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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
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A la trace de la simplicité (1)

Que la description de notre vie moderne tombe en traits sévères d'une chaire d'église, qu'elle nous divertisse par son ironie dans un récit de voyage, qu'elle s'étale avec cynisme dans quelque roman ou comédie d'avant-garde ou qu'elle représente notre propre observation, elle a toujours certains traits communs qui en restent la marque : diversité, trépidance, confusion, manque de direction et d’unité…
J'y pensais l'autre jour, en entrant dans mon salon et en y jetant ce coup d'Å“il détaché qui parfois nous échoit sans cause apparente et nous rend spectateurs tout neufs de l'habituel. Sur une table, des livres: un volume de Montaigne, «Poussière», «les Etats-Unis d'aujourd'hui», un catalogue de fleurs de Hollande, «les Malheurs de Sophie» et un cahier de thèmes allemands à corriger… Sur mon bureau, convocations et chèques verts : Dispensaire anti-tuberculeux, Foyer gardien, exposition de peinture, soirée d'éclaireurs, conférences… Sur le piano, laissées en panne une sonate de Mozart et la partition du «Roi David»… et sur la cheminée des articles sur le vaccin de Calmette et la réglementation du régime des alcools… sans compte la corbeille à papier, d'où émergent un Bulletin de la Mission Suisse romande et un plan de croisière en Egypte… A ce moment, sonnerie du téléphone; j'y cours, croisant la cuisinière qui me guette, un panier au bras, et me voilà retenue par ma cadette de 4 ans qui m'interroge avec véhémence : « Maman, Hélène me dit que le Bon Dieu ce n'est pas un grand-papa, mais une âme, qu'est-ce que c'est qu'une âme ? »
Dans l'espace de ces 3 minutes, je retiens, non pas tellement le désordre de la pièce, que la multiplicité des sollicitations, la vie trop diverse, l'éparpillement que cela implique et le besoin que nous sentons toutes vivement de plus de tranquillité, d'harmonie, de simplification en un mot.

