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Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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Le Président Masaryk

Episodes de sa vie

Rien n'est grand que ce qui est vrai.
F.-G. MASARYK.

« C'est aux soins et à l'éducation attentive de ma bonne mère que je dois toutes choses. » Qui parle ainsi ?
C'est Masaryk, le libérateur des Tchèques et des Slovaques, le constructeur de la République Tchécoslovaque et son premier président.
C'est bien sa mère, en effet, qui dirigea son éducation, et eut sur lui une influence décisive. C'est elle qui était la tête de la maison; c'est elle qui prenait les décisions, et son mari - homme honnête mais sans culture - finissait toujours par s'y ranger. Ils étaient pauvres ; la vie était dure dans leur chaumière, mais elle développa chez l'enfant une énergie et une habitude de travail qui devaient lui être fort utiles plus tard.
C'est à sa mère que le petit Thomas doit son sens religieux. Elle était catholique. Lui, fut enfant de chÅ“ur avec délices.
C'est grâce à elle qu'il alla à l'école enfantine et que, plus tard, il put abandonner le métier de forgeron pour entrer à l'école normale et devenir instituteur.
Mais ce qu'il doit surtout à sa mère, c'est la base de sa vie morale, c'est-à-dire son horreur de tout ce qui est faux.
La mère, en effet, pose les bases ; elle prépare le terrain, bon ou mauvais pour les semences de plus tard. Il ne faudrait jamais l'oublier.
Thérèse Masaryk a préparé chez son fils le bon terrain.


Nous sommes en l'année 1856.
Dans un champ de Moravie, un soir d'été, une femme, Thérèse Masaryk, glane les épis de seigle que les moissonneurs ont oubliés derrière eux.
Thomas, son petit garçon, marche devant elle. Il a 6 ans.
Elle le regarde avec amour. Il ne faut pas, se dit elle, que cet enfant souffre comme son père et moi, de la misère et de la servitude; il faut qu'il s'instruise, il faut qu'il aille à l'école.
Puis, répondant peut-être à des propos que le petit a entendus au village et qu'il vient de répéter, elle lui dit gravement, en le regardant dans les yeux :
Thomas, écoute-moi bien : Celui qui ment, vole(1).
Souvent, elle lui répètera ce proverbe tchèque. Ainsi, elle le fera pénétrer dans la conscience de sonfils.

Thomas a 14 ans. Il est déjà « assistant » du maître d'école. Il faut qu'il gagne son pain. Hardiment, avec la certitude qu'il dit la vérité, il enseigne aux petits écoliers que la terre tourne autour du soleil. Les enfants en parlent à la maison. Grand émoi. Les mères se plaignent au curé : « C'est contraire au catéchisme; c'est de la sorcellerie, disent-elles. Cet assistant se moque de nos enfants. »
Le curé, conciliant, les calme, arrange les choses, mais conseille à Thomas de s'en aller.

Au lycée de Brno. - Thomas est depuis quelque temps ébranlé dans ses convictions religieuses. Un jour, il va trouver le chapelain du lycée :« Je viens vous dire, mon père, que je ne puis continuer à aller à confesse. » Le père, très ému, essaie de le faire changer d'avis. Thomas reste ferme.
Alors, on avertit le proviseur. Celui-ci fait comparaître le lycéen récalcitrant.
« Qu'est-ce que cela peut vous faire ? lui dit-il. Croyez-vous que tous ceux qui vont à confesse y croient ? Croyez-vous que j'y croie moi-même ? Comme fonctionnaire, j'obéis au règlement ; comme élève, faites de même. »
- Monsieur, réplique Thomas, raide devant son supérieur, j'estime que celui qui agit contre ses convictions, est un vaurien.

