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Deux voisines
Mme Durville est une femme du meilleur ton. Ses principes sont d'une élévation sublime, elle a des manières de voir claires, arrêtées, inébranlables, sur tout ce qui est bien et sur tout ce qui est mal; elle est charitable envers les pauvres, bonne envers les malades, compatissante envers les affligés et sincèrement religieuse.
Elle remplit avec une admirable exactitude les mille devoirs qui occupent la vie d'une femme et apporte aux moindres détails une régularité telle, qu'on pourrait l'employer avec avantage dans une administration de chemin de fer en guise de chronomètre. Malgré toutes ces excellentes qualités, Mme Durville ne réussit pas à rendre son intérieur agréable. Elle est le plus implacable des critiques, élevé et absolu, depuis le gouvernement des pensées les plus intimes jusqu'à la manière de plier un drap ou d'ourler un essuie-main, et croit de son devoir de faire incliner chacun devant cet idéal.
Elle gronde, du reste, rarement, et n'est pas ce qu'on peut appeler irritable, mais elle exerce autour d'elle une calme et inflexible sévérité. Ses yeux voient tout et n'excusent rien. Ce qui dépend d'elle doit tendre uniformément à la perfection, et ses observations sont dirigées avec une telle fermeté, une telle sûreté de main, une telle force, que les plus récalcitrants se sentent atteints.
Elle réussit à tourmenter tous ceux qui l'entourent, sans pour cela se départir un instant de son calme et de son langage élégant et correct. Ses domestiques la craignent sans l'aimer, son mari est désespéré du mécontentement habituel que provoque chez elle une certaine insouciance qui fait le fond de son caractère à lui, excellent du reste; ses enfants la considèrent comme un être supérieur, appartenant à une autre sphère d'ou elle jette constamment des regards courroucés sur de bruyants petits garçons et de méchantes petites filles.
Le tort de Mme Durville n'est pas d'avoir une trop haute idée du devoir et de désirer la faire partager à d'autres, son tort est d'employer de mauvais moyens pour arriver a ce but. Elle ne se doute pas que de bienveillants encouragements sont plus efficaces que le blâme, et que la plupart des hommes se prennent, suivant le proverbe, avec du miel et non pas avec du vinaigre.
Mme E. est tout l'opposé de Mme Durville. Elle n'a pas la moitié de sa grandeur morale . . . Mais l'admiration est un talisman dont elle fait usage sans en calculer la puissance.
Mme Durville, après avoir examiné minutieusement le couvert, dirait sèchement:
- Augustine, voyez cette raie noire sur la cuiller à sel; serez-vous donc toujours si négligente!
Mme E. admirerait complaisamment: "Votre table est très bien mise, Augustine c'est charmant . . . attendez, voilà une petite tache, ici . . . bon, on n'y voit plus rien;
vraiment vous êtes une habile personne!"
Tandis que les domestiques et les enfants de Mme Durville n'entendent parler que de leurs défauts, ceux de Mme E. connaissent surtout leurs qualités. Elle relève tous leurs bons côtés, leur dit qu'ils réussissent en ceci, qu'ils excellent en cela, qu'une autre chose va très bien, et finit par les exhorter sérieusement à perfectionner les quelques détails encore négligés.
Son mari sent qu'il est toujours un héros aux yeux de sa femme, ses enfants qu'ils sont aimés, chéris, quoique Mme E. ne les gâte pas, et sache très bien être sévère, quand on sort volontairement du droit chemin.
Ces deux exemples, pris au hasard, prouvent qu'une femme toute simple, toute ordinaire, peut par la louange et le contentement d'esprit, exercer une influence bien plus salutaire qu'une personne d'une grande valeur morale, d'une haute piété, qui s'est trompée de levier pour régénérer la nature humaine.
La défiance de soi-même aboutit rarement à quelque chose de bon, est c'est lorsque nous sommes le plus découragés que nous avons le moins de chances de nous corriger. Dans une pareille disposition d'esprit, il suffit souvent de la présence d'un ami indulgent, qui ouvre les yeux sur nos qualités et les ferme sur nos faiblesses, pour ranimer notre énergie, nous remplir de bonnes résolutions et nous donner la force de les exécuter.
La grande affaire est en définitive de nous rappeler toujours que serviteurs et enfants sont, tout aussi bien que nous, de chair et de sang, qu'ils sont sujets aux mêmes tentations, aux mêmes infirmités que nous, qui les jugeons.
Prenons donc trois grandes résolutions.
Commençons d'abord par user de la puissance efficace du silence; ensuite, regardons comme un véritable péché toute critique inutile, et n'empoisonnons pas la vie de nos frères en attirant sans cesse leur attention sur les épines de leur situation; enfin, pratiquons la vertu de la louange. Nous avons tous appris à magnifier Dieu, mais peu d'entre nous savent que c'est un devoir aussi de louer les hommes, et que les mêmes raisons qui nous font admirer les perfections du Créateur nous obligent à nous incliner devant l'excellence de la créature.
Cherchons les bons côtés de nos amis, de ceux qui nous sont chers, tellement que le mal s'évanouisse devant le bien; aimons-les davantage, découvrons toujours en eux de nouvelles vertus aimables; alors seulement nous aurons le droit de redresser leurs torts.
Les parents et les maîtres devraient mettre autant et plus de soin à exprimer leur satisfaction à leurs enfants et à leurs subordonnés qu'ils n'en mettent à les reprendre.
Quand vous ne pouvez éviter de gronder, que ce soit en particulier, doucement, judicieusement, avec tout le tact dont vous êtes capables.
Rien n'est fâcheux, comme d'exprimer sa désapprobation en public. Si vous aviez parlé seul à seul avec le coupable, vous auriez probablement été reçu avec reconnaissance, tandis qu'autrement vous révoltez l'orgueil, vous blessez l'amour-propre et vous excitez l'insubordination.
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