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L'autorité dans la famille
Peut-on parler d'une crise de l'autorité dans la famille ? Il me semble qu'on doit, sans hésiter, répondre affirmativement à cette question. Point n'est besoin d'avoir atteint un âge très avancé pour être frappé, en faisant appel à ses souvenirs, du contraste que présente la famille d'autrefois avec celle d'aujourd'hui. Au respect, mêlé de crainte, que la plupart des enfants éprouvaient pour leurs parents et qui excluait trop souvent toute confiance, tout abandon, se sont substitués, dans l'espace de deux générations à peine, le sans-gêne, l'absence d'égards, l'indépendance farouche qui caractérisent trop souvent la jeunesse actuelle. Tout n'est pas à déplorer dans cette réaction. Ce que les parents ont perdu en marques extérieures de respect, de déférence, ils l'ont parfois gagné en affection, en confiance. Il n'en reste pas moins que beaucoup de parents s'affligent de la trop grande liberté d'allures de leurs enfants. Le moment est venu de réagir et de chercher comment faire pour que la liberté ne tue ni le respect, ni l'obéissance.
Tout d'abord, il faut que le mariage soit une union véritable, basée non sur un attrait passager, sur un caprice, sur une communauté d'intérêts, mais sur un amour profond, l'amour de deux êtres qui ont appris à se connaître, à se respecter mutuellement, qui veulent donner à leur existence la même orientation, qui se font de la vie et de l'union conjugale une idée pure et élevée. Une harmonie véritable entre les parents, telle me paraît être une des premières conditions d'une éducation digne de ce nom.
Pour inspirer du respect à nos enfants, il faut encore
être respectable. Comme le dit Ch. Wagner : « Si notre démarche morale est incertaine, nous avons beau indiquer le droit chemin, l'enfant qui nous donne la main marchera comme nous en chancelant. L'éducation des enfants commence donc par nous-mêmes. Pour guider autrui il faut être ferme et voir clair. Notre temps a besoin de se rendre compte de ce que c'est que l'autorité. Mais pour en user il faut savoir en quoi elle réside.
L'autorité est une libre puissance d'âme ou bien elle n'est rien. On ne la possède pas par le fait même qu'on est père ou mère. Elle n'appartient qu'à celui qui s'en est rendu digne.
L'autorité consiste à donner par son attitude, son allure, tout ce qu'on fait et ce qu'on dit, une impression de réalité, de vérité, de droiture, à faire en un mot apercevoir à travers sa conduite les lois même de la vie. Nos enfants nous voient vivre : à supposer que nous ne disions rien, c'est dans ce qu'ils voient de notre vie, démêlent de nos motifs et de nos intentions, perçoivent confusément de notre fonds moral, que consiste notre autorité. Il y a de modestes parents, peu aptes à formuler les règles de la conduite, à combiner en doctrine la sagesse de vivre, incapables même de mettre en un discours correct ce qu'ils croient juste et bon, des parents qui ont peut être rarement usé du commandement et dicté des ordres. Ils n'en ont pas moins exercé sur leurs enfants, par le seul fait de leur vie fidèle, rectiligne, une influence extraordinaire.
Mais tous les jours nous voyons des parents, beaux diseurs de choses excellentes et distinguées, ou encore des parents impératifs, à cheval sur leurs prérogatives, n'avoir aucune prise sur la conscience de leurs enfants. La vie est une chose, la sonorité en est une autre. Jamais l'enfant ne s'y trompe. La force d'âme l'attire ; une loi secrète les pousse à suivre ceux qui marchent droit et ferme.»
Faut-il donc, pour qu'un enfant respecte ses parents, qu'il les croie parfaits ? Non, cette confiance naïve du petit enfant dans l'omniscience et l'infaillibilité de son père et de sa mère ne saurait se prolonger longtemps. Ce n'est pas nous diminuer aux yeux de nos enfants que de reconnaître franchement que nous nous sommes trompés (erreur de fait) ou que nous avons eu tort (faute morale). Il n'est pas nécessaire, pour que nous ayons de l'autorité sur nos enfants, qu'ils nous croient infaillibles, mais il faut qu'ils sachent que nous cherchons sincèrement à être justes.
Pour avoir de l'autorité, il faut aussi savoir se posséder. Ecoutons encore Wagner :
« Me permettra-t-on de parler ici des mauvais tours que nous jouent nos nerfs dans l'oeuvre éducatrice ? Cela équivaut presque à parler de corde dans la maison d'un pendu : car les nerfs aujourd'hui c'est le mal universel. J'aurai le courage, pourtant, de crier : à l'ennemi ! L'autorité et la dignité ont pour figure extérieure le calme, la juste mesure. Aussitôt que les nerfs s'en mêlent, le calme s'en va et de mesure il n'en est plus question. Le meilleur homme se met dans son tort, se rend ridicule, débite des folies. En un mot, il perd momentanément une partie de ce qui le rend respectable, et pour le respecter malgré cela, il faudrait une dose de philosophie et de charité ignorée de l'enfance. Des nerfs, en éducation, il n'en faut pas ! Quand nos nerfs nous prennent, le moment est venu de nous cacher, ou tout au moins de nous taire. Hélas ! c'est celui que choisissent tant de gens pour parler, avertir, sermonner, corriger leurs enfants. Pendant des jours entiers ils leur parlent peu ou point, et quelquefois manquent de l'énergie nécessaire pour leur présenter une observation. Mais, tout à coup, sous l'impulsion des nerfs, il leur faut une vaste explication, une liquidation générale. Pêle-mêle alors, tout y passe. Ils déversent sur la tête de leurs enfants un flot de paroles. Ce n'est plus la douce rosée qui fertilise, c'est l'averse diluvienne. »
Mais là même où les parents sont unis et n'ont pas failli à leur tâche, on rencontre un grand nombre de familles d'où l'autorité est absente. D'où cela vient-il ?
