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Le père Martin Conte de Noël

I

Vous ne connaissez pas le père Martin? Quoiqu'il ne soit qu'un pauvre cordonnier, il ne loge pas dans une mansarde. Son atelier, son salon, sa chambre à coucher et sa cuisine, sont tous réunis dans une échoppe de bois au centre d'un vieux quartier. C'est là qu'il vit en philosophe, ni trop riche, ni trop pauvre, ressemelant tout le quartier; car depuis que ses yeux ont vieilli, le bonhomme ne travaille plus dans le «neuf».

Si vous ne le connaissez pas, les pêcheurs du quartier St-Jean le connaissent bien, et les revendeuses du marché qui est sur la place, et les gamins de l'école communale qui passent comme un essaim devant sa porte, lorsque quatre heures sonnent à l'Evêché. Il leur a cousu des pièces à tous, il sait où le soulier les blesse. Les ménagères n'ont de confiance qu'en lui, pour mettre des talons solides aux chaussures de leurs garnements, qui éculent en quinze jours les souliers les mieux confectionnés.

Le père Martin, depuis quelques temps, s'est fait la réputation d'être dévôt. Non qu'il craigne le mot pour rire, mais depuis qu'il va aux «Conférences» comme on appelle ces réunions où l'on chante des cantiques et où l'on parle du bon Dieu, il est tout changé. Il ne travaille ni moins ni plus mal, au contraire. On ne le voit plus au café comme autrefois. Il a un gros livre qu'on le voit lire souvent, quand on regarde par le petit vitrage de son échoppe; il paraît beaucoup plus heureux qu'il ne l'était auparavant.

Il a eu des malheurs, le père Martin. Sa femme est morte il y a plus de vingt ans; son fils, parti comme matelot n'a plus reparu depuis dix ans. Quant à sa fille, il n'en parle jamais; lorsqu'on lui demande ce qu'elle est devenue, une ombre passe sur son front, il ne répond qu'en secouant la tête.

Aussi, même quand il allait au café, après la journée, faire un piquet avec les camarades, le vieux cordonnier était-il rarement d'une gaieté parfaite. Maintenant, avons-nous dit, il paraît plus heureux; son gros livre semble en être la cause.

II

C'est la veille de Noël. Il fait au dehors un temps froid et humide, mais l'échoppe du père Martin est claire et bien chauffée. Il a fini son travail et mangé sa soupe; son petit poële ronfle, et lui, assis dans un bon fauteuil de paille, ses bésicles sur le nez, se tient près de la table et lit: «Il n'y avait pas de place pour eux dans l'hôtellerie» Luc 11, 7. Ici le lecteur s'arrête pour réfléchir. «Point de place, pour Lui».

Il regarde alors sa chambrette, étroite et propre dans sa pauvreté - «Il y aurait eu de la place pour Lui ici, ajoute-t-il, s'il était venu! Quel bonheur de Le recevoir! Je me serais gêné, bien sûr je leur aurais donné toute la place... Point de place pour Lui! Oh! que ne vient-il m'en demander une, à moi...

«Je suis seul, je n'ai personne à qui penser. Chacun à sa famille et ses amis; qui se soucie de moi sur la terre? J'aimerais bien qu'Il vint me tenir compagnie!

«Si c'était aujourd'hui le premier Noël? Si ce soir le Sauveur devait venir au monde? S'il choisissait mon échoppe pour y entrer? Comme je le servirais, comme je l'adorerais? Pourquoi ne se montre-t-il plus aujourd'hui, comme il le faisait autrefois?

«Que lui donnerais-je? La Bible dit bien ce qu'apportèrent les mages: de l'or, de l'encens et de la myrrhe: je n'ai rien de tout cela: ils étaient riches ces mages. Mais les bergers, que lui donnèrent-ils?

Cela n'est pas dit. Ils n'eurent peut-être pas le temps de rien apporter... Ah! je sais bien, moi, ce que je lui donnerais!»

Et le père Martin au milieu de toutes ces pensées plus ou moins incohérentes, se leva, étendit la main vers une étagère où se trouvaient deux mignons petits souliers soigneusement enveloppés, deux souliers de nourisson.

«Voilà, dit-il, voilà ce que je lui offrirais... mon chef-d'oeuvre. C'est la mère qui serait contente!.. Mais à quoi pensé-je? reprit-il en souriant. Vraiment, je radote. Est-il possible que je m'imagine des choses pareilles? Comme si le Sauveur avait besoin de mon échoppe et de mes souliers!»

Le vieillard s'enfonca dans son fauteuil et continua ses réflexions. La foule devenait de plus en plus nombreuse dans les rues, à mesure que la soirée s'avançait; des bruits de réveillon commençaient à se faire entendre. Mais le père Martin ne bougeait pas. Il est probable qu'il s'était endormi.

- Martin! dit une voix douce tout près de lui.

- Qui va là? cria le cordonnier en sursaut. Mais il eut beau se tourner vers la porte, il ne vit personne.

- Martin, tu as désiré me voir, eh bien, regarde dans la rue, demain, depuis l'aurore jusqu'au soir; tu me verras passer un moment ou un autre. Efforce-toi de me reconnaître, car je me ferai pas connaître à toi.

