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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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Choses vues

I.

Madame Pierre est une jeune maman pour laquelle l'éducation d'un bébé est chose toute nouvelle. "Quand il sera là, je saurai bien me tirer d'affaire, comme tant d'autres", avait-elle souvent dit en riant , lorsqu'une amie expérimeritée lui parlait de sa future tâche.

Un jour bébé est là, et voilà ce qui arrive ... comme comme chez tant d'autres en effet. Bébé aime mieux les bras de sa maman que son berceau et ne tarde pas à obtenir d'être endormi sur les genoux maternels. "C'est bien naturel", dit la jeune mère.

Puis les moments de sommeil s'espaçant avec l'âge, bébé témoigne, surtout par des pleurs et des cris, de son désir d'être amusé, porté vers la fenêtre, distrait de toutes façons. Et maman ne pouvant se résoudre à le laisser pleurer, n'a plus une heure tranquille. Par bébé et le ménage son temps est entièrement absorbé; parfois même il lui faudrait être à deux endroits à la fois. Aussi, bien que d'un caractère naturellement aimable, elle devient fréquemment irritable et maussade.

Voici que bébé peut se tenir assis dans une chaise haute et Mme Pierre pense que, pendant qu'elle prend ses repas, il peut être là plutôt que sur ses genoux. Ce sera un instant de repos. Du repos, quelle illusion ! Tirer la nappe, saisir les couteaux, les fourchettes, les jeter sur le plancher est un jeu trop nouveau et trop charmant pour que Bébé ne s'y livre pas avec enthousiasme. Grâce à ses cris de paon il obtient aisément que les objets soient ramassés et remis entre ses mains. Si, par prudence, on les replace hors de sa portée les cris recommencent de plus belle, et l'on peut s'estimer heureux si le don d'un biscuit arrive à le faire taire.

Habitué de tout temps à avoir sa mère tout pour lui, bébé ne peut supporter de la voir s'éloigner, si bien que vous entendrez Mme Pierre demander à son enfant la permission de vaquer sans lui aux soins du ménage. "Tu vas laisser maman monter faire les lits, n'est-ce pas, Georget chéri ?" A cette demande, pourtant bien raisonnable, le "chéri" oppose un refus formel ! Sur quoi maman reprend d'un ton suppliant : "je t'en prie, Bébé, reste ici bien sagement, et laisse maman aller arranger ton petit lit ..." et ainsi de suite jusqu'à ce que, pour mettre fin à la contestation, maman emporte l'enfant mutin à l'étage où, après force cajoleries et gâteries, il lui permet de faire les lits.

Un peu plus tard il s'agit de préparer le repas et d'aller chercher le légume à la cave. "Maman va à la cave, chéri, et Bébé veut bien rester très tranquille jusqu'à ce qu'elle revienne, n'est-ce-pas ?" Mais non, Bébé ne veut pas ! Le petit tyran ne sera satisfait que s'il va à la cave avec maman, et que, par dessus le marché, on lui donne une pomme.

"Il m'aime tant, qu'il ne veut pas que je le quitte un instant" dit la mère, dissimulant ainsi sous l'orgueil maternel sa secrète lassitude.

A deux ans Georget mange définitivement avec ses parents, mais comme avant d'apprendre à parler, il a appris à commander, il est déjà fort autoritaire et demande impérieusement tout ce qu'il voit paraître sur la table. Pour satisfaire ses désirs il ne craint pas d'enjamber l'appui de sa chaise et la surveillance devient de plus en plus pénible.

Un jour, un invité fut témoin des faits suivants: Georget assis dans sa chaise haute grimpe sur la table et se sert des mets de son choix avant que les autres personnes soient assises. Pendant le repas il demande ceci, réclame cela, puis repousse ces choses aussitôt qu'elles lui sont données. Il ne veut pas du lait, il veut du café ; il ne veut pas du pain, il veut du gâteau. Tout refus de la part de sa mère est invariablement suivis de cris perçants, auxquels on s'empresse de mettre fin en donnant l'aliment désiré. Il demande un cornichon. La mère refuse net. Il tape sa chaise avec sa cuillère et donne de si violents coups de pieds sous la table que Mme Pierre n'ose plus résister. Elle choisit un petit cornichon et le donne à Georget. Mais il n'est sans doute pas du goût de Sa Majesté, qui exprime son mécontentement en le lançant au milieu de la table, tout en continuant à réclamer un cornichon. A bout de ressources, la mère lui présente alors une assiette de fruits confits, parmi lesquels Georget, après en avoir touché plusieurs, choisit une cerise, qui vaut aux parents et aux invités quelques minutes de répit.

Alors, se tournant vers un des convives, le père dit avec un sourire: "Vous voyez, nous voulons la paix, à tout prix !"

"N'est-ce pas tout-à-fait scripturaire ?" ajoute gentiment la maman.

Je vous laisse à penser à quel prix ces parents obtiendront la paix (et quelle paix!) à mesure que l'enfant grandira.


II.

