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La taquinerie

«Quel plaisir peux-tu trouver, toi, un grand garçon, à taquiner ta petite soeur? C'est incompréhensible». Arrêtons-nous un instant devant ce mystère de la taquinerie.(1) Il y a là un phénomène si général que nous sommes tentés de parler d'un instinct. Le besoin de taquinerie, inégalement réparti selon les individus sans doute, paraît inné comme un instinct: on cite le cas d'une fillette de dix-huit mois qui prend plaisir à renverser son frère; quand celui-ci pleure, elle le regarde avec un sourire triomphant. Ces manifestations ont quelque chose d'impulsif: «C'est plus fort que moi, quand je vois une niche à faire, je la fais». Et le but poursuivi par le taquin est la plupart du temps tout à fait inconscient; il n'a rien de délibéré; il semble que l'enfant ait eu le propos de faire souffrir. Mais non, il n'est pas cruel ni méchant. - Alors?... C'est instinctif.

Cela est vite dit. Mais qu'est-ce que cela signifie? Un instinct est une tendance utile à la conservation de l'individu et au maintien de l'espèce. Quelle peut être l'utilité biologique de la taquinerie - si désagréable et pour ceux qui en sont les victimes et pour les parents qu'elle force à intervenir?

A voir les choses de haut et de loin, il apparaît bien que la taquinerie est étroitement associée aux instincts de lutte et de courtisation. C'est peu avant la puberté et tout le long de l'adolescence que l'esprit taquin fait surtout fleurir ses chardons. «Qui s'aime se taquine» dit un proverbe allemand. Les agaceries d'un sexe à l'autre sont la partie essentielle de certaines courtisations populaires et tiennent une grande place dans tous les flirts. La forme varie naturellement suivant le milieu social: ici une bousculade brutale, là un mauvais tour ingénieux, ici le cynisme des paroles, là l'allusion voilée. La taquinerie est un moyen qu'a l'individu soit d'affirmer sa puissance sur l'autre sexe, soit de signaler aux yeux de l'autre sexe ses talents et sa force. Elle est originairement provocation à la lutte physique, mais à mesure que les moeurs favorisent moins celle-ci, la taquinerie en vient à se substituer peu à peu à la lutte: elle en est comme un succédané.

Il est donc à peu près certain que nos enfants - les garçons surtout - passeront par une phase de taquinerie. S'ensuit-il que nous n'ayons pas autre chose à faire que d'y assister en spectateurs résignés ou amusés? Non pas.

Si je ne me trompe, la constatation que nous venons de faire des origines et du sens profond de la taquinerie peut servir à diriger notre action éducative.

Dans son fond la taquinerie provient non pas d'un désir de nuire à autrui, mais d'un besoin d'affirmer aux yeux de tous sa propre puissance. Elle a pour but dernier de mettre en lumière la force; elle se produira donc là surtout où il y a un surplus de forces inutilisées.

«Observez un auditoire enfantin, par exemple à une séance de guignol. Ce petit public impatient attend le lever du rideau. Les bambins se bousculent; l'un pince sournoisement son voisin de droite tout en regardant à gauche fixement, l'autre d'un geste brusque fait choir la casquette de celui qui est devant lui... Tout à coup le signal retentit: la pièce va commencer. Les taquineries cessent comme par enchantement».

Les oisifs sont taquins, et, parmi les enfants, ceux qui prennent peu de mouvement. De là cette indication pédagogique bien simple: si un enfant pousse l'esprit taquin au delà des limites supportables, faites-lui faire des exercices physiques, donnez-lui de toute façon l'occasion de s'ébattre et de se mouvoir.

«Les mystifications, écrit Goethe, sont une occupation d'oisifs. Des gens qui ne savent pas s'occuper seuls ni s'employer utilement au dehors, trouvent du plaisir à faire de petites méchancetés et à se féliciter complaisamment du mal qui arrive à autrui. Aucun âge n'échappe entièrement à cette démangeaison.»

La comparaison des professions conduit à la même conclusion. Autant nos horlogers immobiles à leurs établis excellent dans les farces de toutes sortes, autant nos paysans pratiquent peu - en règle générale - la plaisanterie. Les Belges, nous dit-on, appellent les taquineries des «fainéantises de l'esprit». C'est mettre le doigt sur la chose.

Pour lutter contre l'impulsion taquine il ne s'agit aucunement de raisonner un enfant et de le convaincre; il faut parvenir à occuper son esprit et à donner un but à ses énergies vitales.

Parmi les activités propres à combattre l'esprit taquin, il faut encourager surtout chez l'enfant d'une part toutes celles qui sont constructives, créatrices, qui aboutissent à «mettre» sur pied quelque chose (un guignol, un clapier, un poste de T. S. F. ou des sonnettes électriques) d'autre part celles qui l'intéressent au bien de son prochain.

Nous ne parlons de taquinerie que là où il y a un désagrément causé au prochain; il est indispensable cependant de mentionner ici la contre-partie aimable de ce penchant à la taquinerie, le plaisir qu'éprouvent les enfants et certains adultes restés jeunes à faire aux autres des surprises amusantes et agréables. C'est un trait de génie dans le programme de BadenPowell que ce good turn, ce «bon tour» journalier qu'il propose à ses Eclaireurs de jouer désormais non plus aux dépens, mais au service du prochain. (Un de mes amis anglais me dit bien que l'expression signifie tout simplement une «bonne action» et que l'idée d'un tour qu'on joue n'est pas contenue dans les mots anglais. Soit; mais à l'âge de la taquinerie je ne craindrais pas mon interprétation trop littérale). La bonne surprise et la taquinerie satisfont le même instinct: elles permettent à leur auteur de constater sa force; l'une peut donc guérir de l'autre. De même la culture de l'esprit chevaleresque d'un jeune garçon est la meilleure sublimation de ses instincts de combat.

On a dit quelque fois que la taquinerie était l'arme des faibles. Oui, parfois; notamment de ceux qui, servant eux-mêmes souvent de victimes à d'autres, prennent l'offensive pour engager la lutte sur un terrain où les conditions leur soient moins défavorables que de coutume. Les bossus, les sourds ont la réputation d'être taquins. Il y a des petits frères aussi qui profitent de la générosité des grands pour les larder de leurs agaceries.

Le remède, ici encore, est suggéré par le mal. Montrer à ces faibles qu'ils sont capables de quelque chose de bon et d'utile, que l'on compte sur eux pour cela; en leur assurant notre confiance augmenter leur confiance en eux-mêmes de façon qu'ils sentent moins le besoin de se prouver leur force aux dépens du prochain. Voilà l'attitude qu'un père ou qu'une mère tâcheront de prendre vis à vis des taquineurs. Quant aux taquinés, ils leur ont depuis longtemps, recommandé de ne pas prendre tout cela au tragique. Ils ont eu grand raison.


(1) Voir sur ce sujet NICOLAÏ: L'esprit de taquinerie Paris 1911. BOVET: L'instinct combatif Neuchâtel, 1917.









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