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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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Ma mère

Chez nous, ma mère était toujours debout la première. Elle se levait à cinq heures et restait tranquille à méditer pendant une demi-heure, afin de ne pas troubler le silence matinal... Ma mère était une femme toute simple. Elle ne savait ni lire, ni écrire. Cela peut sembler étrange à des lecteurs occidentaux, mais en Inde, c'est conforme à l'éducation traditionnelle des femmes de bonne famille; et ma mère qui était de la vieille école, jugeait toute personne capable de compter au-delà de cent, trop avancée pour être une vraie dame.

- Ne croyez-vous pas, disait-elle, qu'un coeur intelligent sait tout ce qu'on trouve sur la page imprimée, sinon plus encore? Le coeur est le roi qui connaît et qui possède toute chose. La tête n'est que son palais. Si votre prince est mort, à quoi sert le palais vide?

- Ma mère était très occupée, car en Inde c'est à la mère qu'incombe entièrement le soin des enfants et de leur éducation jusqu'à l'âge de dix à douze ans. Nous étions huit, il y avait une grande maison à diriger, et ma mère ne consacrait pas moins de trois heures par jour à l'a prière et à la méditation. Cependant sa vie et sa personnalité étaient si paisibles, elle remplissait ses devoirs avec tant de calme et de douceur qu'il me semble en regardant en arrière, que c'est la tranquillité plutôt que l'énergie qui fut la force motrice de notre vie de famille. Ma mère savait faire la cuisine et elle s'y adonnait, car c'est là un acte sacramentel qui fait partie du rituel religieux quotidien. A midi, elle méditait et personne n'était autorisé à la déranger; mais l'après-midi, elle nous récitait par coeur des fragments de nos poèmes épiques, ces vieux contes religieux de l'Inde. Elle les avait appris de sa mère, celle-ci de la sienne et ainsi de suite en remontant le cours des générations. Nous l'écoutions pendant à peu près une demi-heure, puis nous répétions ce que nous venions d'entendre. Parfois elle nous faisait chanter ces vers, tantôt à deux d'entre nous, tantôt à un seul.

Je crains d'avoir prêté plus d'attention aux brillants tableaux qu'évoquait l'histoire des dieux, des déesses et des héros qu'à la profonde signification religieuse de ces antiques légendes. Néanmoins, comme j'étais tenu de les apprendre par coeur, je me pénétrais peu à peu de leur sens intime; et, lorsque je fus plus âgé, le souvenir du visage de ma mère au moment où elle les récitait, et de l'expression intense et pourtant lointaine de ses yeux bruns, sembla graver plus profondément en moi le sentiment de leur valeur spirituelle. En Inde, nous ne possédons que peu de livres, aussi chaque mère est-elle obligée de transmettre de vive voix nos légendes à son enfant. Celui-ci les apprend par coeur, en général avant d'avoir atteint ses quatorze ans. A ce moment-là, sa mémoire est parfaitement entraînée, et c'est en cela que consiste essentiellement sa première éducation.

Pendant toute mon enfance... ma mère venait, le soir lorsque j'étais couché, s'asseoir à mon chevet et m'interroger sur tout ce qui s'était passé dans la journée. Ensuite elle me disait:

- Il est l'heure de dormir maintenant; parmi tes expériences d'aujourd'hui, y a-t-il quelque chose qui t'ait particulièrement réjoui, mon fils?

Et quand je répondais: "oui", elle ajoutait:

- Eh bien, c'est la présence de Dieu qui s'est fait sentir à toi. Elle me quittait sur ces paroles...

De loin en loin, ma mère me disait, lorsque je venais prendre ma leçon de l'après-midi:

- Mon petit garçon, je ne désire pas t'instruire en ce moment; je désire dormir; cède-moi ton heure.

Cela ne me plaisait pas du tout et je répliquais:

- Pourquoi dormiriez-vous quand je voudrais entendre les récits merveilleux des héros?

Elle me reprenait avec un doux sourire:

- O mon fils, il faut t'habituer à prendre soin de ta mère: quand tu seras un homme, tu auras d'autres êtres desquels il te faudra prendre soin. Et si tu n'y étais pas préparé?...

- Plus tard, j'eus l'occasion d'aller faire un voyage au Japon.

- Que dois-je faire pour que vous soyez heureuse? Demandai-je à ma mère.

Elle garda un moment le silence, puis elle répondit doucement:

- Garde toujours ouvertes les portes de ton âme, afin qu'aucune vérité divine ne soit obligée de se retirer pour avoir trouvé la porte fermée.

Et elle me donna sa bénédiction.

Le jour de mon départ, je n'eus pas le courage de lui dire adieu. Je savais que si je la revoyais, je ne partirais pas. Cependant, bien qu'elle se sentît brisée et mourante, elle m'avait ordonné de partir. J'étais sûr que je ne reverrais jamais ma mère... je ne me trompais pas. Elle languit une année encore et mourut. Je le sus au moment où cela arriva, quoique la nouvelle ne me parvint qu'au bout de plusieurs jours. J'étais accablé de douleur. Et puis, un jour, tandis que je pensais à elle, je fus envahi tout à coup par une certitude: Dieu, l'immortalité!... Ce n'était plus une idée, mais une expérience. Depuis ce moment, la conscience intime que j'ai de l'existence de ma mère est dégagée de toute idée de vie et de mort.









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