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L'éducation de nous-mêmes par nos enfants
(suite)
Elever nos enfants agit directement sur notre éducation intellectuelle, sur notre éducation morale, sur notre éducation religieuse.
Notre éducation intellectuelle d'abord. Pouvons nous enseigner à un enfant ce que nous ne savons pas parfaitement? Ne sommes-nous pas obligés de rapprendre à nouveau, de nous assimiler plus complètement les connaissances que nous voulons lui donner?
L'esprit de l'enfant se refuse à recevoir ce qui n'est pas clair. Quel travail pour nous qui accumulons dans notre cerveau toute une série de connaissances vagues, qui nous contentons trop souvent de mots tout faits, quand il s'agit tout simplement d'expliquer à un enfant un fait précis, de répondre à une de ses questions. Que d'ignorance en nous, que de connaissances superficielles! Et comme il nous est bon de recommencer à apprendre, pour nos enfants, avec nos enfants; tout ce que nous avons à leur enseigner, nous le saisirons mieux.
L'enfant qui grandit, qui observe, qui est passionnement curieux de tout ce qui est si nouveau pour lui, a un grand besoin d'échange intellectuel avec nous. Tout petit, il avait surtout besoin de ce lien de tendresse, maintenant il vient pour un échange de pensées. Alors comme il est nécessaire de ne pas le décevoir, de répondre à ses questions, de savoir nous intéresser à tout ce qui l'attire, le séduit et le captive. Et comment le ferions-nous, si nous ne gardions pas un intérêt vivant pour toutes les choses de l'esprit, si nous n'exercions pas notre intelligence au travail; et nous ne verserons pas dans l'intellectualisme déplaisant chez une femme, nous ne deviendrons pas des bas-bleus, nous resterons dans la vérité, la réalité de nos devoirs. Nous chercherons à nous développer pour nos enfants, et nous nous donnerons cette joie de lire avec eux, de partager leurs enthousiasmes, de les initier à certaines beautés littéraires ou artistiques.
Quel stimulant pour notre vie intellectuelle que l'enfant avide de tout savoir et de tout connaître!
Mais dans le domaine moral, comme le champ est plus vaste encore, et notre développement personnel important.
Pour élever un enfant il faut former un caractère, il faut donc avoir un caractère soi-même, il faut fortifier, approfondir ce qu'il y a de spirituel dans notre nature, il faut approfondir notre vie intérieure.
Le petit enfant a une divination extraordinaire de nos sentiments, il lit dans l'expression des traits de ceux qui l'environnent la sympathie, l'amour et la douleur. Il a un instinct merveilleux pour comprendre ceux qui l'aiment, ceux qui sont vraiment bons, et ceux qui sont vraiment purs. L'instinct des enfants est étonnamment sûr, et c'est cette divination de notre âme, qui fait de lui le meilleur éducateur.
Pour influencer l'enfant, il faut donc avant tout être quelqu'un, être une personnalité morale. Nous ne l'attirerons ni ne l'éduquerons avec des mots, ni avec des théories. L'enfant a en lui un sens de la vérité et de la justice qui, si nous y pensons profondément, doit nous faire rentrer en nous-mêmes, souvent bien douloureusement.
L'enfant nous observe, il nous regarde vivre, il nous écoute parler. Y pensons-nous suffisamment? Sentons-nous ses regards fixes sur nous et ses oreilles attentives? Et je pense à nos colères, à nos impatiences, à la nervosité contre laquelle nous ne luttons pas, à ce ton aigre que l'enfant imite tout de suite. Quand nous nous sommes mises en colère devant une grande personne, nous le regrettons, nous nous excusons, notre tort est réparable. Mais si cela nous arrive devant un enfant, quel mal commettons-nous? Il ne comprend pas, il souffre, il a peur, il perd sa confiance en nous. Et ces défauts, qui nous paraissent insignifiants, excusables, nous font atrocement souffrir quand nous nous trouvons en présence d'un enfant. Mes plus amers retours sur moi-même, mes examens de conscience les plus douloureux ont été provoqués par certain regard étonné, interrogateur, malheureux d'un de mes enfants.
Voilà donc la première chose que nous apprenons d'eux, la possession de nous-mêmes.
Lorsque nous nous occupons d'oeuvres sociales, lorsque nous donnons notre temps à des comités, à des écoles du jeudi ou du dimanche, à des oeuvres de jeunesse, il nous est relativement facile d'être à la hauteur de notre tâche, ou de croire du moins que nous remplissons nos devoirs avec dévouement. Ce sont quelques heures que nous consacrons à ces activités; ce n'est qu'un côté de notre nature et de notre caractère qui s'y manifeste. Tandis qu'à notre foyer, auprès de nos enfants - si nous nous en occupons vraiment - il n'y a pas de vêtement d'emprunt, il n'y a pas de bonne humeur ou d'amabilité de circonstance, il y a nous-mêmes, telles que nous sommes, et là seulement nous nous voyons dans un miroir, crument; et chacune de nos imperfections nous fait souffrir, parce qu'elle a une répercussion directe sur nos enfants.
