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Education maternelle (1)

On accuse les femmes de manquer d'originalité, «Vous ne produisez pas de génie» nous dit-on. Mais il est un génie que tout le monde s'accorde à nous reconnaître, c'est le génie maternel. Il n'est pas le monopole d'une élite, il est commun à toutes les femme… S'il en est ainsi, on s'attendrait à ce que l'éducation féminine fut tout entière dirigée vers le développement de ce don unique. Pas du tout! on le laisse complètement en friche.

Cela me rappelle la situation où nous nous trouvions, dans ma jeunesse, au point de vue de l'enseignement ménager. A Genève, il y a cinquante ans, j'étais élève dans un externat très distingué; on nous y enseignait la philosophie, la littérature; nous donnions des représentations d'Athalie; mais ni moi ni aucune de mes condisciples n'apprenions la tenue du ménage. On croyait que «cela viendrait tout seul». Il y a trente ans, la Société féminine d'Utilité Publique a entrepris de combler cette lacune, en fondant des écoles ménagères avec le concours financier de la Confédération, et plus tard, des écoles normales. En vingt-cinq ans l'enseignement ménager a été fondé de pied en cap. Il vient d'avoir un important congrès international à Paris, tout récemment. Il ne lui manque qu'une chose, c'est d'être mis à la portée de toutes les jeunes filles en devenant obligatoire, mais tout le monde se rend compte de la nécessité de cette réforme, d'ici à quelques années, ce sera chose faite.

Nous sommes dans le même cas que ces pionnières. Nous nous trouvons en face d'une lacune; nous voulons la combler. On nous dit: les facultés maternelles ne s'acquièrent pas, elles sont instinctives. En effet, elles le sont chez les bêtes, (qui nous donnent souvent un exemple admirable à cet égard), mais cet instinct est atrophié chez nous. Il doit l'être. Nous sommes sur un autre plan: celui de la conscience et de la raison. C'est ce qui constitue notre dignité d'êtres humains. Il faut élever cette conscience et cette raison. Les vestiges d'instinct que nous avons encore, s'ils restent incultes, ne sont pas toujours de bon conseil; ils se manifestent souvent sous la forme de susceptibilité, d'orgueil, de passion maternelle, tout cela n'est pas bienfaisant. Pourtant, hélas! c'est tout ce que possèdent la plupart des mères pour faire face à leur tâche. Beaucoup s'en rendent compte, et elles en souffrent. Un grand nombre de femmes ont le cœur serré lorsqu'on les encense, le «jour des Mères» elles sentent douloureusement ce qui leur manque elles savent que, souvent, elles sont devant leur enfant comme devant un livre fermé; elles ne le comprennent plus! Cela arrive plus fréquemment qu'on ne le croit. Chaque mère a un rêve, un idéal de confiance entière; quelquefois cet idéal est réalisé, mais c'est très rare. L'enfant d'aujourd'hui a peur de l'autorité, il veut rester indépendant, il s'ouvre plus volontiers à quelqu'un d'autre qu'à ses parents. C'est très dur pour un cœur maternel. Mais les expériences les plus pénibles sont parfois les plus salutaires. La maternité fait très souvent l'éducation des mères, rarement celle des enfants. Que de mères qui sont obligées de reconnaître qu'elles n'ont pas su s'y prendre! Est-ce fatal?

Il y a une science de l'enfant. On peut apprendre à l'observer, à voir juste en lui, à l'influencer tout en respectant sa personnalité. C'est là le grand art. Oui, ces choses peuvent s'enseigne ; c'est surtout par l'exemple, en voyant agir une véritable éducatrice, qu'on peut s'initier à cet art difficile. Il y a des maîtresses de jardins d'enfants qui donnent des causeries de pédagogie pratique à l'usage des mères. Mais un petit nombre seulement est atteint. C'est trop tard. Le temps manque à la plupart des mères. Il faut commencer plus tôt. Ce sont les jeunes filles qui doivent être préparées à leur rôle de mère. Partout où l'on a tenté l'expérience, on a constaté que cet enseignement répondait à un besoin. A 12- 13 ans, parfois plus tôt, on peut faire appel au sentiment maternel de la fillette. A Bruxelles, notamment, dans des «Gouttes de lait», on a fait des essais concluants. Il faut écouter la nature. À quel âge se manifeste le sentiement maternel? A deux ans déjà, avec la première poupée. Donc, il faut commencer de bonne heure. Mais continuer, approfondir cet enseignement, au cours de toute l'éducation.

