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Souvenirs d'enfance

Ces souvenirs d'enfance de Ligthart sont le témoignage véridique d'un homme qui a consacré toute sa vie aux enfants.

Ses parents étaient si pauvres qu'ils ne purent continuer à payer son écolage, on allait le renvoyer lorsque son maître lui proposa d'acquitter la dette de ses parents s'il restait à l'école comme stagiaire. C'est ainsi que fut décidée sa carrière, il avait 12 ans. Pendant la journée les futurs maîtres surveillaient leurs camarades et jouaient avec eux, le soir ils recevaient une instruction qui devait leur permettre de prendre le brevet d'instituteur. Après treize années de travail et de mise en pratique de ses expériences personnelles Ligthart fut nommé directeur d'une grande école populaire à La Haye et bientôt on lui confia les garçons indisciplinés chassés d'autres écoles.

La reine de Hollande apprécia à tel point ses méthodes qu'elle le chargea d'entreprendre l'instruction de sa fille, poste que ses autres occupations ne lui permirent pas de conserver longtemps.

A quoi attribuer de si rapides succès, une telle renommée? Non seulement à sa remarquable intelligence, mais à son grand amour pour tous les enfants, sa confiance inaltérable dans ce qu'il y a de bon en tout être humain, sa persévérance, sa modestie, sa droiture, son indépendance de caractère, toutes qualités trop rares et qui font les bons éducateurs.


«Un enfant se contente de si peu de chose. C'est ce que m'ont appris ma bibliothèque et ma chambre à moi.

Cette petite chambre - mais où la chercher dans notre maison où nous couchions les cinq garçons à la cuisine? - Eh bien, elle était dans cette même cuisine et on l'appelait la «lanterne».

Au magasin, derrière le comptoir, se trouvait un petit escalier de quatre marches qui conduisait à la chambre; entre deux de ces marches il y avait une vitre derrière laquelle se trouvait l'espace baptisé la «lanterne». Il servait à donner un peu de lumière à la cuisine qui se trouvait sous la chambre. On peut se figurer qu'il n'y faisait pas grand jour. Pourtant de loin en Ioin un rayon de soleil y pénétrait. C'est extraordinaire comme les rayons de soleil savent trouver les coins les plus reculés!

L'entrée de mon sanctuaire était à la cuisine. Depuis là il me fallait d'abord grimper sur une caisse et ensuite je me hissais dans ma «lanterne». Une fois arrivé, je m'y sentais à l'abri, car personne n'y venait.

C'était comme une petite chambre avec plancher, plafond et trois murs, dont un en verre. Je pense que les dimensions étaient à peu près d'un mètre de longueur, largeur et hauteur. On saurait à peine se figurer une habitation plus modeste. Et pourtant j'y ai passé les moments les plus heureux de mon enfance même des journées entières, pendant les vacances. J'y avais tous mes trésors bien arrangés et je guignais à travers la vitre les jambes de mon père, quand il allait et venait derrière le comptoir. C'était bien malheureux quand ma mère ou ma soeur servaient au magasin, car leurs jupes jetaient de grandes ombres dans ma demeure. Mais quelle chance, lorsqu'un jour d'été ensoleillé, les clients tardaient à venir. On s'en plaignait en haut, sans se douter que le petit habitant de la lanterne jubilait. Les enfants et les adultes ont souvent des intérêts contradictoires.

En fait de trésors, j'avais surtout des petites feuilles volantes de l'école du dimanche. Elles étaient d'espèces différentes; je les numérotais et les inscrivais dans mon catalogue; je les classais suivant leur grandeur, grosseur, et suivant l'espèce du papier luisant ou mat.

Je ne les lisais jamais, mais le triage était mon occupation favorite. C'est ainsi que ces brochures évangéliques ont contribué à mon éducation, non par leur contenu ni conformément à l'intention de leurs pieux auteurs, mais en me procurant du matériel pour cultiver en moi le sens de l'ordre et en me préservant ainsi de l'oisiveté, qui est «l'oreiller de Satan».

Ne vous imaginez pas que ces imprimés me fussent indifférents. Bien au contraire, un enfant, comme un sauvage, ne sent-il pas, sa dignité personnelle augmenter avec chaque cadeau qu'on lui fait, si petite qu'en soit la valeur intrinsèque? lls faisaient ma richesse, mais c'était une richesse d'avare, car je jouissais de la possession et non de l'usage.

Un souvenir encore me revient en pensant à ces brochures. J'étais invité chez un ami, pour célébrer son jour de naissance. Je ne voulais pas y aller sans offrir un cadeau de fête, et comme maman ne pouvait me donner de l'argent pour en acheter un, je dus me décider à puiser dans mes propres trésors. Je pris le plus gros tas de ma collection de brochures, pour l'offrir à mon ami. Mais je sentais que c'était trop peu. Donc encore un paquet… et encore un. Pour finir, je pris toute la collection et je courus à la fête. C'était un sacrifice pour moi de donner tout cela, mais je n'ai jamais appris que ma générosité ait été appréciée à sa juste valeur.