La voix se tut; Martin se frotta les yeux. Sa lampe s'était éteinte, le pétrole ayant manqué. Minuit sonnait à toutes les horloges: Noël était venu. «C'est Lui, se dit le vieillard. Il a promis de passer devant mon échoppe. Peut-être était-ce un rêve? N'importe! Je l'attendrai. Je ne l'ai jamais vu, mais n'ai-je pas admiré son portrait dans toutes les églises? Je saurai bien le reconnaître».

Là-dessus, Martin gagna son lit, et longtemps encore repassa dans son esprit les étranges paroles qu'il avait entendues.

III

Longtemps avant le jour, la petite lampe du cordonnier était allumée. Il remit du charbon dans son poêle, qui n'était pas encore éteint, et se mit en devoir de préparer son café. Puis il se hâte de ranger sa chambre, et vint se placer enfin près de la fenêtre, pour guetter les premières lueurs du jour et les premiers passants.

Peu à peu, le ciel s'éclaira, et Martin ne tarda pas à voir paraître sur la place le balayeur de rues, le plus matinal de tous les travailleurs. Il ne lui accorda qu'un regard distrait; il avait, en vérité, bien autre chose à faire qu'à regarder un balayeur de rues!

Cependant il paraissait faire froid au dehors, car la vitre se couvrait constamment de buée, et le cantonnier après avoir donné quelques vigoureux coups de balai, ne tarda pas à éprouver le besoin de se réchauffer par un exercice plus énergique, en battant les bras de toutes ses forces, et en frappant le sol tantôt d'un pied tantôt de l'autre. «Le brave homme, se dit Martin, il a froid, tout de même. C'est fête aujourd'hui... mais non pas pour lui. Si je lui offrais une tasse de café?» Et il frappa contre la vitre.

Le balayeur tourna la tête, vit le père Martin derrière sa fenêtre, et s'approcha.

- Le cordonnier ouvrit sa porte. - Entrez, dit-il, venez vous réchauffer.

- C'est pas de refus, merci. Quel temps de chien! on se croirait en Russie.

- Voulez-vous accepter une tasse de café? dit le père Martin.

- Ah! par exemple, voilà un brave homme! Avec plaisir, pardi. Vaut mieux tard que jamais pour faire son petit réveillon.

Le cordonnier servit son hôte à la hâte, puis s'empressa de retourner vers sa fenêtre et de sonder la rue et la place de tous côtés, pour voir s'il n'était passé personne.

- Qu'est-ce donc que vous avez à regarder dehors? lui dit enfin le cantonnier.

- J'attends mon Maître répondit Martin.

- Votre maître? vous travaillez donc en magasin? La belle heure pour venir voir ses ouvriers? D'abord c'est fête pour vous aujourd'hui!

- C'est d'un autre maître que je parle, reprit le vieux cordonnier.

- Ah!

- Un maître qui peut venir à toute heure, et qui m'a promis de venir aujourd'hui. Vous ne savez pas son nom, c'est Jésus.

- J'ai entendu parler de lui, mais je ne le connais pas. Où demeure-t-il?

Le père Martin se mit alors, en quelques mots, à raconter au balayeur de rues l'histoire qu'il avait lue la veille, en y ajoutant quelques détails. Il se tournait vers la fenêtre tout en parlant.

- Et c'est lui que vous attendez? dit enfin le cantonnier quand il sut de qui il s'agissait. M'est avis que vous ne le verrez pas comme vous le croyez. Mais c'est égal, vous me l'aurez fait voir, à moi. Vous me prêterez votre livre, monsieur...

- Martin, dit le cordonnier.

- Monsieur Martin, et je vous garantis que vous n'aurez pas perdu votre temps ce matin quoiqu'il fasse à peine jour. Merci et au revoir!

Et le cantonnier s'éloigna, laissant le père Martin seul de nouveau, le front collé contre la vitre.

IV

Quelques ivrognes attardés passèrent, mais le vieux cordonnier ne les regarda seulement pas. Puis arrivèrent les marchandes avec leurs petites charrettes. Il les connaissait trop bien pour faire grande attention à elles.

Mais, au bout d'une heure ou deux, ses regards furent attirés par une jeune femme misérablement vêtue, portant un enfant dans ses bras. Elle était si pâle, si décharnée, que le coeur du vieillard s'émut. Peut-être cela le fit-il penser à sa fille. Il ouvrit sa porte et l'appela:

Hé dites donc!

La pauvre femme entendit cet appel et se retourna, surprise. Elle vit le père Martin qui lui faisait signe d'approcher.

- Vous n'avez pas l'air bien portante?

- Je vais à l'hôpital, répondit la jeune femme. J'espère bien qu'on m'y recevra avec mon enfant. Mon mari est sur mer et voilà trois mois que je l'attends.

«Comme j'attends mon fils», pensa le cordonnier.

- Il ne revient pas et cependant je n'ai plus le sou et je suis malade. Il faut bien que j'aille à l'hôpital!