Ce qui importe, c'est de présenter l'idée maternelle comme une aspiration très élevée, comme un idéal. Si l'on fait cela avant l'adolescence, ayant cette période de trouble et d'incertitude, on aura obtenu un résultat important. Au théâtre, au cinéma, dans les romans, on présente presque toujours la passion amoureuse comme le but. On en arrive ainsi à fausser l'imagination des jeunes et à leur donner une conception erronée de la vie.

Mais j'entends une objection:

Est-il sage de faire tant de place à la culture maternelle dans l'éducation, alors que beaucoup de jeunes filles ne se marieront pas? Cette incertitude de l'avenir est un élément tragique de la vie des femmes.

Il faut que chacune se prépare à deux avenirs, pour le cas où elle se mariera et pour celui où elle restera célibataire. Dans l'un et l'autre cas, il faut que la femme ait l'âme maternelle car il n'y a pas seulement des maternités de chair et de sang - Le génie maternel trouve son expression dans beaucoup de carrières.

De notre temps toutes les jeunes filles doivent avoir une profession. Même celles qui appartiennent à des milieux fortunés savent qu'elles ne peuvent plus compter sur le lendemain. Mais c'est une affaire sérieuse que le choix de cette profession. Pour celles qui ont un beau talent et les moyens de le développer, tout est bien. Mais elles constituent une exception. La plupart doivent chercher leur voie. On s'efforce de nos jours de leur faciliter ce choix, «l'orientation professionnelle» prend chez nous un développement très réjouissant; mais il y a encore beaucoup à faire, surtout pour les jeunes filles. L'enseignement est l'une des vocations ou le cœur maternel trouve à se satisfaire, mais il y a trop de candidates… L'an dernier il y avait à Berne plusieurs centaines de maîtresses d'école sans place.

Beaucoup de jeunes filles entrent dans le commerce, dans les bureaux. Elles ont de la peine à avancer. On les laisse dans les emplois subalternes… Pourquoi? On le leur dit ouvertement: «Vous ne songez qu'à vous marier, n'êtes là qu'à moitié, en attendant…» C'est vrai. C'est pourquoi elles cherchent à s'amuser, à s'étourdir; elles ne prennent pas leur travail à cœur. Ce n'est guère qu'à partir de 25 ans qu'elles commencent à s'y intéresser.

A Berne, nous avons des employées de banque qui touchent de superbes appointements. J'en ai vu une qui, au bout de huit ans, gagnait 600 fr. par mois. Elle m'a ouvert son cœur, elle s'ennuyait. Elle a fini par quitter son poste pour entrer dans une Association où elle s'occupe de vieillards, son traitement mensuel est inférieur de 200 fr. à celui qu'elle avait précédemment, mais elle est heureuse.

Il y a d'autres vocations encore où le cœur maternel peut s'épanouir. Ce sont celles où la femme peut soigner, protéger. Beaucoup de voies se sont ouvertes récemment. Dans le domaine de la santé publique, il nous faudra, d'ici à quelques années, des centaines de jeunes filles comme visiteuses-infirmières, etc. On en prépare dans les Ecoles sociales. Ces postes sont aussi des gagne-pains. Dans le domaine de la pénalité également. On ne punit plus les enfants délinquants, on les élève. Le plus souvent, on les confie à une femme. Il y a beaucoup à faire dans cette direction. De même l'assistance paroissiale et communale s'est considérablement développée et offre à la femme des activités nouvelles.

Et l'industrie? Il semblerait, à première vue, qu'il n'y ait pas de place pour le coeur dans cette voie. Au contraire. Partout, où il y a un secrétariat social, où l'on se préoccupe de l'ouvrier, on a besoin de femmes. Dans les grandes usines de plusieurs cantons suisses, on a fait appel à elles. Nous avons correspondu avec une vingtaine d'usines. Dans toutes celles où existait un secrétariat social, on avait déjà une ou plusieurs femmes pour les enquêtes et les visites. Nous avons en l'occasion d'en placer une. Elle a tout de suite gagné le cœur des ouvrières. C'est une vraie maman-ouvrière. C'est à ces femmes qu'il appartient de créer ou d'administrer auprès des usines les Gouttes de lait, les Crèches, les Cantines ouvrières, etc. Les secrétaires sociaux font les plans de constructions, de logements ouvriers, ils organisent les caisses d'assurance, etc.; mais ce sont les femmes qui peuvent entrer en contact personnel avec les familles. Il faut les y préparer. Celles qui auront reçu l'éducation, pour laquelle je plaide, auront acquis des qualifications que l'on pourra compléter par des cours spéciaux. La, nous n'aurons pas à craindre de concurrence de la part des hommes. En Amérique, ces réformes sont déjà très avancées. En Suisse, elles sont à peine inaugurées. La Ligue Sociale d'Acheteurs et l'Association «Volksdienst» s'en préoccupent activement.