Brno, ville mi-allemande, mi-tchèque, révèle à Thomas l'opposition des deux nationalités. Pourquoi cette opposition, se demande-t-il, et pourquoi, nous, Tchèques, sommes-nous traités comme des inférieurs ?
Il cherche, il interroge, il lit. Il découvre que la nation tchèque a été libre autrefois, qu'elle a eu ses rois, ses poètes, ses héros :
Jean Huss, brûlé sur un bûcher en 1415 parce qu'il mettait l'autorité de l'Evangile et de la conscience au-dessus de l'autorité des papes.
Deux siècles plus tard Comenius, un grand éducateur; il a été envoyé en exil à cause de sa foi évangélique, et il a prophétisé la libération de son pays.
Thomas est perplexe. On nous méprise, nous Tchèques, et pourtant la vérité n'est-elle pas du côté de Jean Huss et de Comenius ?
Depuis quelque temps, Thomas souffre des entraves que met l'Eglise catholique aux relations directes du croyant avec Dieu.
Il lit la Bible et c'est là que sans intermédiaire, il trouve Jésus, c'est-à-dire la Vérité.
Pie IX ayant promulgué en 1870, le dogme de l'infaillibilité papale, le jeune Masaryk se refuse à l'accepter et il quitte définitivement l'Église de Rome.

Il épouse à 28 ans, Charlotte Garrigue, Américaine, descendante de huguenots français. Elle veut comme lui vivre dans la Vérité. Elle est sympathique aux souffrances des opprimés, individus ou nations. Ces deux âmes se sont comprises.
« J'ai eu, dira-t-il plus tard, un bonheur particulier de rencontrer Charlotte Garrigue sur mon chemin. C'est elle qui m'a révélé le sens de ma vie. »

Masaryk est professeur de philosophie à l'Université de Prague.
La philosophie pour lui, n'est pas une science qui doit être enseignée à un groupe d'étudiants indifférents. C'est une force vivante dont il vit lui-même.
« Il ne suffit pas de vous proclamer Tchèques, dit-il à ses auditeurs. Vous devez savoir ce que vous avez à faire ; tout d'abord être vous-mêmes parmi les meilleurs; puis connaître quelle espèce de Vérité la tradition tchèque contient… Mais vous avez peur de la Vérité, et c'est pourtant la Vérité seule qui sauve et qui fortifie. »

Le professeur Masaryk, tous les soirs va auprès du lit de sa fille, la petite Olga; elle a 5 ans. Il lui fait répéter la règle de vie de Jean Huss, règle qu'il a adoptée pour lui-même :- Cherche la Vérité. - Ecoute la Vérité. - Apprends la Vérité. - Aime la Vérité. - Dis la Vérité. - Défends la Vérité jusqu'à la mort.

Il luttera pour la Vérité, sans se préoccuper jamais des conséquences dont il aura peut-être à souffrir.
Il aura le courage héroïque, après en avoir fait une étude approfondie, de nier l'authenticité de poèmes manuscrits tchèques qui faisaient l'objet d'un culte superstitieux de la part de ses compatriotes. Ces poèmes, attribués à des auteurs du VIIIe siècle, auraient prouvé la haute culture des Tchèques à une époque où les Allemands se nourrissaient de glands et étaient vêtus de peaux de bêtes. On ne s'approchait de ces manuscrits conservés dans un musée de Prague qu'avec un respect religieux. Y toucher était faire acte de trahison envers la patrie.
Masaryk y toucha. Quand sa déclaration parut, il fut hué, conspué, accusé d'être vendu aux Habsbourg.
« Je ne peux comprendre, dit-il, que l'honneur national exige la défense des manuscrits.
L'honneur national demande et exige la défense et la confirmation de la Vérité. »

Dans une autre occasion, il eut à défendre un Juif faussement accusé d'un crime rituel, et condamné à mort.
Masaryk certain qu'une erreur judiciaire a été commise, attaque le procès. A son tour, il est attaqué. Comment peut-on défendre un Juif? C'est trahir sa race, c'est trahir le christianisme.
Les étudiants font grève à ses cours. Il est mis sous une sorte de surveillance disciplinaire. Sa femme est vilipendée dans la presse, ses enfants ne peuvent plus sortir sans courir des dangers.
C'en est trop. Il décide de quitter le pays. « Non, non, lui dit sa femme. Ton devoir est de rester ici. » Elle lui rappelle la devise hussite : La Vérité remporte la victoire.

