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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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Ma fille idéale

Ce ne sera certes pas celle de la chanson «Elle avançait marchant à petits pas, pour retrouver son papa et sa mère…». Petite fille, puis jeune fille, puis vieille fille, toujours son ambition, son idéal, son mot d'ordre peut-être, était d'aller «retrouver son papa et sa mère». Peut-être avait-elle parfois des velléités d'indépendance, de vie propre, mais l'habitude, la tradition, la déformation filiale la faisait revenir à petits pas «pour retrouver son papa et sa mère». Pauvre fille, pauvres parents, enfermés dans leur faiblesse, leur timidité, leur égoïsme, oh non ! je n'aimerais pas une fille comme celle-là; mais je ne voudrais pas non plus d'une fille cavalière et indépendante, qui attendrait sa majorité avec la même impatience que le prisonnier attend sa libération. Non, je rêve d'une fille qui serait, d'une part, très différente de moi car je n'aimerais pas n'avoir fait qu'une copie, ou n'être moi-même que le brouillon d'une épreuve plus achevée ! Une fille très différente, mais en même temps semblable par tout ce qu'elle aurait bien voulu accueillir et recueillir de mes expériences, acquises parfois dans la souffrance, toujours dans le combat de la vie. Je voudrais trouver en elle cette résonnance qui fait qu'on se comprend à demi-mot parce que les âmes sont accordées au même diapason. Mais en même temps, quel bonheur si je découvre en elle des clartés nouvelles, un élan qui dépasse le mien, une lucidité qui me fait cligner des yeux peut-être, parce que je me suis habituée aux demi-teintes, avec l'âge et la maturité. Tant mieux si son jugement est plus aigu que le mien, si son intelligence, plus récemment exercée, m'humilie, si son ardeur me fatigue même, et si sa foi confond la mienne.
N'a-t-elle pas été mon espérance, ma grande espérance, ma grande oeuvre et le fruit du meilleur de moi-même ? Je ne veux donc pas limiter cette oeuvre, la garder pour moi. Tel l'artiste qui se dépouille du fruit de son labeur et de son génie pour l'offrir au monde, ainsi je donne ma fille à l'avenir pour lequel je l'ai formée.