J'ai parlé de la colère et de l'impatience, mais que d'autres raisons de rentrer en soi-même! Les petits mensonges aux fournisseurs que nous faisons si habituellement et inconsciemment qu'il faut la remarque d'un enfant pour nous le faire réaliser. Il y a le mensonge aimable, le mensonge de société, les regrets ou les amabilités que l'on s'empresse d'exprimer à une visite et qui ne correspondent pas à ce qu'on a dit quelques minutes auparavant. Et de nouveau on rencontre le regard étonné de l'enfant.
Il y a les médisances, les paroles amères, l'histoire méchante répétée d'abord avec complaisance, et dont les mots s'arrêtent sur nos lèvres dès que le regard attentif d'un enfant rencontre le nôtre.
Mais il ne suffit pas de ne pas se fâcher, de ne pas dire de mensonges, ni du mal des autres devant lui; je vous l'ai déjà dit, l'enfant devine plus loin que les mots et les attitudes, il sent notre âme, et c'est elle qu'il faut transformer.
Et je vous demande de penser à tout ce qui est notre vie intime et nos rapports avec les autres, en sentant le regard pur d'un enfant posé sur vous. Ce regard sera plus infaillible que notre conscience même. Nos rapports avec notre mari? Comme les enfants souffrent du moindre désaccord entre leurs parents qu'ils chérissent, comme pour eux il faut chercher l'union la plus profonde! Nos rapports avec ceux que nous employons? Nos égoïsmes, notre dureté à leur égard! Comme les enfants ou nous imitent ou nous blâment dans leur coeur! Nos rapports avec les déshérités? Je me bornerai à citer ce mot d'un enfant: «Maman, pourquoi est-ce que les enfants pauvres aiment tellement les joujoux cassés?»
Et puis, il y a toute l'atmosphère qui doit régner autour de l'enfant, atmosphère de paix, de sécurité, de joie, de pureté que nous ne pourrons faire régner que si nous sommes nous-mêmes paisibles et pures.
La pureté? Avez-vous réfléchi à ce qu'elle doit être lorsque nous avons un enfant à élever? Il nous est relativement facile de ne pas parler devant les enfants de choses impures, d'arrêter certaines conversations lorsqu'ils entrent, de leur cacher certaines situations fausses ou douteuses. Et il nous semble avoir fait tout notre devoir de préservation lorsque nous avons agi ainsi. Je crois que l'enfant lit dans notre âme mieux que nous ne le pensons, et qu'il éprouve un malaise même de ce qu'il ne peut ni réaliser ni comprendre. Je crois que nous n'aurons jamais assez de délicatesse de conscience à ce sujet, que nous ne pourrons jamais purifier assez notre âme pour qu'aucune impression trouble ne vienne effleurer notre enfant.
Jamais la soif de perfection ne sera assez forte en nous lorsqu'il s'agit d'élever nos enfants. Jamais la vision de la perfection ne nous paraîtra plus désirable qu'à travers eux. «Vos enfants sont saints». «Je me sanctifie pour eux».
Mais il ne s'agit pas seulement de vivre le mieux possible à côté de ses enfants, il s'agit de les élever. Il n'y a, hélas! pas que de la pureté en eux et la divination de ce qui est bien et beau mise dans leur âme par Dieu; il y a le mal. Et si leur pureté nous éduque, le mal que nous retrouvons en eux agit aussi sur nous.
Comme nous sommes solidaires de leurs fautes, et quel écho elles trouvent dans notre coeur! Il y a d'abord le sentiment de notre responsabilité. Cette impression qu'en partie nous avons fait de nos enfants ce qu'ils sont. Il y a l'hérédité, cet héritage physique et moral dont la responsabilité doit peser sur nos coeurs.
Et alors, quand nous les voyons devoir lutter contre les mêmes défauts que nous connaissons trop bien, il y a en nous comme une grande détresse de toutes nos faiblesses et de toutes nos chutes, puis comme un bond vers la perfection et vers la sainteté, et pour eux, nous nous remettons à lutter avec un courage nouveau. Il nous semble que nos victoires les aident, que de lutter avec eux en nous contre le même mal les portera. Il nous semble que les sacrifices que nous ferons pour eux leur serviront et que Dieu aura pitié d'eux dans la mesure où nous aurons été nous-mêmes fidèle. Je crois que la moindre victoire sur nous-mêmes est un accroissement de forces non seulement pour nous, mais pour ceux qui nous entourent, et surtout ceux qui regardent à nous. Pensons-y quand notre vie intérieure diminue et quand nous sommes prêtes à nous laisser aller.
