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La liberté dans l'Education de nos enfants (1)
L'éducation de la liberté est nécessaire, mais comme «la nature ne fait pas de sauts brusques», la société ne doit pas en faire non plus, et les réformes dans la famille doivent s'accomplir peu à peu. Donnons donc à l'enfant dans ses premières années une liberté très relative et éduquons cette liberté tout en méditant nous-mêmes constamment sur ce sujet. C. LUCIUS.
Devons-nous éduquer la liberté chez l'enfant? Je crois que nous serons toutes d'accord de répondre oui, car de nos jours personne ne songe plus à imposer la contrainte inflexible qui déprime et parfois écrase l'enfant. Mais si nous approuvons et recommandons la liberté, nous pouvons différer quant aux moyens à employer pour la développer et l'octroyer à l'enfant.
L'esprit de liberté doit emplir l'atmosphère dans laquelle l'enfant se meut, s'élève, grandit, se développe sous la surveillance affectueuse et intelligente de ses guides naturels.
L'enfant ne peut pas faire l'ascension de la vie sans un guide sûr et prudent en qui il met toute sa confiance.
C'est donc, par l'exemple, tout d'abord que les parents - et tout particulièrement la mère, l'initieront graduellement à ces principes de liberté. Or, il faut une grande force de volonté pour prêcher d'exemple, une forte maîtrise de soi pour garder une juste mesure en toutes choses!
L'éducateur doit être toujours un Guide, non un maître; il conseille, redresse, instruit, encourage, mais n'impose pas brutalement sa volonté ne refoule pas l'individualité de l'enfant.
Le Guide ne doit pas imposer sa morale, mais orienter l'enfant, éclairer sa conscience, épanouir son coeur.
Ouvrez son intelligence à l'inspiration du Beau, développez son coeur à désirer le Bien pour lui et pour les autres, à être humain et bienveillant.
Quand j'étais enfant, mon père me disait: Il faut toujours chercher le bien chez les autres. C'est bien plus intéressant que le mal. Le mal, tout le monde le voit. Mais quand nous avons découvert quelque chose de bon dans une personne qui ne nous était pas sympathique, cela nous porte à l'aimer, à cause même de cette trouvaille qu'elle nous a donné l'occasion de faire.
Demeurez toujours le guide, montrez la route, tendez la main, enlevez la pierre du chemin; mais ne soyez pas le maître despote, ni le camarade trop familier.
«Partant du principe que liberté signifie possibilité d'agir ou non - de vouloir ou de refuser - de choisir le chemin de droite ou celui de gauche - nous commencerons par indiquer au tout jeune enfant ce qui est permis, de préférence à ce qui est défendu, et nous créerons ainsi en lui une bonne disposition; car une défense provoque presque toujours un mouvement de révolte ou le désir de désobéir. Elle éveille l'esprit de contradiction (qui est parfois aussi un esprit de vie). - Appliquons-nous cependant à mettre un frein à ses désirs immodérés, à ses velléités de tyrannie, à sa soif de possession; c'est le frein qui donne à la liberté toute sa saveur.
Un frein n'est pas une défense, c'est une limitation, le complément naturel de la liberté qui empêchera cette liberté de dégénérer en licence et de franchir la limite qui sépare le bien du mal.
Il ne doit pas être imposé arbitrairement, mais être approuvé et reconnu utile comme étant une limite naturelle, respectée par les grands comme par les petits, car il n'y pas deux morales.» (Mme FALLER)
La défense arbitraire est la source de toutes les révoltes.
Notre vie personnelle, inconnue à autrui - donc notre propriété exclusive doit illuminer, réchauffer, vivifier. Elle peut être pour autrui une puissance créatrice. La vie, comme le feu, ne se conserve qu'en se communiquant. Or, l'éveil de la vie intérieure se produit souvent au contact d'êtres supérieurs, de natures d'élite, dans des heures graves, toujours rares, toujours décisives pour toute notre vie. C'est à vous, mères, qu'échoit en tout premier lieu le privilège de cette initiation de la liberté qui, bien comprise, bien dirigée, deviendra pour vos enfants une source de joies, la condition même du bonheur.
Persuadez-vous et persuadez vos enfants que la vie est belle en elle-même malgré les difficultés, les tristesses, les souffrances. Elle est belle par sa puissance, par sa variété, par sa jeunesse infinie, par la joie qu'elle fait jaillir du cœur à tout âge. Il faut donc éveiller, cultiver cette vie intérieure qui donnera à la vie en général sa direction, son inspiration et assurera son équilibre et son harmonie.