Le bébé et le petit enfant. - Ce qui accable surtout les jeunes mamans dans leur vie mouvementée, ce sont les difficultés matérielles et techniques, si je puis m'exprimer ainsi.
Ces jeunes femmes, dans leur ménage battant neuf, sont peu habituées, les intellectuelles surtout, aux petits soucis ménagers pour lesquels leurs grand'mères, entraînées chez leurs mères, ne mettaient pas deux pieds dans un soulier ! Elles ne peuvent plus compter sur ces vieilles bonnes de famille, applaudissant à chaque nouvelle naissance et donnant au fond de la vie domestique une unité et une tranquille tradition.
Avec des maris sportifs, férus de vitesse et de changements, et que la libre camaraderie a habitués au partage de tous les plaisirs, elles sont un peu «bousculées et ressentent très vivement parfois, au moment des fatigues de la maternité, l'instabilité et la complication de leur existence.
Quand le poupon apparaît, si petit, si précieux, elles ont l'intuition très sûre - que leurs notions de puériculture renforcent - de sa fragilité, de son impressionnabilité, au milieu des influences contraires et agitées. Il en résulte chez les jeunes mamans intelligentes et averties une volonté de simplicité, considérée à juste titre comme mesure hygiénique dans l'élevage du petit enfant. Gardes et médecins s'efforcent de les seconder dans cette méthode de la règle fixe qui convient si parfaitement aux bébés. Les grands'mères elles-mêmes reconnaissent qu'ils sont de nos jours bien plus sages et faciles qu'autrefois. Cette régularité, cette simplicité dans l'alimentation, l'habillement et les journées constituent l'atmosphère idéale du petit enfant, tant au point de vue physique qu'à celui du caractère… il vit dans le calme, il prend des habitudes saines et solidement ancrées, il est rose, reposé, ferme, placide et rebondi.
Mais hélas, bien vite et malgré le plus sage programme, survient le règne des arrangements… car on ne se résigne pas toujours à renoncer de gaîté de cÅ“ur à de joyeuses expéditions qui feraient si plaisir; la famille, le mari, insistent, mais comment laisser bébé à la nouvelle petite bonne, à laquelle on confierait à peine, outre Sarine, quelques jeunes veaux dans un pré trop vert !
On emmène l'enfant, se promettant de s'en tenir aux règles habituelles… Première brèche sérieuse, bébé revenu à sa petite vie, s'il n'est pas détraqué, fait l'exigeant, il n'est plus le petit animal sans désirs, repu et bercé par ses habitudes, qu'il aurait dû rester longtemps encore.
Plus les enfants grandissent, plus leur vie simple devient difficile à sauvegarder, ce sont encore ceux des nombreuses familles, ceux des milieux modestes qui risquent le moins et les mères qui ont pu envier les facilités matérielles de leurs amies plus fortunées se sentiraient privilégiées de cette limitation automatique si elles voyaient les choses de près !
Par quelles hésitations, quelles recherches compliquées ne passent pas ces mères, au courant de chaque traitement nouveau, de chaque cure, bains de mer, maison de convalescence à toutes les altitudes, pour y précipiter leurs enfants à la moindre alerte. Ces pauvres poulets, chassés, très agréablement du reste, du sable à la neige, ou vice-versa, voués aux régimes les plus contradictoires et aux gouvernements les plus divers, ne s'adaptent nulle part, ni physiquement, ni moralement. Ils prennent un air à la fois résigné et indifférent. Leur organisme, soumis à des influences, bienfaisantes en elles-mêmes, mais trop passagères et successives, ne se fortifie pas définitivement et leur attention attirée toujours à nouveau sur leur santé et leur petite personne finit par en faire des neurasthéniques ou des malades imaginaires.
L'enfant qui casse ses jouets, en démonte les parties, n'est ni un vandale, ni un futur inventeur de génie, c'est un enfant qui a besoin de jouets simples et compréhensibles et qui se défend comme il peut contre la complication exagérée de ce que nous lui offrons. Voyez ce gamin de 5 ans, auquel un lointain et cossu parrain a envoyé une locomotive électrique, il improvise, avec le carton contenant la merveille, le funiculaire de ses rêves, le long d'une planche à repasser. Pourrait-il être plus glorieux ?
Pour bien des mères qui ne voient la vie que sur le plan pratique, l'absence de blancs dans un programme de journée est une sécurité. Elles occupent leurs enfants avec une sauvage énergie, jusqu'à faire tricoter des garçons de 6 ans le matin dans leurs lits ! Leur incessante activité a horreur des moments où l'on pourrait « traîner, rêvasser », elles ne tolèrent même pas qu'on transpose en termes moins péjoratifs ces états de passive béatitude ; elles ne veulent pas entendre dire « se détendre », et pour elles « méditer» est un non-sens.
Et pourtant, n'avons-nous pas dans nos souvenirs les meilleurs ces longs moments de flânerie où l'on plonge dans un monde à soi et où les impressions extérieures ne servent qu'à continuer des rêves?
Pourquoi ne pas comprendre qu'il faut laisser ces petits en paix, ils ont besoin de tranquillité, comme les grands, et doivent se découvrir eux-mêmes ; il ont à cet âge une imagination vive et féconde qui le ravit… Ninon est assise sur le tapis dans une tache de soleil, un chien sous un bras et un canard sous l'autre… on ne comprend pas ce qu'elle dit, ni pourquoi elle égrène des éclats de rire… J'interroge ? « Mais, je raconte à l'chien des histoires de l'canard et à l'canard des histoires de l'chien! »
Il ne dure pas longtemps cet âge si spontanément heureux, laissons le fleurir, il en restera quelque chose plus tard dans la vie plate et raisonnable, pour le plaisir de ceux qui aimeront notre enfant, et pour sa joie à lui.
Si nous avons par l'observation et l'expérience la conviction que la vie simple, calme et réglée du petit enfant est celle qu'il lui faut, il est intéressant d'en avoir l'écho par les enfants eux-mêmes. On le trouve dans toute sa grâce fraîche dans ces jolies impressions enfantines du «A l'âge de raison », de Lucien Daudet.
« Pour être vraiment heureux, il faut que rien n'arrive, qu'on parle souvent des mêmes choses et des mêmes gens, qu'on ne décide pas brusquement de faire une promenade à pied, après qu'il avait été question d'aller en voiture… il faut que le soleil brille à certaines places que je connais… »
« Pour être vraiment heureux, il faut que tout soit aujourd'hui comme c'était hier… il faut que tout le monde soit content et qu'on soit du même avis. »