Tout effort que nous demandons à notre enfant, il nous faut l'accomplir. Si nous mettons cela en pratique, quelle transformation de notre vie et quel accomplissement fidèle de nos devoirs. Et je pense à toutes nos exigences pour nos enfants; nous les voudrions parfaits, soyons-le nous mêmes en réalisant qu'à toute heure nous ne leur montrons pas l'exemple digne d'être suivi: ordre, ponctualité, fidélité aux engagements, humeur égale... Je m'arrête, car il y aurait trop à dire et nous savons toutes ce qui nous manque.
Nous ne pouvons aider nos enfants à lutter contre le mal sans croire au bien. Et quel stimulant pour notre vie morale que cet acte de foi, de croire au bien. Décourager un enfant, lui dire qu'il est paresseux ou menteur, c'est faire un acte mauvais, c'est l'enliser dans le mal. Il faut à tout prix au contraire l'en sortir, ne s'adresser qu'à ce qu'il a de meilleur en lui, lui redonner confiance et pour cela ne devons-nous pas avoir confiance nous-même, ne devons-nous pas augmenter notre foi au bien?
Et si nous sommes portées au découragement, à la critique, à l'ironie, au scepticisme, si dans le fond de notre coeur nous disons: «à quoi bon!», ne devons-nous pas secouer tous ces miasmes mauvais, tous ces agents de mort, pour devenir des éducateurs dignes d'élever une âme d'enfant. Il nous faut toujours nous adresser à l'énergie morale profonde, à l'héroïsme, et pour cela il faut les connaître et y croire. Mais les défauts de nos enfants ne nous font pas toujours rentrer en nous-même, parfois ils nous exaspèrent. Et lorsque nous sentons une résistance nous voulons à tout prix la vaincre et notre orgueil est souvent en jeu quand il s'agit de faire plier un enfant. Et alors, dans cette volupté de rabaisser un plus faible que nous, il y a un grand mal auquel il faut que nous prenions garde. Apprenons le respect de l'enfant, de cet être faible qui nous est confié, et que cette faiblesse nous fasse le respecter davantage.
Si nous ne pouvons donner à nos enfants que ce que nous possédons, rien n'est plus vrai dans le domaine religieux.. Je refuse de parler à un enfant de ce que je ne crois pas.
Alors, avant de lui donner un enseignement religieux, il faut rentrer en nous-même, éprouver nos croyances, les faire nôtres à nouveau.
La seule chose essentielle dans l'éducation religieuse des enfants, c'est les mettre en contact direct avec le Christ et Dieu. Mais pour cela, ne faut-il pas que nous possédions nous-même cette relation directe? Pouvons-nous leur communiquer cette vie de l'esprit si elle n'a pas pénétré notre coeur, pouvons-nous leur faire aimer Dieu si
nous ne l'aimons pas nous-même?
Quelle épreuve saisissante, tragique, pour notre foi personnelle, que de faire connaître Dieu à un enfant! Et comme de chercher avec lui, pour lui, la vérité, nous rend plus humbles et plus conscientes de notre pauvreté spirituelle.
Parfois nos enfants nous aident à saisir cette vie spirituelle qui échappe à nos coeurs trop envahis par la vie terrestre et matérielle, par le visible. Il n'y a pas d'obstacle pour eux dans le domaine de l'esprit. Rien ne leur paraît impossible; ils sont si confiants, si prêts à accepter, et par là ils sont nos éducateurs; je pense à l'attitude des enfants devant la mort, à cette compréhension si naturelle du grand mystère. Leur âme est si réceptive, souvent directement en relation avec ce qui nous est caché.
Mais nos enfants ont une action plus directe encore sur notre vie religieuse et c'est peut-être leur action la plus profonde et la plus bienfaisante:
Plus ils grandissent, en effet, plus notre tâche devient délicate et difficile, plus nous souffrons de nos limites, des heurts de notre caractère avec celui de nos enfants. Ce sentiment de notre impuissance et de notre incapacité nous porte tout naturellement à chercher le secours en dehors de nous.
Comment élever nos enfants sans prier? Comment ne pas les remettre à toute heure entre les mains de Dieu? C'est dans cette prière incessante, continue, dans ce cri de mère pour nos enfants que commence et s'approfondit l'éducation intérieure de notre caractère et de notre âme. Elever nos enfants, c'est sentir toute notre faiblesse, c'est nous réfugier dans la prière.
Prier pour nos enfants! Nous en avons toutes fait l'expérience, c'est les voir en Dieu, c'est découvrir ce que Dieu attend d'eux, c'est collaborer avec Dieu dans cette éducation.
Et nous voici grandies, délivrées de notre égoïsme, de nos vues petites, mesquines, mondaines.
Nous n'élevons plus notre enfant pour nous, pour un but terrestre, nous l'élevons pour Dieu. Et alors les valeurs changent et l'âme de notre enfant nous devient si chère parce que nous la voyons dans le plan divin.
Et nous sommes dépouillées de tout egoïsme, de cette recherche de nous-même qui empoisonne toutes nos relations avec les autres, qui est un obstacle à notre développement. Par notre enfant nous sommes en relation avec la vie.
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