Ce qui est important pour toutes ces tâches, c'est d'avoir le don d'individualiser. Or, ce don est inné à la femme. On nous le reproche même souvent. On nous dit: «Vous ne vous intéressez qu'à des personnes, pas à des idées». Pendant longtemps, je croyais aussi que c'était une faiblesse; maintenant je sais que c'est notre force. Dans tous les domaines, on sent le besoin d'individualiser. En Amérique, où les écoles sociales sont très développées, on a essayé un nouveau système nommé Case system, qui consiste à étudier isolément chaque cas particulier de misère au lieu de les traiter en bloc.

La même tendance se manifeste dans les écoles. On sent que c'est à cela qu'il faut arriver; mais c'est très difficile dans les classes nombreuses.

Là où l'on ne réussit pas à trouver ce bonheur maternel dans l'exercice de sa vocation, on se le crée parfois à côté. Je pense à une amie qui offre un exemple typique de cette transformation de l'amour maternel. Dans son enfance, elle a manqué d'affection, elle était mise de côté an profit de son frère. Plus tard, elle est restée seule avec sa mère qui est tombée dans l'enfance. Je les ai vues ensemble. La mère n'est plus qu'un amas de chair, qui branle la tête, bave, etc; sa fille la soigne avec un respect et une tendresse inlassables. Elle me disait une fois, les yeux brillants: «A présent, c'est moi qui suis la maman!»

Autre exemple: N'avez-vous pas été souvent impatientées de voir des hommes paresseux, ivrognes, brutaux, que leurs femmes supportent indéfiniment? C'est qu'elles les aiment d'amour maternel. J'en ai vu nombre de cas. C'est leur nature, et c'est leur bonheur. Quelquefois, elles sauvent leur mari par cette patience infatigable.

L'amour maternel est la quintessence de la nature féminine. Il faut l'élever, l'utiliser, l'élargir sur le plan social. Les jeunes filles commencent à le désirer. En Suisse allemande, il s'est formé dans ce but une grande association qui groupe 900 jeunes filles dans la seule ville de Berne. Elles veulent fonder une école pour fiancées en attendant l'école ou iront toutes les jeunes filles.

Les jeunes gens eux-mêmes commencent à se préoccuper de ce sujet. Une société d'étudiants a choisi, l'an dernier, comme objet d'étude la question de l'éducation des jeunes filles en vue de leur influence future, et, au cours de la discussion, l'avis a été émis qu'on fait trop peu pour préparer des mères». Un des membres a insisté sur le fait que, dans l'intérêt de la femme elle-même, pour son bonheur, il faudrait la préparer à remplir sa tache maternelle. On commence donc à comprendre qu'il s'agit d'un droit pour la femme. Il ne faut jamais considérer l'individu comme un moyen.

«Werde was du bist.» (Deviens ce que tu es). Ce mot profond de Gœthe devrait être notre devise.

Comment organiser cet enseignement? où l'introduire dans les écoles publiques privées, sociales? comment former des maîtresses? On peut débuter sans rien changer à l' organisation actuelle; il faut partir de ce qui est. Ne tendons pas à l'uniformité dans les méthodes. Ce n'est pas de notre pays, à chacun sa manière. C'est à chaque canton qu'il appartient d'organiser ce progrès comme il l'entendra. Chaque femme, chaque mère de famlle, chaque maîtresse d'école, peut soutenir l'effort entrepris dans ce sens, en lui donnant son appui moral, en y sympathisant, en aidant à le faire comprendre dans son entourage. Le moment est venu où l'éducation doit être l'affaire de tous, et non plus celle de spécialistes seulement. L'éducation des filles doit préoccuper toutes les femmes. Les mères de toutes les classes sociales doivent s'entendre et s'unir pour travailler à son perfectionnement.


(1) Extrait d'une conférence donnée par Mme Pieczynska au Foyer féminin de Lausanne, le 21 Mai 1922.









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