Plus tard, en y repensant, j'ai rougi de honte, de m'être ainsi rendu ridicule en donnant ce cadeau. Je me disais: qu'est-ce que mon ami et sa famille en auront pensé? Et je me suis souvent demandé si ma mère a eu raison d'exposer ainsi ma naïveté à une critique railleuse, même si je ne l'ai jamais entendue.

Son excuse était - car vous le savez, parents, que vos enfants vous accusent et vous excusent? - son excuse était qu'elle avait beaucoup de soucis et que certainement, à ce moment-là, elle n'a pas eu le temps de m'acheter quelque chose. Mais pourtant…. Vous autres parents qui n'avez pas ces excuses, n'abusez pas de la naïveté de vos enfants. Plus tard, ils vous en feront des reproches. Et ils auront raison. Traitez les animaux avec douceur et vos enfants avec sérieux.

Peut-être mon ami Pierre a-t-il bien des fois raconté à ses enfants et à d'autres l'histoire des brochures évangéliques et se sont-ils amusés à mes dépens, de ma naïveté ou de mon avarice, ou comment faut-il l'appeler? Evidemment Pierre a vu pendant toute sa vie, la chose sous un jour et moi sous un autre, qui était bien différent. Pensez-y: chaque fois que vous jugez des personnes ou leurs actions, vous ne voyez que votre côté de la vérité.

Probablement qu'en lisant ceci, bien des personnes ont pris en pitié ce pauvre petit qui devait se distraire en jouant dans une petite cage peu éclairée et mal aérée, envahie par les odeurs de la cuisine qui ne pouvaient s'en échapper. Grand merci pour leur compassion, mais elle est superflue; ce petit garçon se sentait parfaitement heureux dans sa cage. C'était un refuge pour lui. Quand le monde des adultes lui devenait trop bruyant, trop agité, il se retirait dans sa demeure solitaire, et la, - loin des humains, libre dans sa solitude, - il pouvait éprouver une jouissance parfaite. Et pourtant, il n'y possédait que ses brochures, quelques, revues, un livre et des jouets très simples.

Quand plus tard, il lisait dans la Bible: «L'Eternel est ma haute retraite», ça le faisait toujours penser à sa «lanterne». Je crois que non seulement pour les adultes, mais aussi pour les enfants, une telle retraite est nécessaire. Oui les psalmistes le savaient bien…

Pendant mon enfance, j'ai connu bien des privations et cela durant des années. Et cependant je me rappelle parfaitement que je n'avais pas de peine à m'y faire. Non, les misères de mon enfance ne venaient pas du manque de nourriture et de chaleur, mais bien plutôt du manque d'amour. Non pas que j'eusse à m'en plaindre le moins du monde à la maison. Mais lorsque, comme enfant, j'ai connu la vraie douleur, elle a toujours été occasionnée par la dureté d'âme de mes instituteurs, d'adultes défiants et de camarades sans coeur.

J'insiste sur ce point, parce que je crois que les pires maux ne sont pas occasionnés par les privations matérielles. On réconforte mieux un enfant en tâchant de le comprendre avec une bienveillance véritable et une grande confiance, qu'en le pourvoyant de choses matérielles.(1)

Voyez ma «lanterne». Comme elle peut attester la modestie des besoins de l'enfant! Il n'y avait pas même la place pour deux, tant elle était petite. Un enfant pouvait y être assis, la tête baissée ou bien à demi couché. Ma vue s'étendait aux tonneaux de savon et de mélasse sous le comptoir. Et pourtant j'y étais heureux, une paix parfaite y régnait. C'était parce que la haine, la dureté et l'envie ne pouvaient m'y atteindre et que la société des hommes, toujours prête à détruire la tranquillité d'esprit, ne pouvait y empoisonner mon atmosphère. Qu'étaient, à côté de tout cela, les mauvaises odeurs de cuisine?

La première chose dont un enfant a besoin, c'est une atmosphère pure pour son âme. Peu importe le reste. Mais combien rares sont les adultes qui savent créer une telle atmosphère! Bénie soit alors la solitude de ma «lanterne».


(1)Il faut bien se garder de généraliser un cas particulier. Nous savons que beaucoup ont gardé, d'une enfance trop difficile, un souvenir douloureux qui a projeté son ombre sur leur vie entière. Et quand bien même, ces souffrances seraient atténuées pour plusieurs par une heureuse nature et par l'insouciance propre à leur âge, comment pourrions-nous oublier la douleur cuisante qu'il y a pour des parents à ne pouvoir donner à leurs enfants ce qui leur est nécessaire? (Réd.)









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