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Signes particuliers
«T’as eu la varicelle?...» Combien sommes-nous à n’avoir pas obéi aux sages recommandations: «Ne te gratte pas» et à garder, au front, à la joue, ou sur la main, le petit trou révélateur qui réveille le souvenir de purée-jambon dans un lit bien chaud, de bibliothèque verte ou rose et de visite des copines... pour les devoirs.
Au fil des ans d’autres cicatrices sont venues s’ajouter, traces de petits bobos ou de gros accidents, elles sont comme des histoires racontées par la peau. Témoins des pires moments ou des plus légers incidents de parcours, elles sont restées imprimées, comme le rappel indélébile de lieux, de moments, de rencontres, à ne jamais enfouir tout à fait.
Si le bout de mon annulaire n’était pas un peu cabossé j’aurais oublié depuis longtemps le médecin et l’infirmière, pas d’accord sur son sort, qui en avaient fait l’enjeu d’un pari. Pour un souvenir anodin comme celui-ci, combien de réminiscences douloureuses, dont seule la trace extérieure est accessible aux autres, quand, pour une raison secrète, elle n’est pas même pudiquement cachée.
Car une cicatrice a parfois le pouvoir de transformer son porteur. Je pense à cette jeune femme, ravissante et sympathique, qui me confiait avoir été égoïste et superficielle, abusant de son charme jusqu’à se rendre insupportable, avant que ses jambes, dont elle était si fière, ne soient très grièvement brûlées et tellement abîmées qu’en toutes saisons elle n’ose désormais plus sortir qu’en pantalon ou collant épais. Forcée de remettre en question tous ses comportements séducteurs et ses caprices de coquette, elle a découvert en elle une nouvelle personne, bien plus riche, sociable et appréciée. Mais ses jambes nues lui rappelleront toujours l’autre, la disparue.
Parfois un de ces signes du passé attire notre attention. Il suffit alors d’une simple remarque intéressée pour que la personne raconte tout un épisode de sa vie et laisse apparaître un pan inconnu de son parcours ou de sa personnalité.
Enfant, j’étais fascinée par l’ongle en deux parties du pouce de mon grand-père. Comment, sans cette preuve et malgré ses récits répétés, aurais-je pu croire que ce vieillard à barbe blanche, tenant à peine debout avec sa canne, avait autrefois fendu du bois gaillardement?
Et si je n’avais pas vu tous les signes bizarres tatoués sur la poitrine et les bras de cet homme et les trous ronds, profonds, sur les jambes de sa femme, ils ne m’auraient peut-être jamais parlé et aussi bien fait ressentir ce qu’ils avaient enduré pour échapper aux massacres: les sangsues des marais cambodgiens, en s’accrochant à la peau, laissent de telles marques, et les tatouages sont des prières de protection pour toute la famille en fuite.
Même cet homme, si proche de moi pourtant, je le comprendrais sans doute moins bien si, en plus des larges lignes blanches qu’il porte sur la hanche, il ne s’endormait parfois encore à plat ventre, une jambe repliée en l’air, retrouvant cinquante ans plus tard la position dans laquelle il avait dû rester plusieurs mois, bébé opéré et plâtré.
Tous ces «signes particuliers» qu’on porte rarement sur sa carte d’identité font autant partie intégrante de nous que les événements qui les ont dessinés. Ils ne témoignent pas seulement, ils préservent la mémoire et bien souvent continuent à peser d’une lourde influence.
Quelle Marquise serait devenue Angélique sans la balafre de...? J’ai oublié son nom, pas sa cicatrice.
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