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Le sacrifice nécessaire
D'un air peu satisfait, Mme B. examine le carnet de notes de son fils.
- Comment, Miky, seulement un 5 en histoire, un 3 en calcul, et un 4 en géographie ! Comment donc se fait-il que tu aies de si mauvaises notes ce mois-ci ?
Michel (ou Miky, petit homme de 8 ans) baisse le nez d'un air contrit.
- Je ne sais pas, maman
- Moi, je le sais, reprend sa mère; c'est encore la faute de ton « meccano ».
- Oh! maman
- Depuis qu'on te l'a donné, tu ne penses plus qu'à t'en servir et tu négliges ton travail. Je vais être forcée de te le confisquer.
- Oh ! non, maman, je t'en prie ! Je te promets que je travaillerai bien à présent, mais ne me confisque pas mon meccano !
Miky a un air à la fois si suppliant et si désespéré que Mme B. se laisse fléchir encore cette fois-ci. Oh ! ce meccano ! Depuis qu'il le possède, Miky ne pense plus qu'à lui. Ses petits doigts ont une adresse surprenante pour assembler les diverses pièces d'acier et fabriquer toutes sortes d'objets. Il faut vraiment qu'il ait la bosse de la mécanique. Installé devant la bienheureuse boîte, il oublie tout le reste, y compris devoirs et leçons. Il faut que la voix de sa mère vienne le rappeler à la dure réalité.
- Miky, as-tu étudié ta géographie ?
- N
non, maman.
- Laisse ton meccano et prends ton livre.
- Oui, maman.
Cinq minutes s'écoulent ; le petit garçon, absorbé par la confection du chariot, n'a pas bougé. La voix de la mère s'élève à nouveau, sévère :
- Miky, prends ta géographie, tout de suite. Cette fois, il faut obéir. Avec quel regret, cela se conçoit. Et avec quelle rapidité la leçon de géographie est apprise, cela se conçoit également.. En se dépêchant, en sautant ceci, en bâclant cela, on aura encore le temps de terminer le chariot avant le dîner. C'est l'essentiel. Le reste importe peu, y compris les mauvaises notes. Maman gronde, punit, raisonne et menace tour à tour. Rien n'y fait, le petit garçon demeure incorrigible. Le seul remède, évidemment, serait de confisquer le meccano. Mais Miky a l'air tellement malheureux et désemparé sans son jouet favori que la trop indulgente maman se hâte de le lui rendre !
Un soir, les choses faillirent se gâter pour de bon. Voici l'histoire :
Un peu avant le dîner, comme Miky, ayant terminé, ou plutôt bâclé, ses devoirs, se préparait, l'âme en fête, à courir vers son meccano, sa mère l'arrête dans son élan.
- Miky, puisque tu as fini ton travail, veux-tu être gentil et m'aider un peu ? Voilà une corbeille, va la remplir de fraises au jardin. Choisis les plus rouges et les plus grosses et n'oublie pas que nous avons oncle Henri et tante Marthe à dîner.
Comme un bon petit garçon, Miky prend la corbeille sans récriminer. Mais, en passant devant la salle de jeux, il aperçoit, par la porte ouverte, son meccano sur la table, ainsi qu'un moulin commencé. La tentation est trop forte. On ne dîne que dans une heure. C'est tout le temps nécessaire pour finir d'abord le moulin, puis aller cueillir les fraises avant que la cloche sonne.
Vous devinez la suite
A peine installé devant le moulin, Miky est pris corps et âme par son travail. D'abord les ailes ne veulent pas tenir, il faut recommencer, s'y prendre d'une autre façon
Tant et si bien que soudain le son clair de la cloche fait sursauter le petit garçon.
- Le dîner déjà ! Et mes fraises !
