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Nos fillettes

I.

Mme Granton est en visite chez Mme Hébert. Elle arrive, accompagnée de sa fille Betty. Pendant que ces dames se saluent, Betty considère l'appartement d'un air surpris et plutôt dédaigneux.

Mme Hébert, à Mme Granton. - Vous êtes bien aimable de m'avoir amené votre fillette. Suzanne va être enchantée. Je vais la faire appeler.

(Elle sonne et donne l'ordre à la bonne d'envoyer Suzanne au salon. Pendant que ces dames s'installent, apparaît Suzanne un peu ébouriffée et en tablier de cotonne rose. Toute souriante du reste, nullement intimidée elle salue gentiment Mme Granton et embrasse carrément Betty, opération qui compromet singulièrement l'équilibre de l'immense charlotte de velours noir sous laquelle s'abritent les boucles brunes de Mlle Granton.)

Suzanne. - Maman, pouvons-nous aller dans ma chambre pour jouer un peu.

Mme Granton, vaguement inquiète. - Jouer ? Vous prendrez garde de ne point vous chiffonner, Betty.

Mme Hébert. - Préférez-vous que les enfants restent ici ?

Mme Granton. - Je ne suis pas si exigeante, mais je tiendrais à ce que Betty reste en ordre.

Mme Hébert. - Allez donc, mes petites, mais amusez-vous à des jeux tranquilles, n'est-ce pas ?

Suzanne. - Oui, maman.

II.

Chambre de Susanne. Tapisserie claire; rideaux blancs; meubles simples. - Seuls luxes: un joli pupitre et une petite bibliothèque bien garnie.

Susanne. - C'est ici chez moi. C'est gentil, n'est-ce pas ?

Betty, air de doute. - Oui… Mais vous n'avez pas de cheminée ?

Susanne. - Oh ! Quand il fait très froid on fait du feu dans la chambre de maman et on laisse la porte de communication ouverte, et je suis très bien chauffée, je vous assure.

Betty. - Vous n'avez pas de rideau à votre lit?

Susanne. - Non, papa dit que c'est malsain.

Betty. - Les miens sont si jolis. Tout brodés et doublés de soie rose. je ne saurais pas dormir dans un lit sans rideaux, bien sûr.

Susanne. - Oh! moi, je dors très bien.

Betty, examinant la tapisserie. - Ce n'est que du papier. Ma chambre à moi est tendue d'une étoffe brochée, art nouveau. C'est très à la mode, vous savez.

Susanne, rieuse. - Oh! je n'entends rien à la mode et ma chambre me plaît comme elle est. C'est moi qui l'arrange tous les jours et vous voyez qu'elle est en ordre.

(Un silence. Suzanne se demande ce qu'elle va faire de cette petite fille difficile, qui ne trouve rien à son goût.)

Suzanne. - Maman a dit que nous pouvions jouer à des jeux tranquilles. Lesquels connaissez-vous ?

Betty. - Les dames, le jacquet. Je joue quelquefois avec Mademoiselle, mais cela l'ennuie et moi aussi.

Suzanne. - Votre maman ne joue jamais avec vous ?

Betty. - Oh! non, elle n'a pas le temps. Elle sort beaucoup. Elle a tant de visites à faire et de robes à essayer.

Suzanne. - Et vous n'avez ni frères ni soeurs, pour jouer avec vous! Comme vous devez vous ennuyer!

Betty. - Je sors avec Mademoiselle. Nous allons au Bois.

Suzanne. - J'ai un jeu de l'Halma tout neuf. Savez-vous y jouer?

Betty. - Non, pas du tout.

Suzanne. - Alors, je vais vous apprendre. C'est très amusant, vous verrez.

Betty. - Oh ! Je n'aime pas les jeux nouveaux et difficiles.

Suzanne. - Vous ne savez pas si celui-ci est difficile.

Betty. - J'en suis sûre. J'aime mieux regarder vos livres. Ont-ils des images ?

Suzanne. - Pas tous. Aimez-vous lire ? J'ai des livres si intéressants. Tenez, voici le Ministère de l'enfance, Flossette, Rosa, Petite mère. Mais vous les connaissez, certainement.

Betty. - Non, aucun.

(Saisissement de Suzanne. Comment peut-on vivre et ne pas connaître, Flossette, Rosa, Petite mère ? La petite fille au grand chapeau lui paraît tout à coup un être absolument déshérité du ciel et de la terre. Heureusement il lui vient à son sujet une inspiration toute miséricordieuse et providentielle.)

Suzanne. - Puisque vous n'avez pas lu ces livres, je vais chercher du papier et de la ficelle pour vous faire un paquet.

