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L'enfant nerveux
Jusque vers 7 ans l'enfant vit au jour le jour, et à chaque instant il est animé par son imagination et ses sentiments immédiats, par ses désirs qu'il cherche à satisfaire: gourmandise, exercice physique, caresses, curiosité, etc... A cette époque, l'enfant est une créature dont les réactions ne sont ni raisonnables ni logiques mais avant tout instinctives et sentimentales. Et la caractéristique de l'enfant nerveux, c'est d'avoir des réactions trop vives ou trop lentes, d'être poussé par des instincts ou des sentiments dont les uns sont trop forts par rapport aux autres.
Les causes de la nervosité infantile sont multiples. Les unes sont à rechercher dans l'hérédité; d'autres proviennent de maladies proprement dites, qui ont laissé subsister après elles un certain nervosisme. Il peut s'agir aussi de quelque trouble actuel et passager: vers intestinaux, entérite, démangeaisons, bref, de petits désordres qu'un traitement approprié fera disparaître, en guérissant du même coup la nervosité qui en résulte. Ces causes héréditaires et médicales mises à part, l'éducation est le facteur qui joue le plus grand rôle, soit pour créer et entretenir la nervosité de l'enfant, soit pour l'atténuer.....
Le petit enfant est enclin à rechercher son plaisir immédiat: il n'a ni idéal ni préoccupations lointaines. Cette tendance innée à ne penser qu'à son plaisir, sera accrue encore par une éducation trop douce et par des gâteries fréquentes. Les parents d'un enfant nerveux font fausse route s'ils se figurent qu'il faut passer par ses mille volontés; en agissant ainsi, ils enracinent de plus en plus en lui cet instinct naturel qui lui fait rechercher sans cesse son petit plaisir, sa petite satisfaction. Inversément, les éducateurs qui font preuve d'une grande sévérité, risquent d'ancrer toujours davantage chez le petit être, la tendance non moins naturelle à la peur et à la méfiance. Ainsi une éducation excessive au lieu de permettre aux sentiments d'évoluer, de se perfectionner d'une manière spontanée et libre, va au contraire accentuer toujours davantage l'une ou l'autre des deux tendances fondamentales: la recherche du plaisir ou la crainte. L'enfant deviendra peu à peu un despote (qui ne vise qu'à utiliser son entourage à son profit), ou un timoré, n'osant prendre lui-même aucune initiative de peur de rencontrer des obstacles.
Pire encore est l'éducation des parents qui passe d'un extrême à l'autre. L'enfant, tiraillé entre la perspective agréable des récompenses et l'attente des punitions qui peuvent surgir, va se trouver constamment dans un état affectif (une Stimmung) composé d'attrait et de peur, de plaisir et de crainte. Rien de tel pour accroître en lui les deux tendances fondamentales, qu'une éducation bien comprise devrait atténuer. Car plus tard les individus dont l'activité est dominée par la recherche du plaisir ou par la peur, ne donnent précisément rien de bon. Ce sont des nerveux mal préparés pour l'existence; la vie réelle, en effet, avec toutes ses complications ne peut pas fournir à l'adulte la dose de joies et de récompenses à laquelle il a pu être habitué par des parents qui l'ont gâté. D'autre part la vie réelle est intolérable pour l'être rendu méfiant et craintif.
Les éducateurs du premier âge doivent justement inculquer des notions de sécurité et de calme. Et comme le jeune enfant est peu accessible aux raisonnements et aux explications, qu'il est une créature sensible et sentimentale, les parents ne peuvent guère agir sur lui que par l'exemple, c'est-à-dire par leur bonne humeur et par une attitude ferme et tranquille. Si la maman se tourmente parce que son bébé ne parle pas, ou ne marche pas encore à l'âge où de petits camarades le font déjà couramment, cela n'a pas grande importance. Mais si, plus tard, elle, manifeste, en présence de son enfant, du caprice, de l'inquiétude, de la nervosité, cela aura bel et bien une influence au point de vue éducatif. Une dame qui se faisait soigner pour un état nerveux, se plaignait que son garçon - un gamin que je n'ai du reste jamais vu - fût insupportable, elle n'arrivait pas à en faire façon il lui «donnait sur les nerfs». Lorsqu'au bout de quelques semaines de traitement, la maman fut elle-même calmée, et qu'elle réalisa un peu mieux ce qui se passait en elle, je lui demandai un jour des nouvelles de son gamin? «Il est devenu beaucoup plus gentil depuis que je vais mieux, dit-elle; je crois que c'est moi qui lui donnais sur les nerfs». A certains égards, l'enfant est le miroir de ses parents; il reflète par son attitude, celle que l'on a autour de lui. Et s'il est né nerveux, il a besoin, encore plus qu'un autre, d'une atmosphère familiale pleine de confiance et de tranquillité. Il ne s'agit pas de le priver d'exercice et de jeux bruyants, loin de là. Mais il faut qu'il trouve, auprès des humains avec lesquels il a affaire, de la sécurité morale et de la stabilité d'humeur. C'est ainsi qu'il prendra instinctivement lui-même, par imitation une attitude confiante et stable, qui lui sera utile toute la vie.
