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La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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Formation morale

Conférence faite par Mme Pieczynska, le 28 avril 1923, lors des Journées de l'Enfance et de Préparation maternelle de la jeune fille, à Lausanne. Nous sommes heureuses de l'occasion qui nous est donnée de faire connaître un mouvement qui a toutes nos sympathies et dont Mme Pieczynska est la principale initiatrice.


La formation de la jeune fille aux tâches éducatives a fait l'objet de ces «journées», d'un bout à l'autre. On s'est occupé du corps de l'enfant et des conditions de sa santé, puis de son intelligence naissante. Il reste à parler du domaine le plus intime, qui comprend les affections, les émotions, le vouloir, les intentions, les résolutions, la conscience, c'est-à-dire domaine de l'âme, où se cache l'origine la plus profonde du bonheur ou du malheur de nos vies.

Ce qui se passe dans l'âme influence l'état corporel, favorise la santé physique ou peut la troubler, paralyse l'intelligence ou la stimule; suivant que l'âme est bien ou mal inspirée, un grand savoir devient une puissance bienfaisante ou néfaste. C'est de l'âme que jaillissent les sources de la vie. Et cependant, ce domaine est en souffrance.

La vie actuelle manque d'âme. En d'innombrables êtres, l'âme éclôt comme au hasard, n'est l'objet d'aucun soin, reste inculte et sans aliment. Elle va par le monde en mendiante; cherchant ses joies, les prenant où elle peut, elle se fourvoie et souffre de famine.

Chacun le voit et le sent, il faudrait former des âmes. Après les désastres et les écroulements, on ne parvient pas à reconstruire le monde. C'est que, pour cela, il faudrait des âmes ranimées, bien inspirées, aimantes, des dévouements, des volontés bonnes. Où les prendre? Comment les faire naître? On répond: Par l'éducation. Assurément. Mais qui s'en chrgera?

Tout le monde reproche à tout le monde de ne pas former des âmes. Les uns incriminent l'Ecole. Il fut un temps où l'école aurait répondu: Ce n'est pas mon affaire, ma tâche est de développer l'entendement.

Aujourd'hui, plus éclairée, elle dit: Mes moyens sont limités. Je puis contribuer à affermir certains traits du caractère par la discipline du travail, du devoir, de l'application consciencieuse; mais d'autres éléments très importants m'échappent. C'est dans l'intimité que l'âme se révèle et qu'elle est accessible. Dans nos classes nombreuses d'écoliers, il est difficile d'entrer en contact direct avec l'âme de l'enfant.

D'autres disent: l'éducation de l'âme, c'est l'affaire de l'Enseignement religieux. Les Eglises ont l'école du dimanche, le catéchisme, l'instruction des catéchumènes. Ne peuvent-elles mieux s'en servir?

Il y a là une grande vérité et une grave erreur. Rien n'égale, en effet, l'efficacité d'une influence véritablement inspirée de Dieu. Mais ce n'est pas par des leçons verbales que le cÅ“ur de l'enfant s'ouvre tout d'abord à cette influence. C'est par l'exemple et le rayonnement d'une vie, au cours des incidents journaliers. C'est en voyant vivre une âme qui vit avec Dieu, en la voyant résoudre ses difficultés, remplir ses devoirs, endurer vaillamment ses peines, renouveler son courage, garder la confiance et l'espoir; c'est en la voyant aimer malgré tout, ferme et tendre, pardonner sans faiblesse, triompher de l'impatience, rester bonne envers les méchants et les ingrats, que l'enfant sent poindre en lui la conscience de quelque chose d'inneffable qui lui prend le cÅ“ur, bien avant qu'il ne soit capable de dire pourquoi. A-t-il eu sous les yeux un tel exemple, l'école du dimanche, le catéchisme trouveront une porte ouverte par laquelle leurs enseignements pénétreront et leur influence pourra être féconde. Si la voie directe par le cÅ“ur n'a pas été ouverte, par contre, les meilleures leçons de religion risquent d'être stériles. L'âme de l'enfant pourra y rester absente, indifférente, inerte.

C'est donc dans la famille, dans son intimité journalière, que l'âme devrait recevoir ses premières initiations. C'est bien avant l'école, et plus tard, à côté de l'école, que, dans la vie de famille, l'âme peut s'épanouir ou, sinon, s'étioler.

Voyons comment la famille s'acquitte de cette tâche.

Qui est-ce qui voit éclore l'âme du petit enfant?