Betty. - Un paquet! Maman ne voudra pas que je m'en charge. Nous avons trois visites à faire après vous, pensez donc.

Suzanne. - Seulement un, tout petit….

Betty. - C'est inutile, maman me gronderait. Et puis je n'aime pas tellement lire, après tout…

(Second silence. Suzanne se sent devenir maussade elle aussi. Mais à ce moment un petit cri se fait entendre dans la pièce voisine et Suzanne bondit.)

Suzanne. - Bébé ! C'est bébé qui se réveille. Si vous voulez voir quelque chose de joli, venez avec moi.

(Elle entraîne Betty dans la pièce voisine.)

III.

Chambre à coucher. - Meubles habituels. A côté d'un grand lit un berceau dont Suzanne ouvre tout grands les rideaux d'étamine ajourés. Une petite tête blonde apparaît.

Suzanne. - Regardez comme il est joli. Vous allez le voir rire. Allons, bébé, une risette à Zouzou. Tout de suite, mon amour.

(Mais bébé hypnotisé par l'aspect du grand chapeau de velours noir reste complètement sourd aux objurgations de la grande soeur. Ses beaux yeux écarquillés expriment un monde d'étonnement. Cependant ayant finalement renoncé à comprendre il s'avise enfin de regarder la petite figure engloutie sous l'auvent et comme après tout c'est un fort joli visage, il sourit et tend les bras.)

Suzanne. - C'est à vous qu'il sourit. Petit fripon! Zouzou va pleurer. Voyez comme il vous tend les bras. N'est-ce pas qu'il est gentil ?

Betty, dédaigneuse. - Il est sale. Regardez son nez.

Suzanne. - Un peu de rhume. Ce n'est rien. (Elle mouche l'enfant.) Tenez maintenant vous pouvez le prendre un peu.

Betty se reculant. - Oh ! je n'y tiens pas. Je n'aime pas les enfants.

Suzanne, outrée. - Vous n ' aimez pas les enfants ? Alors qu'est-ce que vous aimez ? (Perdant toute mesure.) Tenez, vous n'êtes pas digne d'être une femme !

Une bonne apparaissant fort à propos. - Ces demoiselles sont priées de retourner au salon pour le thé.

IV.

Une heure après. Au salon. Suzanne et sa mère débarrassent la table à thé.

Mme Hébert. - Tu ne me dis pas ce que tu penses de nos nouvelles voisines, Suzanne, en particulier de cette petite Betty dont tu désirais tellement faire la connaissance.

Suzanne, avec un malicieux regard en-dessous. - C'est que je pensais à son chapeau. Je n'ai jamais rien vu d'aussi magnifique. (Avec un soupir affecté.) Tu devrais bien m'en acheter un comme cela, maman.

Mme Hébert, sursautant. - Y penses-tu, Suzanne ? Mais ce chapeau n'est pas du tout de notre genre, ni de nos moyens.

Suzanne, avec un éclat de rire. - On doit être si bien à l'abri, là-dessous, penses donc, maman. Une vraie petite guérite.

Mme Hébert. - Tu plaisantais donc, petite folle. J'aime mieux cela. Je ne reconnaissais déjà plus ma raisonnable petite Zouzou. Tu m'a fait une peur!

Suzanne. - Pauvre maman ! Non! Mais me vois-tu avec ce monument sur la tête! Cela peut aller à Betty mais pas à moi.

Mme Hébert. - Tu ne m'a pas encore dit ce que tu pensais de cette petite fille. Vous êtes-vous un peu amusées ensemble ?

Suzanne. - Pas du tout. Elle n'a pas voulu. Elle n'aime rien, pas même lire. Tout l'ennuie. (Pensive.) C'est peut-être parce qu'on n'est pas gai chez elle comme chez nous. Sa maman a l'air de ne penser qu'à ses robes. Tandis que toi, maman, tu t'occupes de nous, et tu nous laisses rire et nous amuser. Et même papa et toi savez bien jouer avec nous quelquefois. Et puis j'ai Charles et Bébé, tu comprends, et elle n'a ni frère, ni soeur.

Mme Hébert. - Oui, ma chérie, je comprends. (A part.) Et moi qui craignais que cette visite n'ait rendu ma Suzanne sottement envieuse et maussade. Grâce à Dieu, il n'en est rien. (Haut.) Alors Betty n'a pas beaucoup de chance de devenir ta meilleure amie? Vous ne vous entendez pas bien ensemble ?

Suzanne. - Oh! non! (Avec élan et reposant le sucrier sur la table pour aller embrasser sa mère.) D'ailleurs ma meilleure amie, ce sera toujours toi, tu sais bien, maman.









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