Madame Paul est une jeune maman qui n'a encore jamais eu d'enfant à élever mais qui, en prévision de cette tâche, s'est appliquée à étudier l'enfance. Elle a observé, réfléchi et tiré quelques conclusions qui lui sont fort utiles maintenant qu'elle a, comme on dit, un bébé sur les bras. Mais précisément parce qu'elle a déjà de bons principes, on ne la trouve que bien rarement son bébé sur les bras. Elle est persuadée qu'il est infiniment préférable pour le développement physique de l'enfant qu'il soit laissé très libre dans ses mouvements. Elle pense aussi que, pendant bien des mois, la principale occupation de Bébé sera d'apprendre à se connaître lui-même et que pour cela la présence continuelle de sa mère n'est nullement nécessaire, au contraire. Elle le laisse donc couché dans un berceau ou dans une corbeille, où il peut à son aise faire "gigoter" bras et jambes et où ses pieds et ses mains sont ses premiers jouets.

Mais il acquiert bientôt assez de force pour se tenir un peu assis. Il passe alors de bons moments parterre sur une couverture; une balle, un jouet de caoutchouc, parfois seulement une vieille boîte font ses délices. Pendant ce temps maman peut vaquer sans peine à ses occupations. Bébé n'est pas bien loin d'elle. Elle peut aisément l'entendre et le voir, mais elle ne se croit pas obligée de lui tenir constamment compagnie. Quand, de temps à autre, elle vient travailler un moment auprès de lui, il jouit d'autant plus de sa société qu'il ne l'a pas tout le long du jour.

Assez grand pour être assis dans sa chaise haute, le voilà maintenant admis parfois à assister au repas de ses parents, mais il ne mange lui-même rien car il a ses repas à lui, servis à part à heures fixes. Il apprend donc de bonne heure que les grandes personnes mangent des choses qui ne sont pas permises aux enfants. Le premier jour qu'il fut ainsi en compagnie de ses parents à table, sa mère lui donna une cuillère pour s'amuser. Il ne tarda pas à la laisser tomber et, instinctivement, maman la ramassa et la lui rendit. Aussitôt il la jeta de nouveau par terre, la contemplant avec satisfaction. Le jeu lui plaisait. " Ah ! dit Mme Paul, il a découvert qu'il peut jeter quelque chose par terre ! Eh bien ! il faut qu'il fasse une autre découverte, c'est que les objets jetés ne reviennent pas à lui." On n'accorda donc aucune attention à son désir de posséder de nouveau la cuillère. Quelques expériences de ce genre lui apprirent mieux que des tapes sur les doigts ou des gronderies que, lorsqu'on est dans une chaise haute, on ne conserve ses jouets qu'à la condition de ne pas les jeter par terre. Le temps vint ou Loulou fut considéré d'âge assez raisonnable pour manger avec papa et maman, ce qui ne veut pas dire qu'il put avoir de tout ce que ceux-ci mangeaient. Mme Paul savait que tel ou tel aliment ne lui vaudrait rien et lorsque Loulou manifesta le désir d'en avoir, il lui fut répondu avec douceur "Ça c'est pour papa et maman, pas pour Loulou !" Comme on lui avait fait prendre l'habitude de se soumettre aux décisons de ses parents, il accepta sans difficulté cette nouvelle règle. Quelquefois, lorsqu'il y avait des invités, l'enfant paraissait animé d'un esprit plus malicieux que de coutume et il réclamait ce qui lui avait toujours été refusé. En pareil cas il ne recevait que la réponse habituelle.

" Je ne comprends pas comment vous pouvez refuser à votre enfant la nourriture que vous placez sur la table devant lui et que vous prenez vous-même!" disait parfois un invité. A quoi Mme Paul répondait :

"Pendant tout le cours de son existence il verra des choses, et en grand nombre, qu'il ne pourra pas s'approprier. Mieux vaut pour lui qu'il apprenne cette leçon dès son jeune âge et de la manière la moins pénible. Je ne lui refuse que ce qu'il est préférable qu'il n'ait pas, et je crois qu'il sait très bien que, dans la mesure du possible, je suis toute disposée à lui faire plaisir." Et l'enfant paraissait, en effet, n'avoir aucune peine à renoncer aux sucreries et aux gâteaux. Si les voisins lui en offraient, il les étonnait par ces simples mots: "Je ne mange pas de bonbons !" ou bien: "Ma maman ne me permet pas de manger entre les repas." Ces raisons lui paraissaient bien suffisantes pour ne pas accepter leurs petites gâteries. De même que lorsqu'il était tout petit bébé Mme Paul ne croyait pas de son devoir de l'avoir toujours sur ses bras ou sur ses genoux, de même quand il commença à trotter ici et là, elle ne se crut pas obligée de l'avoir toujours à ses trousses. Lorsqu'elle devait le laisser seul un peu longtemps, elle lui disait: "Maintenant maman va monter faire les lits et redescendra bientôt!" ou bien "Maman va à la cave chercher des pommes de terre." Fréquemment elle lui permettait de l'accompagner, mais c'était toujours comme une faveur. Dans ce cas il pouvait prendre son petit panier et rapporter une ou deux pommes que l'on cuisait pour son diner. Mais si maman ne jugeait pas à propos de le prendre avec elle, il savait bien qu'il n'obtiendrait rien en grognant.

C'est ainsi qu'au début Mme Paul dut se donner plus de peine que si elle avait cédé à tous les caprices du bébé, mais au bout de peu de temps chacun pouvait constater qu'elle avait ainsi rendu son enfant plus heureux et meilleur, qu'elle s'était évité bien des fatigues, et que la paix qui régnait au foyer n'avait été achetée par aucune lâcheté; elle était la récompense de sa persévérance à bien faire.









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