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Votre enfant
Nous avons sur notre enfant une influence énorme et il faut bien le dire, d'autant plus effrayante à constater que, le plus souvent, nous l'exerçons à notre insu et en dépit de nous-même. Notre vie est le seuil de la sienne. C'est par nos yeux qu'il a vu tout d'abord.
Profitez, jeunes mères, des premiers moments de candeur de votre enfant; tâchez d'entrer dans son petit coeur au moment où il s'entr'ouvre et logez-vous y solidement.
Etre aimé par un être qu'on aime, n'est-ce pas là le grand problème de la vie et le seul peut-être qui mérite de constants efforts. C'est amasser des trésors de bonheur pour l'hiver, que de gagner la tendresse de ses enfants: chaque année, mon amie, vous enlèvera une parcelle de vie, rétrécira le cercle des intérêts et des plaisirs dans lesquels vous vivez; votre esprit peu à peu perdra de sa sève et demandera du repos, et à mesure que vous vivrez moins par l'esprit, vous vivrez plus par le coeur de sorte que l'affection des autres, qui n'était qu'un hors-d'oeuvre agréable, deviendra un aliment nécessaire.
Or l'amour filial ne naît pas tout d'une pièce et comme fatalement.
La voix du sang est une voix plus poétique que vraie. La tendresse des enfants se gagne, se mérite; elle est une conséquence, non une cause, et la reconnaissance en est le commencement.
Il faut donc d'abord que le petit homme vous soit reconnaissant. Et ne comptez pas qu'il vous sache gré de votre sollicitude, des rêves d'avenir que vous faites pour lui ou de la belle dot que vous lui amassez. Ce genre de gratitude exige de sa petite cervelle des réflexions dont il n'est pas capable et des notions sociales qui lui sont encore inconnues.
Sa reconnaissance à lui ne sera d'abord qu'un calcul égoïste, naturel et peu compliqué: si vous l'avez fait rire, si vous l'avez amusé, il souhaitera votre présence et tendra vers vous ses petits bras en criant: "Encore!" Et lentement la reconnaissance naîtra en lui comme le remerciement vient aux lèvres de celui qu'on a rendu heureux.
Donc, si vous avez la moindre vocation, apprenez l'art charmant d'amuser votre enfant. Non seulement votre coeur y trouvera les émotions les plus douces, mais votre esprit pourra y exercer toute sa finesse et sa pénétration. Rien de plus sain, de plus philosophique et de plus touchant que ce contact avec les tout petits.
Si les portes sont bien closes, n'hésitez pas, imitez la voix du coq, sans crainte de déchoir.
Répondez avec douceur aux mille questions plus ou moins folles que vous adressera le cher bébé et qui sont l'écho de ses rêves sans fin. Et même s'il vous obligeait à faire coucou dans les coins et poussait l'irrévérence jusqu' à vous tirer les cheveux en vous offrant ses deux petites lèvres roses, toutes chaudes de baisers... où serait le mal ?
Le bon roi Henri lV ne démentait pas sa fine politique en marchant à quatre pattes sur le tapis.
D'autre part, ne vous imaginez pas que ces façons d'être porteront atteinte à votre autorité maternelle. Elles vous assureront tout au contraire, cette influence profonde et durable qui naît de l'affection réciproque.
L'estime et le respect se concilient fort bien avec la tendresse: on peut être bon et souriant sans abdiquer complètement et se faire obéir sans être terrible.
Est-il bien besoin qu'il vous craigne, le cher petit, s'il craint seulement de vous déplaire et de vous affliger ?
Entre nous, croyez-moi: devenez un peu son camarade; juste assez pour avoir le droit de rester son ami. Cachez votre suzeraineté maternelle comme un commissaire de police cache son écharpe. Ces insignes-là ne s'exhibent qu'aux jours d'émeute.
Demandez avec bonté alors que vous pourriez commander en maîtresse; que sa soumission lui soit douce et que dans son obéissance il y ait beaucoup de tendresse.
Songez que les enfants ont une finesse de jugement, une délicatesse d'impression qu'on ne suppose pas, à moins de les avoir étudiés; qu'ils ont l'instinct de l'équité et qu'il est certains mots durs et injustes, prononcés par hasard, qui restent gravés au fond de leur coeur et dont ils se souviennent toute leur vie.
Songez que, dans votre enfant, il y a un homme dont l'affection réchauffera votre vieillesse; respectez-le pour qu'il vous respecte et soyez sûr qu'il n'est pas une parcelle de semence jetée dans ce petit coeur qui, tôt ou tard, ne produise des fruits.
On rencontre des esprits rebelles et révoltés dès le berceau, me direz-vous. Cela est possible, mais êtes-vous sûr que la première parole entendue par ces êtres méchants n'ait pas été la cause de leurs mauvais penchants ? Que de fois la révolte n'est que la conséquence d'une pression maladroite !
Parmi les instincts vicieux il en est souvent un bon, tout petit il est vrai et qui se cache, mais dont on peut se faire une arme pour combattre les autres. Cela demande, je le sais, beaucoup de peine, de tendresse et de tact; mais la récompense sera si douce ! Et puis enfin, n'aurait-on pas les sentiments d'une mère, qu'il est impossible de passer devant la sainte marmaille sans être émue et sans l'aimer. Crottés, déguenillés ou pomponnés avec recherche; courant au soleil, sur la route, et se vautrant dans la poussière, ou sautant à la corde au milieu des tuileries; barbotant parmi les canetons déplumés qui font koui, koui, ou bien amoncelant le sable auprès des mamans empanachées, les bébés sont adorables. Dans ceux-ci et dans ceux-là même grâce, mêmes gestes embarrassés, même sérieux comique, même candeur même insouciance de l'effet produit, même charme enfin. Charme indéfinissable et irrésistible, qu'on retrouve le même dans toute la nature, depuis la fleur qui s'entr'ouvre, depuis le jour qui commence à poindre, jusqu'à l'enfant qui entre dans la vie.
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