- Celle qui veille sur son berceau, qui l'allaite, le baigne, l'emmaillotte, le promène. C'est la mère, ou celle qui la remplace quand des nécessités déplorables la forcent à s'éloigner. Dans ce cas, c'est la grand'mère, une sÅ“ur aînée, - toujours une femme, notez bien …. Quoi qu'il en soit, tel est le charme de ce premier-éveil que partout, j'ose le croire, il fait naître en celle qui le contemple au moins un peu d'amour…

Or, c'est bien de l'amour qu'il faut à l'âme pour venir au monde, et c'est peut-être tout ce qu'il lui faut. Le corps du bébé, on vous l'a montré, ne peut pas se contenter d'amour; il a besoin, dès l'abord, de conditions saines, d'alimentation sage, de bon air, de sommeil … Son âme, par contre, pour éclore, et durant les premiers mois de sa vie ne réclame que de la tendresse et de la paix.

Mais sitôt que les petites jambes s'émancipent et que la surveillance se complique, la mère affairée a besoin d'obéissance. Elle y fait appel, et voilà que surgissent les conflits. Dès cet instant commence l'éducation morale. Dans la période qui va suivre se poseront - ou ne se poseront pas - les premières assises de la conscience, les notions élémentaires du respect, du devoir, du bon vouloir, de l'honnêteté. Pour cette initiation, quels seront les moyens d'influence? La plupart du temps, c'est alors que s'inaugure la phase des taloches et du chocolat!

Punitions, récompenses, voilà l'arsenal dont on dispose. Et comment s'en servira-t-on? Avec un souci de justice ou par explosions d'impatience, suivies d'effusions d'indulgence et de caresses?… Et l'obéissance n'est pas tout! - Voici venir les orages, les premiers gros chagrins, les conflits de possession, les premiers torts subis. Comment ces drames enfantins se résoudront-ils? Par le triomphe du droit du plus fort, ou de celui du plus juste? par la loi du pardon ou par celle du talion? D'ordinaire, ces déclanchements de passions minuscules font sourire… Cependant, ils ont leur gravité, car l'impression s'en inscrit tout au fond du caractère en formation, et,- quoiqu'il en semble - elle y reste gravée.

Mais, peut-on vraiment demander aux mères de prendre au sérieux tout cela? Les plus pauvres se récrieront: Ah bah! qu'ils se débrouillent! Nous autres, on n'a pas le temps de s'occuper à ce point d'un marmot. C'est bon pour les riches qui ont des domestiques! … Les riches? Mais chez eux, le tout petit est-il toujours bien suivi à ce point de vue? La mère élégante, aux loisirs pleins de futilités, est trop souvent elle-même une enfant gâtée, qui fait de son bébé un jouet, et le renvoie à sa bonne quand elle en est lasse. C'est alors la bonne qui devrait vaquer à la première éducation… Y est-elle préparée? Non, ce n'est pas l'opulence qui favorise le mieux l'initiation morale. Le bambin qui trottine dans les pièces exiguës d'un intérieur modeste, et regarde sa maman cuisiner ou, mieux encore, le petit luron villageois, armé d'une gaule, et qui croit aider son grand frère à conduire la vache à la fontaine, sont, peut-être - toutes choses égales - dans des conditions meilleures.

Cependant qui nierait les difficultés de tant de mères harassées de besogne et de soucis? Sans parler de misère noire, ni des familles de buveurs, telle est l'existence de beaucoup de femmes aujourd'hui, telles sont les conditions de leur vie de famille, qu'on s'étonne, non pas qu'il y ait peu d'éducations réussies, mais qu'il y en ait, malgré tout, quelques-unes dans de telles circonstances. Or, il y en a! Nous en connaissons!…

Quelles sont les mères qui font ce miracle?

Ce sont celles qui chérissent, pour leurs enfants, une noble et ardente ambition, qui les veulent bons et braves, travailleurs et honnêtes. Ce sont celles dont le but de la vie n'est pas tout entier dans le verbe avoir!

A n'en pas douter, les mères désirent toutes le bonheur de leurs enfants, et la plupart ne leur marchandent pas les sacrifices. Mais quantité d'entre elles ne conçoivent ce bonheur que dans les jouissances matérielles. Avoir de l'argent à profusion, tous les plaisirs imaginables, s'accorder tout ce qu'on désire! Avoir! Avoir à tout prix! - Les autres, les éducatrices nées, connaissent la valeur du verbe être. Elles se disent: Coûte que coûte, que mes enfants deviennent de braves gens!

Et cependant, cet idéal ne suffit pas à lui tout seul. Rappelez-vous les déboires de tant de parents bien intentionnés! L'idéal, il faut encore savoir l'inspirer, le faire aimer, le transmettre à l'enfant de telle sorte, que librement il l'adopte. C'est là ce que la plupart ignorent. Il s'agit de savoir s'y prendre.