J'ai été élevée jusqu'à l'âge de 6 ans par une vieille grand'mère et toute ma vie a été illuminée et réchauffée par sa tendresse et sa gaîté. Il m'arrivait parfois de me réveiller de mauvaise humeur. Dans ces cas-là, il y a deux manières de procéder. On peut dire à un enfant: «mais qu'as-tu donc ce matin? tu es d'une humeur massacrante.» Il y a beaucoup de chances alors pour que cette fâcheuse disposition dure toute la journée… Telle n'était pas la méthode de ma grand'mère. Elle prenait un ton le plus enjoué pour me dire: «Sais-tu, nous allons chanter aujourd'hui.» Et elle entonnait une chanson de sa vieille voix chevrotante avec laquelle ma voix grêle d'enfant s'harmonisait assez bien. Maintenant, tu vas m'inventer une chanson sur la fleur, une sur l'abeille, etc. Et la toilette se passait ainsi, si bien que j'en oubliais ma mauvaise humeur. Le moment critique était celui de la coiffure. J'avais de longs cheveux et je trouvais fort désagréable qu'on les démêlât. «Les oiseaux n'ont pas de cheveux», répondis-je un jour à ma grand'mère qui m'encourageait à chanter comme les pinsons dont les cris joyeux pénétraient jusqu'à nous par la fenêtre ouverte. «Non, mais ils ont des plumes qui s'embrouillent parfois, et alors la maman les lisse avec son bec, comme cela, comme cela» et tout en parlant, elle faisait passer doucement le peigne à travers les mèches emmêlées. L'habitude m'en est si bien restée, qu'encore maintenant je chante chaque matin en lissant mes cheveux. Venait ensuite le déjeuner. «Regarde, disait-elle en versant le lait dans ma tasse, comme tu es heureuse d'avoir un déjeuner tout à la fois. Les petits oiseaux doivent attendre entre deux bouchées que le père ait trouvé une autre miette ou un ver, ou que les frères aient eu leur part»â€¦ Tout était occasion d'admirer ou de se réjouir; une fleur qui ouvrait largement sa corolle au soleil, «comme toi, lorsque tu as bien dormi, et que tu t'étires avec délices»; un petit nuage rose dans le ciel du matin: «ne sommes-nous pas heureux d'avoir des yeux qui peuvent voir là-bas, tout là-bas, jusqu'au ciel?» et cette humeur joyeuse devenait communicative et chassait les papillons noirs. Ma grand'mère me demandait-elle un service et me trouvait-elle peu disposée à le lui rendre: «tu as de la chance, disait-elle, d'avoir deux bonnes petites jambes comme les tiennes; les miennes sont vieilles et ne peuvent pas courir si vite, regarde»; et elle essayait de sauter, tandis que je me dépêchais de lui prouver combien mon agilité était supérieure à la sienne. Parfois, la migraine la tenait, elle me disait alors: «aujourd'hui, j'ai mal à la tête, je ne pourrai pas jouer avec toi, il faut même que je te demande de ne pas faire de bruit.» J'étais à cet âge bienheureux, où une compresse sur la tête, un bandage au doigt sont un remède à tous les maux. J'implorais comme une faveur la permission de mettre une compresse sur la pauvre tête endolorie. Quand j'avais obtenu cette autorisation, la journée était gagnée; il me semblait tout naturel de marcher sur la pointe des pieds et de renoncer à mes jeux bruyants. Et c'est ainsi que, sans me faire la morale, ma grand'mère m'apprenait les égards que l'on doit aux malades, aux gens âgés.
Mais, demanderez-vous, comment assurer à l'enfant la liberté à laquelle il a droit?
Sera-ce en écartant de lui toute contrainte, en laissant aux penchants naturels et à son bon plaisir le soin de décider ce qu'il apprendra?
En Amérique, par exemple, à côté d'un sens très précieux de responsabilité et d'initiative personnelle, on trouve trop souvent un culte du laisser-aller et du caprice funeste à l'enfant, parce qu'il développe en lui l'égoïsme.
Je n'hésite pas à affirmer que dans les premières années, l'éducation ne peut se passer de toute contrainte, mais le but de celle-ci doit être toujours d'amener l'enfant à l'obéissance libre.
Les enfants qui vivent dans le concret aspirent toujours à l'obéissance, par ce qu'il y a de divin dans leur nature. Ils ne sont jamais plus vraiment heureux que quand ils peuvent obéir.
(1) Travail préparé par Mlle Brechbuhl pour une causerie à des mères.
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