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Les lectures de nos enfants
Deux grandes influences avec lesquelles nous aurons un jour ou l'autre à compter, celle des amis et celle des lectures, ont sur le développement de nos enfants une importance considérable. En général les parents sérieux se préoccupent des relations d'amitié formées par leurs fils et leurs filles et comprennent la vérité du proverbe : "Dis-moi qui tu hantes, je le dirai qui tu es" ; mais à en juger par les livres qu'on trouve fréquemment entre les mains de la jeunesse contemporaine, on ne se rend pas assez compte du rôle des lectures pour la formation du caractère, rôle si important qu'il demande de notre part une vigilance et un tact tout particuliers, au moins vis-à-vis de certaines natures. En effet, les enfants sociables et "gamins" seront surtout influençables par leurs amis; les enfants réfléchis, sensibles , timides ou sournois le seront par les livres. Le mauvais ami, d'ailleurs, inspirera plus vite de la défiance que le livre; on s'apercevra vite si ses conseils sont bons ou mauvais, si son influence entraîne au mal ou aide à y résister. Le livre, au contraire, couvre le mal de couleurs si séduisantes, il enveloppe de tant de poésie et de charme les doutes du sceptique, il jette un ridicule si divertissant sur les pères, mères et maris et rend si séduisants les écarts de conduite de ses héros, qu'ébloui, charmé, le jeune lecteur ne sait bientôt plus où est le mal et que son sens moral est dérouté sinon faussé. Ces héros, en effet, ne font après tout, que suivre la pente où les entraînent fatalement leur nature et les circonstances, et voilà la notion de la responsabilité ébranlée !" C'est pour avoir vu de près de ces ruines morales vraiment navrantes que nous éprouvons le besoin de donner aux parents qui liront ces lignes un avertissement sérieux.
Le livre, mais c'est une puissance, c'est un levain qui fait fermenter la pâte, c'est surtout l'atmosphère morale que respirent sans défiance l'enfant, le jeune homme et la jeune fille qui s'y plongent, et, si cette atmosphère est malsaine, la santé morale de notre enfant s'en ressentira inévitablement. Je ne parle pas ici des livres immoraux proprement dits. Je parle de ces livres qui sont tout imprégnés d'un esprit de matérialisme, de fatalisme, qui dépècent et analysent le coeur humain sans tenir compte de ce qu'il y a de grand, de noble dans ses luttes et ses victoires morales, et qui sapent le respect en jetant du ridicule sur ce qui a le plus de droits à notre amour et à notre vénération. Ces livres-là ne peuvent pas former des individualités fortes et droites, ils préparent des vaincus dans les luttes de la vie parce qu'ils ont fait couler dans les veines le poison du doute, de la défiance et ont détruit dans sa fleur l'élan généreux, l'enthousiasme pur et élevé, la soif de l'idéal, la foi dans la possibilité de surmonter le mal par le bien.
Vous entendrez souvent des jeunes filles vous dire que leurs lectures n'exercent sur elles aucune mauvaise influence, et elles sont sincères; seulement elles ne s'aperçoivent pas qu'elles ont appris à excuser le mal, à trouver la vertu ennuyeuse et à éprouver un besoin toujours plus vif d'émotions et d'excitation. Une jeune amie de dix-neuf ans, qui se préparait à lire "Salambo", de Flaubert, m'assurait, naguère, que ses lectures ne lui faisaient aucun mal et bientôt après je pouvais me rendre compte de ce qui en était en l'entendant parler comme une personne revenue de tout, incapable de vaincre une habitude prise dont elle ne se sentait nullement responsable, et dédaigneuse à la fois de l'amour et du mariage !
Maintenant, entendons-nous sur ce que nous appelons "mauvaises lectures". - Sont-ce, généralement parlant, les romans? - Non. A notre avis, le roman est nuisible, lu par l'enfant trop jeune, parce qu'il le dégoûte des lectures sérieuses et utiles, et nous mettrons même beaucoup de livres pour la jeunesse, réputés excellents, dans la même catégorie, mais à l'âge où l'imagination demande un aliment, où le coeur s'éveille, il faut y satisfaire par la lecture de romans bien choisis. Et quand nous disons bien choisis, c'est en pensant au côté littéraire de ces lectures, aussi bien qu'à leur côté moral. Si nous voulons conserver à cet égard notre influence sur nos enfants, ne leur donnons pas des livres ennuyeux ou mal écrits. Nous pensons qu'il ne faudrait même pas redouter de faire lire à des jeunes filles des romans qui aborderont des sujets délicats au point de vue des moeurs, si ces sujets sont pris de haut et traités noblement, comme c'est le cas, par exemple, dans "Ruth", de Mme Gaskell. Il est certainement moins dangereux de mettre sous leurs yeux des pages, même un peu brutales, à la V. Hugo, que de leur laisser cotoyer à tout instant dans les oeuvres de nos auteurs à la mode, des sujets scabreux, qui excitent la curiosité la plus malsaine. Seulement, ces livres-là, il est bon de les lire avec elles ou en même temps qu'elles, de façon à pouvoir en parler et les discuter. Que d'occasions alors d'éclairer ces jeunes esprits, de les prémunir contre les écarts de l'imagination, d'éveiller leur enthousiasme pour ce qui est beau et bien et de leur apprendre à aimer les lectures qui élèvent et à repousser celles qui énervent la volonté, dessèchent le coeur et rabaissent l'idéal. C'est donc à l'esprit général d'un livre qu'il faut le juger; si nous le considérons comme ne pouvant affaiblir en rien la valeur morale de l'enfant, nous ne le classerons pas parmi les mauvais livres, mais si nous trouvons en lui de quoi développer dans son jeune lecteur l'aspiration au bien, nous le placerons au nombre des bons livres et nous mettrons, avec joie, notre enfant sous son influence, en tenant compte, cela va sans dire, de son âge et de son degré de développement.
Il y a beaucoup de bons et beaux livres pour la jeunesse; apprenons à les connaître et à les faire lire au bon moment: tel livre qui ennuiera un enfant de douze ans le charmera à quinze et vice-versa. Intéressons-nous aux lectures de nos enfants, partageons-les autant que possible, et ces lectures qui pourraient être nos pires adversaires, deviendront nos auxiliaires les plus précieux dans le développement du caractère de nos enfants.
Encore deux mots: 1° Posons en principe que nos enfants ne liront jamais quoi que ce soit sans notre permission tout en ayant le bon sens de leur rendre leur liberté quand ils seront en âge d'en comprendre la responsabilité, et nous réaliserons la vérité de cette parole: "Instruis le jeune enfant selon la voie qu'il doit suivre et quand il sera vieux , il ne s'en détournera pas." 2° Faisons-nous une règle de ne jamais permettre une lecture parce que quelqu'un d'autre l'a faite. Ce compromis-là, excellent oreiller pour notre paresse, peut nous entraîner beaucoup plus loin que nous ne nous en doutons.
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