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Soyons indépendants de l'opinion
Devenir indépendants! Voilà une chose à laquelle tous les jeunes gens aspirent. Il leur semble qu'ils ne sont des hommes que le jour où ils vivront de leurs propres ressources, c'est-à- dire de l'argent gagné par eux. Croyez-vous qu'une situation d'employé, avec un salaire moyen, mais convenable, leur suffit? Non, ils ambitionnent de fonder et de diriger eux-mêmes leur propre maison de commerce, sauf à ne pouvoir escompter que des bénéfices aléatoires et bien moindres parfois que ceux du simple employé. A l'argent, ils préfèrent leur indépendance.
Il y a en vérité quelque chose de viril à se suffire à soi-même, à ne pas toujours compter sur autrui. Mais remarquez que l'indépendance ne consiste pas exclusivement ni même surtout à ne pas recevoir d'argent des autres ni à pouvoir voler de ses propres ailes. Non, la véritable indépendance est chose toute intérieure et n'a rien du tout à faire avec la liberté extérieure. Un homme peut se trouver dans une position dépendante, par exemple dans la situation d'un domestique et cependant être un homme tout à fait indépendant de caractère; et réciproquement, un homme peut voler de ses propres ailes ou même conduire son propre cheval, et cependant être l'esclave des autres. Etre indépendant, cela signifie ne jamais agir contre sa conscience; c'est, en outre, accomplir ce qu'on fait pour les autres et avec les autres, seulement d'après son propre jugement raisonnable et non point par vanité, par ambition, par respect humain ou par crainte de perdre quelque chose ou d'encourir un châtiment. L'homme indépendant peut servir quand il le reconnaît nécessaire à son entretien, au bonheur des autres, à sa propre formation ou à son perfectionnement moral. Il sert alors et obéit en esprit d'indépendance, il reste un caractère, bien qu'il soit en service, s'il demeure fidèle à sa conscience, s'il ne fait rien ou ne dit rien, parce que les autres le poussent ou qu'ils lui ont donné un stupide ou mauvais exemple.
Au contraire, la plus grande dame ou la plus riche peut être dépendante, si elle a toujours les autres à la bouche, si elle est esclave de la mode, si elle n'a pas de conscience personnelle, si elle fait dépendre d'un sot livre ou bien d'un bavardage impertinent ses opinions sur le bien ou sur le mal.
Il arrive souvent que les jeunes garçons et les jeunes filles ont des velléités d'indépendance, à l'époque de la première communion. Ils se croient alors devenus de grandes personnes, et se croient permis d'agir en conséquence. Les garçons pensent que le premier cigare fumé, ou le premier verre pris hors de chez eux, inaugure leur carrière indépendante. Pourtant je vous le demande: est-il plus honorable pour un jeune homme de fumer un cigare ou de s'en abstenir? Vous me donnerez raison, j'en suis sûr, si je vous dis qu'il est plus méritoire de ne pas fumer, justement parce que les autres en riront, parce que les autres fument eux-mêmes, ou parce que c'est un usage une fois arrivé à l'âge adulte, de faire sortir de sa bouche un nuage d'odorante fumée. Eh bien! n'y a-t-il pas précisément une marque d'indépendance à ne pas imiter les autres et à s'éloigner en outre, en bravant les sarcasmes et Ies moqueries, de toutes réunions de buveurs. On peut dire, en vérité, de celui qui agit ainsi, qu'il s'est rendu indépendant. Quant à celui qui suit aveuglément la mode, même si elle lui paraît ridicule, il n'a pas le courage de son opinion; c'est-à-dire qu'il manque d'indépendance et de caractère.
Et voilà ce que bon nombre d'adolescents appellent de la virilité! Ils craignent de se voir tournés en ridicule et appelés les petilt benjamins de maman; mais comment ne pensent-ils pas qu'il vaut mille fois mieux être, en effet, les fils chéris d'une mère aimante que les compagnons dociles d'une troupe de buveurs et de fumeurs.
Ce que je viens de dire pour les garçons et les jeunes gens a aussi sa valeur pour les jeunes filles. Le plus grand désir de celles-ci est souvent aussi de devenir indépendantes; mais beaucoup d'entre elles oublient aussi trop souvent qu'on peut paraître très libre extérieurement et pourtant être esclave des moqueries ou des commérages d'autrui. Une jeune fille ne sera vraiment indépendante que lorsqu'elle aura maîtrisé sa propre vanité, car la vanité ne fait que nous rendre dépendants des autres. On ne vit plus, on n'agit plus pour soi, mais seulement pour les yeux des gens. C'est pourquoi les vaniteuses ont quelque chose de guindé dans leurs gestes et dans leurs manières. C'est comme si elles portaient partout avec elles une invisible chaîne. Il n'y a rien d'étonnant à cela: elle ne peuvent rien dire ni rien faire sans songer intérieurement: comment ferai-je pour plaire aux autres?...
Regardez autour de vous dans la vie! Vous découvrirez bien vite qu'il n'y a réellement pas beaucoup de véritable indépendance de caractère. On rencontre nombre d'hommes qui sont facilement honnêtes, sincères et aimables, aussi longtemps que les autres le sont avec eux: mais dès que les autres changent de conduite, ils se mettent à penser: faire le bien seul, c'est un mauvais calcul, qui m'attirerait en outre les insultes des rieurs. De tels hommes n'ont point de conscience à eux. Resteront-ils ou non dans la bonne voie? Cela dépendra des autres...
Un homme consciencieux doit avoir son caractère à lui, doit être indépendant... Peut-on s'imaginer que pour faire ce qui est juste - ce qu'il voudrait bien faire en réalité - il ait besoin de tout un monde avec lui? Lorsqu'il s'agit de se tenir debout, seul avec sa conscience, aurait-il peur comme un enfant dans les ténèbres, et prendrait-il son mot d'ordre des autres?
Donc ne l'oubliez jamais, l'indépendance extérieure est belle et bonne; mais il est beaucoup plus important, dans la vie d'avoir un coeur indépendant, qui reste intègre, quand les autres sont malhonnêtes; vrai, quand les autres mentent; patient et plein de bonté, quand les autres injurient et maudissent, un coeur qui reste pur malgré la corruption de son entourage. C'est pourquoi il est dit dans la Bible: «Celui qui dompte son coeur vaut mieux que celui qui prend des villes».
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