Age scolaire. - Le plan de vie réglé et simple que nous avons appliqué avec conscience, nous a donné satisfaction, l'enfant est solide, joyeux, mais son intelligence s'éveille, son besoin de société aussi… l'école menace et déjà se discernent sous le papillonnage de ses jeux, les lignes d'un caractère défini.
Nous abordons la phase de l'âge scolaire et celle des mères plus vieilles un brin, plus assises dans leur vie de famille, plus maîtresses par l'expérience des complications matérielles et moins absorbées par les maternités.
Elles cherchent à s'orienter, se remettent à lire, à suivre des conférences et accueillent ne foison d'idées nouvelles. Le choix d'une direction au milieu de ce « grouillement terrible d'idées contraires » devient un tour de force dont bien peu sont capables.
Or tandis que nous tâtonnons, la vie nous mène et nous dépasse, elle va plus vite que nous, nos enfants grandissent et bousculent de leurs questions notre nonchalance attardée. Comment nous en tirons-nous ? Nous suivons l'ornière, ou plutôt les ornières, sans trop savoir pourquoi nous sommes dans l'une et pas dans l'autre? une fois nos enfants engagés dans une voie, nous laissons aller, non sans nous troubler de ce que nous entendons, ce qui nous fait donner subitement, suivant nos impressions du moment, des coups de frein ou d'accélérateur. Cette incohérence, ces hésitations, ces complications perpétuelles ne valent rien et leurs effets physiques sont d'autant plus déplorables que le tempérament nerveux d'une famille est plus marqué. L'énervement de la mère, ses états de fatigue soucieuse et tracassière peuvent amener dans la vie quotidienne une telle tension que les enfants en souffrent et je ris en évoquant l'air impertinent d'une fillette à laquelle je demandais des nouvelles de sa mère, grande nerveuse qu'on avait mise au vert : « Elle se repose de nous et… nous d'elle! » Quant aux enfants eux-mêmes, ils cultivent souvent une nervosité qui leur joue déjà en petit les tours qu'elle leur ménagera plus tard… et pourtant la vie qu'ils auront à mener dans notre époque de concurrence et de vitesse, demande une solide assiette nerveuse et du sang froid.
Nous les y préparons bien mal, si nous en faisons des nerveux ou des gens dispersés, blasés et partant peu satisfaits d'eux-mêmes et des autres !
Devant ces résultats équivoques, dans notre désarroi intellectuel et devant les problèmes beaucoup plus conséquents que nous posent nos grands enfants, nous retrouvons, plus puissant, plus aigu que devant le berceau, notre besoin de clarté et de simplification.
Pourquoi ne pas continuer dans la voie commencée en appliquant avec logique et énergie cette volonté de simplicité dont nous avons apprécié les effets? C'est, si l'on veut, le régime de la loi, mais d'une loi personnelle et librement suivie; elle vaut, certes, notre indécision et mérite notre admiration pour tant de fermeté… Notre adhésion ?… C'est une autre affaire.
Nous nous découvrons à son endroit des résistances assez complexes et qui ne sont pas toutes des excuses de notre manque d'énergie.
Je ne vous en indique que les nuances. L'enfant n'est plus à cet âge un petit animal qu'on peut et doit dresser, nous ne voudrions pas entraver son libre épanouissement par un parti-pris volontaire.
Cette simplicité extérieure n'est-elle pas facilement imitable, sujette aux contrefaçons… Nous ne pouvons nous empêcher d'évoquer certaine prétendue simplicité qui couvre de son nom l'avarice authentique, le triste souci d'éteindre toute exubérance et toute joie esthétique.
Le mélange inextricable du bien et du mal que nous trouvons chez nos enfants fait aussi que parfois nous ne saurions où trancher ?
Si nous ne pouvons nous résoudre à ce régime de la loi c'est que c'est de nous-mêmes que nous voulons le mot d'ordre et nous sentons que pour emporter notre résolution et ses effets pratiques, il nous faut plus et mieux que la volonté de simplicité; il n'y a que le rayonnement, la grâce de la simplicité intérieure qui pourra soutenir et orienter notre action.
Dès qu'elle paraît nous la reconnaissons, car elle apporte le bienfait de sa sécurité, de sa clarté ; chez nos proches et nos amis elle seule permet la vraie intimité et chez les autres, les inconnus, elle est la qualité rare. Cette impression de bon sens, de logique, que dégagent les gens vraiment simples n'est pas une coïncidence fortuite, mais le résultat de leur attitude d'esprit.

Si dans des moments exceptionnels notre vraie simplicité a pu apparaître par l'écroulement des obstacles qui la tenaient emprisonnée, nous avons à faire pour la conserver dans la vie de tous les jours, des efforts de déblaiement d'autant plus énergiques que nos conditions de vie lui sont plus opposées. Il y a des existences trop bourrées où malgré l'excellence des besognes, il n'y a plus une minute de rêve et de disponibilité; tâchons d'élaguer et renonçons parfois à agir, jusqu'à ce que dans le calme obtenu nous puissions retrouver la fraîcheur de notre élan, car plus encore que les encombrements extérieurs nous devons redouter l'encombrement intérieur. C'est par la vraie simplicité que nous trouverons le libre chemin de notre moi profond et c'est de lui seul que peuvent sourdre nos raisons de vie personnelle et du même coup celles que nous pouvons proposer à nos enfants.
Les mères qui possèdent la vraie simplicité diront comme cette veuve qui avait élevé très bien ses six enfants : « Ma seule idée c'était qu'ils deviennent de braves gens, comme j'ai cherché à l'être. » N'est-ce pas avec des propos d'une aussi simple grandeur que se crée cette élite qui est l'armature saine de la société et la simplicité de cette femme ne nous montre-t-elle pas le chemin qui conduit directement à notre idéal le plus réel ? Les enfants les premiers remarquent vite notre subordination à un idéal dont nous ne sommes auprès d'eux que des initiateurs désintéressés. S'il nous voient le respecter ils feront de même, car ils ont un besoin très vif de se tendre vers quelque chose de plus grand qu'eux, mais comment pourraient-ils le faire si nous ne leur présentons que nos hésitations et nos complications?


(1) Extrait d'une causerie présentée à une réunion de dames.









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