User judicieusement de l'autorité, exercer une inflùence efficace, c'est un grand art. Il y a des écueils à prévoir, des gaffes à ne pas commettre. Beaucoup de mères s'en rendent compte aujourd'hui, et voudraient bien posséder ce secret qui leur manque. Elles constatent avec amertume que leurs efforts d'éducation n'apprennent aux enfants qu'à leur échapper! De temps à autre, survient une explosion de reproches, qui ne fait qu'empirer les choses.

Pourtant, il existe des femmes qui ont trouvé ce secret, et qui parviennent au grand but par je ne sais quel génie… Un exemple typique surgit dans mon souvenir:

Il y a environ 30 ans, me rendant aux Etats-Unis, je me trouvais sur un grand paquebot transatlantique. Le pont de première classe avançait comme un promontoire au-dessus du pont de troisième, beaucoup plus large et plus long. En me penchant sur la balustrade, je voyais en bas une foule d'émigrants prenant l'air, les jours de beau temps, les uns se promenant, les autres assis sur des sacs de bagages en toile, où pendaient leurs gamelles. De nombreux enfants galopaient tout à l'entour.

Un dimanche, après un dîner plantureux, je vis les dames empiler sur leurs assiettes des tas de friandises; du dessert, et se lever de table en les emportant. «Pour les enfants des émigrants», me dirent-elles. «Venez, cela vous amusera».

Peu après, par-dessus la balustrade, commençait la pluie des bonbons et des fruits secs. Les enfants s'élancèrent, les mains tendues, les minois en l'air, et bientôt ce fut une cohue, piétinant et piaillant et se disputant comme une volée de moineaux. Les dames de 1re classe trouvaient la scène délectable. Moins enchantée qu'elles, j'en détournai les yeux et j'aperçus à peu de distance un groupe qui retint mon attention; une femme pauvrement vêtue, avec deux enfants de 6 et de 10 ans, peut-être. La mère, assise sur son sac, entourait d'un bras le plus petit. L'aîné, debout près d'elle, se tenait très droit, la tête haute, la main posée sur les genoux maternels. Tous trois regardaient la scène qui se déroulait bruyante, et voyaient pleuvoir tous ces biens enviables, sans un geste trahissant le désir de s'en approcher. Sur le visage fatigué de la mère, dans ses yeux tristes, une lumière disait: «Non! mes enfants ne sont pas des mendiants, ni des batailleurs gloutons!» La mine du garçonnet n'exprimait pas un regret, rien qu'un libre et joyeux consentement. Le plus petit, serré contre sa maman, ne montrait que tendresse et confiance. Ces attitudes, l'expression de ces visages formaient un ensemble frappant, un exemple d'accord parfait, d'entière union. Le contraste de ce spectacle avec l'autre était tellement éloquent que j'en fut saisie et que l'émotion me prit. Vous auriez fait comme moi. Quittant la balustrade, je me portai vivement vers escalier, je le descendis en courant, mon assiette en mains, puis, fendant la foule, je parvins jusqu'à la mère et versai tout mon trésor sur ses genoux.

Emerveillement des petits!… Des larmes montèrent dans les yeux de la mère et les miennes aussi jaillirent, car on n'a pas tous les jours un pareil rôle!… C'était la récompense providentielle!… Je n'oublierai jamais ce groupe. Après tant d'années, je l'ai encore devant les yeux comme un symbole. Cette mère avait accompli le miracle…

Veux-je dire que toute femme aurait pu l'accomplir, avec n'importe quels enfants? Ce serait trop d'optimisme. Mais il est bon d'avoir vu de ses yeux un tel exemple. Il montre à quoi l'on peut tendre, en dépit des obstacles.

Quelqu'un resterait-il sceptique. Nous lui dirions: Nous ne visons pas à l'impossible. Il ne s'agit pas de créer dans les âmes l'amour du bien. Cet amour y est. Chaque petite âme l'apporte avec elle en ce monde. Sans la semence, que ferait le jardinier? Mais la semence est là, toute petite, peut-être, mélangée à bien d'autres, mais vivante et prête à germer. L'attrait de ce qui est bon, l'admiration pour ce qui est beau, la joie d'une bonne conscience sont aussi réels pour l'enfant que le goût d'une plaque de chocolat. Mais il faut cultiver ces choses. Le jardinier arrose, soigne la jeune plante, écarte ce qui l'étouffe, lui donne un soutien, s'il le faut. (A suivre).









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