occupés, sans qu'on s'occupe d'eux, leur vie n'est pas en eux-mêmes, ils ont le sentiment d'un intérêt commun, auquel chacun doit concourir selon sa force. Que peut-il y avoir de mieux pour un petit enfant?»
L'enfant grandit et c'est alors que la véritable éducation de nous-même commence. Cette éducation est infinie car elle tient à toute la vie, elle varie suivant chaque nature de parents et d'enfants, suivant les difficultés diverses qui nous attendent. Aussi n'ai-je pas la prétention d'étudier tous les côtés, de sonder toutes les profondeurs du travail sur nous-mêmes que nous sommes appelées à faire pour élever nos enfants. Je ne vous apporte que quelques réflexions tirées de mes expériences. A chacune de prolonger les lignes en s'inspirant des siennes propres.
(A suivre).
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