La maman ne doit pas se laisser effrayer par la conduite de son enfant, et surtout ne pas manifester de crainte devant lui. Certains petits nerveux sont sujets à des colères, à des accès de jalousie ou de méchanceté qui semblent monstrueux. Il faut observer ces mouvements d'humeur avec perspicacité pour en trouver les causes, s'entourer des conseils voulus, et surtout s'armer de patience et de sérénité. Toute nervosité de la part du père ou de la mère est fâcheuse, soit qu'elle se montre sous forme d'inquiétude (que l'enfant prend pour de la faiblesse, et qu'il saura bien exploiter à l'avenir), soit sous forme de gronderies ou de punitions trop vives qui irritent encore le petit nerveux. C'est par une attitude sereine et patiente qu'on calmera le mieux sa nervosité.
Dans cette première période, il faut s'abstenir aussi démeubler l'intelligence de l'enfant. Plus il aura de liberté dans ses pensées, comme au point de vue physique mieux cela vaudra. L'éducateur doit surveiller la formation de son caractère, mais ne pas la façonner, comme on façonne une masse d'argile à laquelle on veut imprimer une forme définie. Aussi les écoles, les leçons destinées à des enfants au-dessous de 7 ans, ne sont-elles admissibles que si l'instruction qu'ils y reçoivent a bien la forme de jeux - de jeux quelconques, auxquels ils participent de bon coeur, et où ils peuvent donner libre cours à leurs goûts individuels. La petite personnalité doit, en effet, évoluer selon ses propres lignes, dans cette période pré-scolaire.
Il y a pourtant une exception pour trois choses qui, dès la plus tendre enfance, doivent être soumises à une régularité, à un ordre aussi ponctuels que possible: ce sont la nourriture, la propreté et le sommeil. Dans ces trois domaines, il n'est guère possible de laisser l'enfant se conduire à sa guise. On connaît des exemples de petits nerveux qui se mettent à faire des manières, et même à vomir, lorsqu'on leur donne des aliments qu'ils n'aiment pas. Toute cause médicale ayant été éliminée, cette mauvaise habitude peut néanmoins persister, si on permet que l'enfant l'exploite pour obtenir ce qu'il veut. D'autres refusent de s'endormir dans l'espoir que leur maman finira par les prendre dans son lit. C'est dans ces domaines qui tiennent aux fonctions corporelles, (le manger, le dormir, les besoins d'évacuation), que peuvent se marquer de mauvais plis, si on ne s'efforce pas, dès le début, d'y mettre de l'ordre et de la ponctualité. C'est rendre service à l'enfant que de régulariser le plus tôt possible, ces fonctions automatiques, machinales pour ainsi dire, si essentielles à la santé du corps. La maman doit avoir là beaucoup de fermeté, de tact et de souplesse; ce n'est qu'à la longue qu'elle peut inculquer au petit être des habitudes régulières. Tout mouvement de colère, de sa part à elle, toute répression trop brusque et rigoureuse, provoque infailliblement chez l'enfant une réaction de défense ou de colère aussi. Il en est ici comme du dressage d'un cheval; le bon écuyer sait le faire céder par une main sure et souple; tandis que s'il s'énerve, s'il emploie des moyens brusques, le cheval se révolte et se cabre...
Les terreurs nocturnes, qui produisent un réveil en sursaut, sont plus effrayantes que graves. On arrive en général à les faire passer par de simples règles d'hygiène: diminuer un peu le repas du soir, empêcher la constipation, éviter que l'enfant ait des jeux trop excitants avant d'aller au lit. Les bains de tilleul sont aussi une chose recommandée et inoffensive. Bien souvent les terreurs nocturnes, de même que les cauchemars, révèlent un état permanent de souci, d'angoisse et de peur. Aussi faut-il éviter, chez tous les enfants et à plus forte raison chez les nerveux, des causes de frayeur. L'éducateur doit être très prudent dans ce domaine. Telle petite fille sera effrayée à la vue d'un hanneton; il ne faudra pas la forcer d'y toucher. Sa peur peut seulement s'atténuer à la longue; toute contrainte risque de l'aggraver. Les occasions spontanées et inévitables de peurs, auxquelles est exposé l'enfant, sont déjà assez nombreuses pour que les grandes personnes se dispensent de lui en fournir encore. Et si les contes de fées sont favorables, pour le distraire et l'instruire tout en l'amusant, il faut lui épargner les histoires d'ogres et de sorcières, et ne jamais le punir en l'enfermant dans une armoire obscure.
Les terreurs nocturnes n'ont souvent pas d'autres causes qu'un état de crainte créé par des récits effrayants, ou - ce qui est plus malheureux - entretenu par une atmosphère familiale malsaine, où règne la discorde. L'enfant a besoin, surtout s'il est nerveux, d'un entourage où il se sente en sécurité. S'il assiste à des scènes de famille, à des disputes, entre son père et sa mère, il en souffre, il éprouve une appréhension instinctive. Et même s'il n'exprime pas sa crainte ouvertement, elle finira bien par se manifester soit dans ses rêves, soit dans des terreurs nocturnes. Je connais des personnes nerveuses, dont la vie affective a été façonnée par des émotions anciennes, ou par des spectacles peu édifiants qu'elles ont eus sous les yeux dans leurs premières années.
Le médecin appelé à traiter les symptômes d'un petit nerveux devrait pouvoir, dans bien des cas, ne pas s'occuper de lui, mais modifier d'abord le milieu dans lequel il vit, ou bien l'en sortir. L'enfant est un réactif très délicat: les causes de sa nervosité ne se trouvent pas toujours dans son tube digestif ou dans ses cellules cérébrales, mais en dehors de lui, dans l'attitude de son entourage.
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