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La justice en action

C'était dans mon école au cours de la quatrième année de guerre. Un élève de la troisième année d'études de la section moyenne me signale que sa boîte de compas a disparu de son pupitre. Lui a-t-elle été dérobée? Je me rends dans la classe et, sans prendre un ton tragique, je dis à cet élève, en présence de tous ses condisciples: «Vous ne trouvez plus votre boîte de compas? A quelle heure avez-vous constaté que vous ne l'aviez plus? - Après ses réponses, je regardais tous les élèves individuellement sans trop de fixité, mais avec assez d'insistance paternelle pour leur signifier que j'avais confiance en eux, et je dis au plaignant: «Demain à 10 heures à la récréation venez me dire si vous avez retrouvé votre bien; une boîte de compas peut faire le miracle de retourner toute seule à sa place».

Le lendemain matin, je reçus à mon bureau la visite d'un élève âgé de quinze ans, d'une conduite ordinaire irréprochable, qui me tendit la boîte de compas, les yeux humides, la voix altérée par l'émotion.

«C'est vous?
- Oui Monsieur le Directeur.
- Vous? Comment est-ce possible?
- J'étais seul dans la classe, cette boîte était là sur un banc, je l'ai mise en poche.
- Dans quelle intention?
- Je ne m'en rends pas bien compte.
- Qu'alliez vous en faire?
- Je ne sais, mais elle m'embarrassait.
- Aviez-vous l'envie de la restituer?
- Oui, mais je ne savais comment.
- Pourquoi la remettez-vous entre mes mains?
- Parce que, si je l'avais posée sur le pupitre de mon condisciple, l'on aurait pu me voir et l'on aurait su que j'avais volé.
- Et maintenant?
- Maintenant je suis sûr qu'on ne le saura pas.
- Pourquoi?
- Parce que vous êtes un brave homme Monsieur le Directeur.
- On ne le saura pas, mon ami. Mais pourquoi cette confiance en moi?
- Parce que vous ne trompez jamais les élèves, vous ne menacez jamais; vous cherchez toujours à nous sauver.
- Etes-vous sûr d'être sauvé?
- Je l'espère.
- Que pensez-vous de votre acte?
- Il a surtout été irréfléchi.
- Quelle force vous y a poussé?
- Je l'ignore. Ce n'était pas l'envie et guère non plus le désir de m'approprier le bien d'autrui.
- Et si vous aviez réfléchi?
- Je pense que je n'aurais pas succombé.
- Qu'auriez-vous vu par votre réflexion?
- L'indignité et laâcheté de cette action.
- Oui pour vous, mais à l'égard du propriétaire?
- L'injustice, la violation d'un droit, que je n'admettais pas contre moi-même.
- Bien. Et à l'avenir?
- Si j'étais encore tenté, je penserais à vous.
- Et la tentation s'évanouirait?
- J'en suis sûr.
- Je le pense comme vous mon ami.
- Merci Monsieur le Directeur.
- Au revoir.
- Monsieur le Directeur, s'il vous plaît, donnez-moi la main!

Je la lui tendis. Il me la serra avec des larmes de joie et de reconnaissance. Et il s'en alla de mon bureau, ni honteux, ni humilié de son vol, mais rayonnant et fier de sa réhabilitation.







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