- Pauvre femme! dit le vieillard attendri. Vous mangerez bien un morceau de pain qui vous réchauffera. - Non? - Au moins une tasse de lait pour le petit. Tenez, voilà justement le mien que je n'ai pas encore touché. Chauffez-vous et laissez-moi le marmot. J'en ai eu, moi, dans le temps; je sais comment ça se manipule. Il a une crâne mine le vôtre. Quoi! vous ne lui avez point mis de souliers?

- Je n'en ai point, soupira la pauvre femme.

- Attendez donc. J'en ai une paire, là, qui va faire l'affaire.

Et le vieil ouvrier, au milieu des protestations et des remerciements de la mère, alla chercher les souliers qu'il avait regardés la veille, et les mit aux pieds de l'enfant. Ils lui allaient admirablement.

Martin étouffa un soupir cependant, en se séparant de son chef-d'oeuvre, de ce qu'il avait fait de mieux en sa vie.

«Bah»! se dit-il. Je n'en ai plus besoin pour personne, maintenant». Et il revint auprès de la fenêtre. Il se mit à regarder d'une façon si anxieuse que la jeune femme en fut surprise.

- Qu'est-ce que vous regardez là? Interrogea-t-elle.

- J'attends mon Maître, répondit Martin.

La jeune femme ne comprit pas ou ne se soucia pas de comprendre.

- Connaissez-vous le Seigneur Jésus? lui demanda-t-il.

- Certainement, répondit-elle en faisant le signe de la croix. Il n'y a pas si longtemps que j'ai appris mon catéchisme.

- C'est Lui que j'attends, repris le vieillard.

- Et vous croyez qu'il va passer par là?

- Il me l'a dit.

- Pas possible! Oh! que j'aimerais rester avec vous, pour le voir, moi aussi, si c'était vrai... Mais vous devez vous tromper. Et puis, il faut que je m'en aille pour être reçue à l'hôpital.

- Savez-vous lire-? dit le cordonnier.

- Oui.

- Eh bien! prenez ce petit livre, reprit-il en lui mettant dans les mains un fragment de l'Evangile. Lisez-le attentivement, et ce ne sera pas tout à fait comme si vous le voyiez, mais ce sera presque la même chose, et peut-être le verrez-vous plus tard.

La jeune femme prit le livre d'un air de doute, s'éloigna en disant merci, et le vieillard reprit son poste auprès de la fenêtre.

V

Les heures succédaient aux heures, les passants aux passants. Le petit poêle ronflait toujours, et Martin, dans son fauteuil, regardait encore dans la rue. Le Maître ne paraissait pas.

Il avait bien vu passer un jeune prêtre aux cheveux blonds, aux yeux bleus, justement comme on représente le Christ dans les tableaux d'église. Mais en passant tout près de son échoppe, le prêtre avait murmuré: mea culpa. Evidemment, le Christ ne se serait point accusé lui-même. Ce ne pouvait être Lui.

Les jeunes gens, les vieillards, les marins, les ouvriers, les ménagères, les grandes dames, tout ce monde passa devant lui. Bien des mendiants supplièrent le brave homme; son bon regard semblait leur promettre quelque chose. Ils ne furent pas déçus.

Cependant, le Maître ne paraissait pas. Ses yeux étaient fatigués, son coeur commençait à défaillir. Les jours passent vite en décembre. Déjà l'ombre s'allongeait sur la place, déjà l'allumeur de réverbères paraissait au loin, déjà les fenêtres d'en face commençaient à briller joyeusement, et le fumet de la dinde rôtie, s'élevait de toutes les cuisines.

Et le Maître ne paraissait pas.

Enfin la nuit vint, accompagnée de brouillard. Il était désormais inutile de se tenir près de la fenêtre; les passants devenus rares, s'éloignaient dans la brume sans qu'on put les dévisager. Le vieillard s'approcha tristement de son poêle et se mit à préparer son modeste souper.

«C'était un rêve, mumura-t-il. Pourtant, je l'avais bien espéré.»

Son repas achevé, il ouvrit son livre et voulut se mettre à lire. Mais sa tristesse l'en empêcha.

«Il n'est pas venu»! répétait-il sans cesse.

Tout à coup la chambre s'éclaira d'une lumière surnaturelle, et, sans que la porte se fut ouverte, l'étroite échoppe se trouve pleine de monde. Le balayeur de rues était là, la jeune femme avec son enfant était là, et chacun d'eux disait au vieillard:

«Ne m'as-tu pas vu?»

Derrière eux venaient les mendiants à qui il avait fait l'aumône, les voisins à qui il avait dit une bonne parole, les enfants à qui il avait adressé un bon sourire , et chacun lui disait à son tour:

«Ne m'as-tu pas vu»?

- Mais qui êtes-vous donc? cria le cordonnier à tous ces fantômes.

Alors le petit enfant aux bras de la jeune femme se pencha sur le livre du vieillard, et de son doigt rose lui montra ce passage, à l'endroit même où il l'avait ouvert:

«J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais étranger et vous m'avez recueilli... Car en tant que vous avez fait ces choses à l'un de ces petits, vous me les avez faites à moi-même».









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