De ce qu'on a méconnu les lois élémentaires de la pédagogie. Alors qu'on se prépare soigneusement à toutes les carrières, qu'on ne songerait pas à devenir mécanicien, serrurier ou horloger sans avoir fait un apprentissage sérieux, on ne semble pas s'être avisé suffisamment qu'il faudrait une préparation à la vocation la plus importante - et la plus délicate - qui soit : celle d'éducateur au sein de la famille.
Il faudrait arriver à persuader les parents que leur tâche commence à la naissance de leur premier enfant (d'aucuns disent : avant la naissance). C'est dès le premier jour de sa vie qu'il faut inculquer à un enfant des habitudes : celle de dormir la nuit, par exemple. Si l'on a le courage de laisser le nourrisson crier dans son berceau (après l'avoir nourri et mis au propre), il y a quatre-vingt dix chances sur cent pour qu'au bout de deux ou trois nuits, le pli soit pris et que parents et enfant jouissent d'un sommeil ininterrompu. Mais, si on se laisse attendrir, si on prend le bébé dans son berceau, si on lui donne ne fut-ce que quelques gouttes d'eau sucrée, sous prétexte de le calmer, on est perdu! Bébé a remporté sa première victoire qui sera, soyez-en sûr, suivie de beaucoup d'autres. Il est étonnant de voir combien ces petits, à peine nés, sentent à qui ils ont affaire. Ils poussent parfois des cris déchirants qui vous feraient croire qu'ils souffrent. Prenez-les dans les bras, ils cesseront instantanément de crier pour recommencer dès que vous les aurez remis dans leur berceau. C'est dès le premier jour qu'il faut être d'une fermeté inébranlable et se faire une loi de ne jamais prendre l'enfant dans les bras, en dehors de l'heure - qui doit être immuable - de la toilette et des repas. Si l'enfant se rend compte qu'il usera votre résistance à force de crier, c'en est fait de votre autorité. Plus tard, ce seront les cajoleries pour obtenir la satisfaction de ses caprices
Tous, nous avons eu sous les yeux au moins un de ces exemples de vies gâchées, irrémédiablement, par suite de la faiblesse d'une mère - ou d'un père - trop tendre, incapable de dire non.
Nous voudrions recommander à nos lecteurs deux brochures de T. Combe : Parents obéissants et Pilules d'obéissance, qui contiennent de grandes vérités dites avec la saveur et l'humour propres à la spirituelle moraliste dont la mort récente constitue pour notre pays une si grande perte. Voici la recette des fameuses pilules :
« Ne jamais céder. Mettre de la douceur autour. »
Et voici le régime recommandé aux parents :
Ne pas donner d'ordres sans réfléchir.
Ne pas faire de menaces.
Ne jamais mentir. Ne pas se répéter.
Ce serait une grave erreur de s'imaginer que les enfants sont plus heureux dans les familles où règnent l'anarchie et le laisser-aller. L'enfant a besoin d'une discipline (même quand il semble s'insurger contre elle). Nous connaissons tous l'atmosphère orageuse qu'on respire dans les maisons où les parents ne savent pas dire : non. Enfants insupportables, revenant sans cesse à la charge ; mères exaspérées, finissant par distribuer des taloches parce qu'elles n'ont pas su d'emblée imposer leur volonté, voilà le spectacle qu'offrent un trop grand nombre d'intérieurs.
Il faut encore se rappeler que l'autorité doit se transformer peu à peu.
« L'autorité forcément se modifie », dit encore Wagner. « Si elle veut élever l'enfant pour la liberté, il est nécessaire qu'elle devienne de moins en moins pesante, se fasse presque invisible et aille en s'effaçant. Non seulement il faut nous résigner à voir la volonté et l'énergie personnelle de nos enfants s'affirmer, mais il faut saluer avec joie tous les signes de caractères naissants et laisser, autant que la sagesse le comporte, franc jeu à l'esprit d'entreprise et d'indépendance. N'empêchons pas l'homme de se fortifier dans l'enfant. »
Enfin, pour que nos enfants nous obéissent, il faut qu'ils sentent que nous obéissons nous-mêmes à quelque chose - ou à quelqu'un - de plus grand que nous ; que les ordres que nous leur donnons n'émanent pas d'un caprice, mais qu'ils sont l'expression d'une Volonté supérieure, d'une Loi que nous avons acceptée et à laquelle nous nous efforçons - plus ou moins imparfaitement - de nous conformer. Il n'est pas de famille où l'autorité s'établira plus spontanément que celle où parents et enfants pourront s'incliner ensemble en demandant, à la fin d'une journée, le pardon de Dieu pour les fautes commises, la force pour la tâche du lendemain.
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