Le premier mouvement de Miky est de courir vers le potager, quitte à arriver en retard à table. Mais sa maman l'appelle pour qu'il vienne embrasser son oncle et sa tante. Miky obéit en essayant de se rassurer : il y a de la crème pour le dessert, peut-être maman ne pensera-t-elle plus aux fraises ?
Hélas Mme B. n'oublie pas si facilement: au dessert, Miky (que ne peut-il se cacher sous la table!) voit le regard de sa maman s'arrêter sur lui.
- Eh bien ! Miky, où sont les fraises ?
- Maman, je
j'ai
La vérité de dévoile. Oncle Henri et Tante Marthe essaient de prendre la défense de leur neveu, mais la mère est trèa mécontente: "je ne peux donc plus avoir confiance en toi, Miky, puisque ton meccano te fait tout oublier ! Je vois bien qu'il faut que je te le confisque. "
Le petit garçon fond en larmes , l'oncle et la tante supplient maman, qui finit par se laisser fléchir: le meccano ne sera pas confisqué, mais Miky est privé de crème. Ce n'est que justice.
Cependant, le petit garçon reste triste. Ce n'est pas à cause de la crème; ce sont les paroles de sa maman qui lui pèsent sur le coeur: " Je ne peux donc plus avoir confiance en toi
" Hélas! Miky sent bien qu'elles sont méritées.
Le lendemain de cette aventure, le petit garçon est installé au jardin avec sa maman. Il est tout pensif; son père vient de faire le culte de famille; il a lu dans la grosse Bible un passage que Miky n'a pas compris et qui lui remplit l'âme d'un vague effroi. Il s'agit du verset 8, de Matthieu 18.
Enfin, après avoir longuement réfléchi, le petit garçon lève vers sa maman un visage soucieux.
- Maman, que veut dire le Seigneur Jésus ? Est-ce qu'il faut vraiment se couper une main ou un pied ?
Mme B. comprend immédiatement ce qui tourmente son fils.
- Non, mon chéri, répond-elle, rassure-toi. Le Seigneur Jésus a voulu dire que nous ne devons reculer devant aucun sacrifice pour nous corriger d'un défaut ou nous débarrasser d'une mauvaise habitude.
- Ah! fait Miky en réfléchissant.
- C'est un grand sacrifice, n'est-ce pas, Miky, que de se priver d'une main ou d'un pied? Eh bien! Jésus veut nous montrer par là que nous devons sacrifier même une chose à laquelle nous tenons beaucoup, si cette chose nous pousse à mal faire et à l'offenser.
- Je comprends, dit Miky.
Et le petit garçon demeure tout rêveur. C'est qu'il a si bien compris, en effet, qu'une pensée, aussitôt, lui est venue à l'esprit: Moi, ce qui me pousse à mal travailler, c'est mon meccano. Est-ce qu'il faut que je le sacrifie ?
Le combat est rude, en vérité. D'un côté, le cher meccano, qui semble miroiter de tout l'éclat de ses aciers et de ses cuivres; de l'autre, le désir d'obéir à Jésus
- Je veux le faire, Seigneur Jésus, oui, je veux le faire! répète tout bas Miky.
Et soudain, la mère sursaute: deux petites mains brunes viennent de poser brusquement le fameux jouet sur ses genoux, tandis qu'une voix saccadée murmure :
- Confisque-le moi, maman, tout de suite! Enferme-le bien pour que je ne puisse pas le reprendre.
Maman a compris. Sans faire d'observation elle se laisse en disant simplement:
- Très bien, mon chéri. Je te le rendrai chaque fois que tu auras bien travaillé, et, entre temps, je le conserverai sous clé.
Elle s'éloigne avec le meccano. Alors Miky pousse un gros soupir, non de regret, mais de satisfaction.
- Là, dit-il, maintenant je pense que le Seigneur Jésus est content. Peut-être que ma maman aura de nouveau confiance en moi.
Et le large sourire de Miky montre combien sa conscience est soulagée: le sacrifice accepté, il est heureux.
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