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Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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Conversations à table

C'est à table que se retrouvent les membres dispersés de la famille, c'est là que les coeurs se réchauffent, que les langues se délient, qu'on se dit ce qu'on pense et qu'on laisse percer les traits dominants de son caractère.

Il est utile, nécessaire même que devant nous les enfants usent de leur langue. Elles ont passé, les vieilles moeurs d'autrefois, quand garçons et filles ne devaient parler que pour répondre. Certes cette austérité valait mieux que le sans-gêne avec lequel des enfants interrompent leurs parents, poursuivent leurs contestations bruyantes pendant que les grandes personnes ne s'entendent pas. Quelque retour au bon vieux temps ne ferait pas de mal, lorsqu'on voit les enfants lancer leurs questions insignifiantes ou hors de saison à travers des entretiens intéressants, élever leurs voix aigües jusqu'à ce qu'ils aient le dessus.

Mais le silence offre ses graves dangers. Car il ne faut pas se le dissimuler, quantité d'enfants ne demandent pas mieux que de se taire; certaines natures paresseuses, renfermées, égoïstes trouvent commode de laisser tenir à d'autres les premiers rôles; on n'en pense pas moins, surtout on n'en juge et critique pas moins dans son for intérieur. Ces silencieux, de petite ou grande taille, répandent une impression de malaise sur les réunions de famille. Aux parents à observer dès l'enfance ces êtres à nature sensitive qui ne demanderaient que quelques paroles d'encouragement pour s'épanouir, craignons que ces taciturnes ne s'habituent à se replier, à se hérisser, à s'emprisonner. Cherchons les sujets qui les intéressent, si puérils qu'ils nous paraissent; ils ont probablement leurs marottes innocentes: quel mal y aurait il à les faire causer sur leurs sujets favoris? Celui-ci a la passion des automobiles: parlons automobiles. Cet autre aime collectionner n'importe quoi: parlons-lui de ses collections. Jeanne a l'amour des chats: qu'elle nous en compte sur ses chats! Il se pourra que les pauvres enfants aient quelque peine à se décider; voyez comme ils rougissent à la mention de tel objet favori! Ils font la moue, ils ont peur que frères et soeurs ne s'amusent à leurs dépens, et, en effet, des sourires malins se dessinent déjà sur les figures. Oh! que les parents se hâtent d'intervenir, qu'ils montrent que tout les intéresse chats, autos et le reste. Qu'ils rassurent ces petits timides, et songent à la valeur des confidences d'enfants; qu'ils se gardent de fermer ces jeunes bouches par des sentences de plomb ou des railleries qui déchirent, car l'amour-propre n'attend pas les années pour sentir les blessures. Maint enfant s'est promis dès ses premiers ans de garder pour lui ses sentiments et ses goûts plutôt que d'être à table la risée des siens.

A tout prendre, mieux vaut que les enfants parlent trop que pas assez; mieux vaut qu'ils déraisonnent à haute voix. Au moins vous saurez ce qui agite ces jeunes têtes; la sagesse ne parlera pas par leur bouche, les questions oiseuses succéderont aux questions oiseuses, mais vous pourrez juger de quel côté se dirigent les sympathies et les antipathies de vos enfants. Ils n'auront pas besoin de vous être présentés, ils se seront présentés tout seuls. Sous le régime de sage liberté auquel vous les aurez habitués, ils auront pris goût à penser tout haut; vous les connaîtrez sans qu'ils aient à remplir un formulaire. Les connaissant vous pourrez rectifier leurs idées. Vous leur montrerez qu'ils jugent souvent d'après les apparences, qu'ils n'ont entendu qu'une cloche, que ce qu'ils estiment évident est précisément ce qui est en question. Ce qui ne signifie pas, on le devine, que les parents doivent suivre les enfants raisonneurs à travers le dédale de leurs objections et de leurs pourquoi.

Ils sont terribles, les enfants, pour deviner, comprendre à demi-mot, terribles pour écouter sans en avoir l'air, emmagasiner nos réflexions qu'ils reproduisent à quelques semaines d'intervalle, terribles également par la confiance illimitée qu'ils ont en nos jugements. Avec quelle passion n'épousent-ils pas nos préjugés politiques et religieux! Nous sommes confus de retrouver vivantes chez eux des irritations contre telles nations, telles églises ou sectes, telles classes de gens, que nous avions exprimées dans un moment d'humeur. Nos griefs ont germé dans leur esprit; nous avons semé de l'ivraie sans le vouloir, et une triste moisson de soupçons, de défiances lève dans ces terrains vierges. Que le père traite dédaigneusement quelqu'un d'épicier, que la mère compare certaines personnes à des lavandières, voilà les épiciers et les lavandières désormais classés et tenus en mince estime, sans qu'on sache pourquoi. Heureux encore sommes-nous lorsque nos enfants ne nous citent pas en toutes lettres, car nous sommes pour eux des oracles, surtout lorsque nous maugréons et condamnons. «Mon père l'a dit:» il n'en faut pas davantage pour satisfaire ces petits, et ils iront rapporter à leurs camarades, qui les rapporteront à leurs parents, les opinions peu mesurées, trop sommaires que nous avons énoncées sur les gens et les questions à l'orde du jour.

Nos propos se colportent de maison en maison, nos secrets se divulguent. Ainsi naissent des susceptibilités et des brouilles, ainsi se fomentent des curiosités malsaines. Ce que nous craindrions que nos enfants répétassent, abstenons-nous de le dire ou mesurons nos termes avec soin.

Nos conversations à bâtons rompus mettent nos enfants au courant du vrai fond de nos pensées et de nos inclinations. A la fréquence avec laquelle nous revenons sur certains sujets, à l'animation de notre voix, ils distinguent, sans en avoir nettement conscience, de quel sentiment nous nous inspirons. Croit-on qu'il leur faille beaucoup de discernement pour découvrir quel cas nous faisons ou ne faisons pas de l'argent, de la figure, de la toilette? Quand nous racontons comment telle personne était mise, la couleur de sa robe, la forme de son chapeau, le coût de certains costumes, nos filles concoivent une haute idée de l'importance de ces choses. A la nouvelle d'une mort, nous enquérons-nous avidement de ce que laisse le défunt, du sort de ses biens, et à la nouvelle d'un mariage, de la dot que donne le père? Nous apitoyons-nous sur les embarras de tous ceux qui ne vivent pas dans l'aisance? on croira que l'argent est affaire de premier ordre. Ces questions, au contraire, sont-elles rarement touchées, nous entend-on peser gens et choses à la balance du vrai mérite, de la valeur morale? Nos enfants apprendront à regarder moins à l'apparence, au succès extérieur, aux avantages matériels; leur conscience sera mise en éveil, leurs notions du beau, du bien et du vrai s'élèveront.









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