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Petites mains
J'étais allé le voir dans son modeste atelier du «faubourg»…
Un vrai type, ce père Philippe, un de ces vieux ouvriers d'autrefois qu'on ne remplace plus, un ouvrier ébéniste et qui «fignole» suivant son expression.
Il le sait ; il le fait savoir aussi, car volontiers il est vantard.
Entre temps assez bavard. S'il rajuste ses lunettes et relève sa casquette sur son front, je frémis : un monologue se prépare.
Mais on lui pardonne : avec la marchandise qu'il vous cède il glisse un peu de philosophie. C'est par dessus le marché et pas toujours sans valeur.
Hier il n'était pas content après son siècle.
Petites causes, grands effets : c'était la faute de son apprenti.
- Ces gars-là, voyez-vous, ça ne fera jamais qu'une petite main : au jour d'aujourd'hui on veut gagner tout de suite, sans apprendre, et ça ne fait pas de vrais ouvriers, car on ne sait plus finir…
Le père Philippe était en colère ; je pensais qu'il généralisait un peu vite, mais qu'il ne manquait pas de jugement.
Je pensais aussi que les apprentis ébénistes n'étaient pas seuls à mériter ses reproches.
L'art de finir ! C'est peut-être bien exact qu'il est en train de se perdre et que la génération qui monte n'en a plus guère souci.
A la vérité, que d'agents conspirent à cet effet : Habitudes de vie fiévreuse, crise générale de conscience professionnelle, soif ou nécessité de gain rapide, état social où tout semble mis en oeuvre pour primer les «débrouillards» au détriment des travailleurs tenaces et persévérants… Il ne manque même pas la complicité de nos programmes d'enseignement, de quelque ordre qu'ils soient. Ne sont-ils pas trop souvent la cause d'une désolante dispersion d'esprit : toucher à tout, et ne rien approfondir ; tout connaître et ne rien savoir!
C'est le règne de l'à peu près.
Je ne sais pas de danger plus grave à signaler à la jeunesse.
Il importe de le dénoncer sans relâche et, l'ayant dénoncé, de tout faire pour y parer.
Faute de quoi, toutes les meilleures résolutions ne seront que feu de paille et notre confiance dans l'avenir sera bien ébranlée.
Plus d'un protestera….
Il faut s'y attendre : il en est tant qui se croient au-dessus des détails et ne leur accordent que mépris. Les plus grands hommes pourtant sont-ils ceux qui les négligent ? Ne sont-ils pas plutôt ceux qui leur apportent, avec le soin le plus méticuleux, la dernière main ?
Les hasards d'une lecture attiraient récemment mon attention sur une vie de Michel-Ange.
Qu'il me soit permis d'en retracer un trait.
Nous voici dans son atelier… Michel-Ange montre à un de ses familiers une de ses oeuvres. Elle est là dans la majesté de ses lignes et la splendeur de sa forme. Le visiteur prend ses distances, l'examine, l'admire.
- Approchez, fait dire à Michel-Ange son biographe. Depuis votre dernière visite, voyez, j'ai accentué l'expression de cette lèvre, donné du relief à ce muscle, retouché ce bras, poli ce coin de marbre.
- Mais, ce n'est que du détail ! Et Michel-Ange de répondre :
- Du détail, c'est vrai ! Mais n'est-ce pas le détail qui fait la perfection ?
Quelle leçon, et venue de quel maître !
Leçon pour la direction de notre esprit, leçon pour la conduite de nos propres affaires matérielles, leçon pour la discipline qui doit dominer nos devoirs sociaux.
Qu'il s'agisse de notre vie privée ou de l'exécution des tâches qui nous sont confiées dans la vie sociale, à quelque degré que nous nous trouvions placés dans la hiérarchie, la première chose à apprendre, c'est d'aller jusqu'au bout dans nos efforts.
Ne nous contentons pas d'être ce que le langage imagé de l'ouvrier appelle une «petite main». Soyons sincères ! Que de petites mains autour de nous pour une vraie main… petites mains de la politique, de la pensée, de l'art, de la littérature, petites mains du travail, petites mains en tout…
Pourquoi tant de petites mains ?
Parce qu'on oublie que pour progresser dans notre formation personnelle ou réussir dans n'importe quelle profession, aussi bien que pour acquérir de l'influence, être vraiment utiles et rendre les services qu'on attend de nous, l'à peu près ne saurait suffire.
On l'a dit avec vérité : « Toutes les fois que des hommes ou des peuples ont dégénéré, le mépris des petites choses est le rocher sur lequel ils sont venus se briser. »
Rappelons-nous le vieux proverbe et mettons-le en pratique : « Age quod agis… fais bien ce que tu fais. » Il n'est pas de plus sage règle de conduite. Entreprenez moins de choses, si vos moyens ou votre temps sont limités, mais dans ce que vous aurez entrepris efforcez-vous d'approcher aussi près que possible de la perfection.
Le succès n'appartient qu'aux oeuvres achevées. C'est dans l'art de finir qu'est le secret de la force. C'est là aussi qu'est la vraie source de richesse pour une nation.
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