Mais quelle attitude ma fille idéale devra-t-elle avoir en échange de mon abnégation ? Oh ! je ne désire pas du tout qu'elle m'installe dans un fauteuil, avec un tabouret sous les pieds et une tapisserie ou un tricot entre les mains, dès qu'elle est en âge de se passer de moi. Je n'aspire pas non plus à l'entendre me dire d'une voix douce et un peu protectrice: «Maintenant, ma petite mère chérie, tu vas te reposer de ton labeur et me laisser faire». Ce serait une «mise au garage» mal dissimulée dont je souffrirais beaucoup. Non, j'aimerais plutôt qu'avec un tact et une bonne grâce dont je serais charmée, ma fille fit semblant d'ignorer mes cheveux grisonnants vers les tempes, ou les rides qui commencent à marquer mon visage, je voudrais qu'elle ne me traite pas en «vieille » mais comme quelqu'un sur les forces et les capacités des quelles on peut encore compter.
Si elle a 12, 14, 16 ans, quel plaisir ce sera pour moi si elle veut bien me raconter «tout chaud» ses oies ou ses déboires d'école, ses «tracs» d'examen, si elle me fait part de ses goûts, et même me demande les miens en échange, comme si je n'étais pas une quantité négligeable dans sa vie. Quelle joie profonde si elle me parle parfois, à mots contenus, mais sentis, pensés, de son instruction religieuse, ou de ce qui la préoccupe ou lui paraît obscur. Dans ce domaine plus que dans tout autre, une femme, une mère, une chrétienne ne vieillit pas, si elle sait s'abreuver chaque jour à la source d'eau vive. De sorte qu'elle aura 14, 16 ans avec sa fille, avec en plus la compréhension et la tendresse d'un coeur qui sait que
la vérité parle à chaque âme à la manière de celle-ci, et que l'amour est le seul trait d'union qui peut unir les âmes.
Si elle a 20 ans, ma grande fille, oh ! que sa fraîche et belle jeunesse ne dédaigne pas ma maturité de 40 ans ! Qu'elle vienne à moi simplement, en amie maintenant pour me conter ses peines ou ses joies, pour me parler de ses intérêts présents et de ses projets d'avenir. Là aussi mon coeur n'a pas vieilli, au contact du sien il rajeunit encore et saura vibrer à tous ses espoirs, à tous ses enthousiasmes. Pour t'encourager, je te raconterai la sympathique compréhension que j'ai trouvée moi-même chez ma mère un jour ou le lui déclarai que j'avais une passion pour un certain violoniste au talent étourdissant que j 'avais entendu dans un concert. Ma mère entra si bien dans mon sentiment qu'elle m'aida même à composer la lettre brûlante d'admiration où j'épanchai toute ma ferveur, et ensemble nous vécûmes la palpitante attente d'une réponse qui ne vint d'ailleurs jamais !
Vous voyez donc, jeunes filles, que votre mère est encore très capable de s'envoler avec vous sur les ailes de l'enthousiasme le plus ardent, comme aussi
elle le serait de partir en guerre pour défendre une idée généreuse qui vous tient à coeur.
Et puis, mon enfant, dis-toi bien qu'il y a un domaine où ta mère peut mieux te comprendre encore, et c'est celui du coeur. Sais-tu que notre coeur tendre,
sensible, aimant est un vivant trésor que Dieu nous a confié. Nous n'avons point à en comprimer les battements, il s'agit seulement de le garder du mal, de le garder «plus que tout autre chose, car de lui viennent les sources de la vie», comme dit la Bible.
Mais, je t'en prie, ne le tiens pas jalousement fermé, ton coeur de 20 ans, aux regards du coeur maternel ! Dis-toi bien qu'elle a connu, avant toi, ces vagues émois qui font rougir sans cause, cette sensibilité qui fait tressaillir d'allégresse au seuil d'un matin d'Avril, et pleurer le soir quand la terre s'enveloppe d'ombre. Elle a vécu aussi ton attente émue de l'âme-soeur à laquelle tu aspires de tout ton coeur et de tout ton être. Si tu as déjà souffert, si tu as pleuré même, parce que tu as été ignorée ou méconnue d'un passant que tu as cru aimer, alors n'aie pas peur de venir déposer ton chagrin sur son coeur, car tu le sentiras battre à l'unisson du tien. Et, plus calme d'avoir laissé ainsi s'écouler ta douleur dans une âme qui l'a faite sienne, tu reprendras ta course, confiante en Dieu le Père qui connaît nos besoins et sait de quoi nous sommes faits.
Et voici qu'elle a 25, 3o ans, ma petite fille aimée. Peut-être est-elle entrée maintenant, et je le lui souhaite de tout mon coeur, dans la grande confrérie des épouses et des mères. Alors tu auras d'abord soif de t'envoler bien loin et bien haut seule avec le compagnon élu, et tu auras raison de le faire pour pénétrer à ta façon avec lui, dans ce nouveau monde où t'attendent les plus belles et les plus grandes expériences de la vie. Et puis tu reviendras vers moi très naturellement, comme vers une soeur aînée, surtout quand les préoccupations et les responsabilités d'une famille auront alourdi ta marche et parfois assombri ton front. Et tu devines quel accueil tu recevras dans mes bras grands ouverts, toi, et le mari, et les enfants peut-être que Dieu t'aura donnés.
Mais si le mariage t'est refusé, ô ma fille chérie, ne te désole pas et accepte bravement ta vocation solitaire en te disant que Dieu a sans doute besoin de toi pour une oeuvre d'amour plus étendue que celle de ton seul foyer. Ouvre tes yeux, ouvre ton cÅ“ur pour saisir l'appel qui passe, proche ou lointain, pour entendre la voix de Dieu à travers celle de tes frères. Tu ne pourras trouver un bonheur plus sûr et plus vrai ailleurs que dans le don de toi-même aux autres, car j'ai la conviction intime que c'est la vocation qui répond le mieux à la nature profonde de la femme. Alors, tu me rendras grand-mère quand même en m'apportant, pour que je les aime, tous ceux, grands ou petits, dont tu auras encouragé la marche et éclairé le sentier.
Et puis viendra le soir, le soir de ma vie, tu voudras bien cette fois, ma fille, mon amie, m'aider à atteindre un fauteuil au coin du feu, mais surtout cette «haute retraite», faite de silence et de recueillement, où toutes les mères devraient se donner rendez-vous quand elles ont presque achevé leur tâche. C'est là maintenant que tu viendras te reposer un moment, entre deux actions, entre deux combats ; c'est là que tu viendras à moi pour que je panse les blessures que la vie t'aura faites, et pour retrouver, dans le calme de ma vie pensive, la claire vision des choses que l'on perd parfois dans la mêlée.
Et c'est ainsi que sans heurt, sans conflit, dans l'harmonieux accomplissement de destinées normales, ma fille aimée prendra de mes mains le flambeau qui vacille pour le porter à son tour en avant, et plus haut, avec la force et l'élan de la Vie, qui ne meurt jamais.









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