Masaryk est élu au Parlement de Vienne en 1907. Il y représente le parti « réaliste » tchèque fondé par lui et il y défend la liberté de conscience et d'enseignement.
Il est bientôt en opposition violente avec le ministre des Affaires étrangères, baron d'Aerenthal qui, suivant l'expression de Wickham Steed « avait en quelques mois créé autour de la Chancellerie autrichienne, une irrespirable atmosphère de mensonge et de duplicité ».
Ce ministre, pour se préparer un prétexte à écraser la Serbie, se servait de faux documents qui accusaient de trahison cinquante-trois Croates établis à Agram et qui étaient parfaitement innocents.
Masaryk veillait. Après une enquête minutieuse, il révéla les faux dont la Chancellerie s'était rendue coupable, et le procès fut arrêté.
Dès ce jour, Masaryk rompt avec les Habsbourg. « L'ordre nouveau doit être fondé sur le culte de la Vérité. »

Août 1914. La guerre est déclarée. Serait-ce l'heure de l'action pour Masaryk ? Si c'était l'heure, aurait-il le droit d'engager les siens et toute sa nation dans une lutte contre l'Autriche ?
Le risque est énorme, mais l'occasion est unique s'il veut être fidèle à l'esprit des grands ancêtres et aux droits du peuple tchèque.
Il va à Berlin, à Vienne même, pour se renseigner sur les plans des Empires centraux, puis en Hollande, pays neutre, pour connaître les possibilités des Alliés.
Cette enquête faite, sa décision est prise ; il engagera la lutte.
Mais sera-t-il seul pour la soutenir?

Un matin de décembre, comme Masaryk traverse le parc Letna à Prague pour aller au bureau de son journal le Cas (le Temps), il voit venir à lui un de ses anciens étudiants, jeune homme de 30 ans environ, le Dr Bénès.
- Je me rendais chez vous, Monsieur le Professeur.
- Ah ? Eh bien, venez avec moi au bureau du Cas , nous causerons en route.
Tout en marchant, ils parlent de la guerre.
- N'est-ce pas le moment d'agir, dit Bénès frémissant ?
- J'ai déjà agi, répond Masaryk. Il le met au courant, et ils s'entendent sur le champ.

Masaryk et Bénès se sont rencontrés.

Je me souviens, dira Masaryk plus tard, qu'en descendant vers le pont Elisabeth, je m'arrêtai, m'appuyai sur la balustrade de bois et contemplai Prague… L'idée de notre avenir emplissait ma pensée…
Le plan est arrêté avec Bénès :

1. Fonder à Prague un Comité de la nation.
2. Gagner à l'étranger des sympathies au programme national tchèque.
3. Créer pour les Alliés une armée avec les émigrés et les prisonniers tchèques.

« Donc, avec l'aide de Dieu, à l'étranger, et au travail ».

Le 17 octobre 1914, Masaryk boucle sa valise. Il y a mis sa Bible tchèque et la brochure de Comenius : « Testament de la Nation Tchèque » qui renferme la célèbre prophétie : « Je crois, parce que j'ai cette espérance en Dieu que lorsque sera passée la tempête de la colère (qui a été déchaînée sur nos têtes à cause de nos péchés) la souveraineté te sera rendue, ô peuple tchèque. »
Masaryk sera l'exécuteur testamentaire de Comenius.
Masaryk prend congé de sa femme, de sa fille Alice et de ses deux fils.
Mme Masaryk s'approche d'Olga, qui part elle aussi: - Tu me remplaceras auprès de ton père. Je te charge de lui, tu le soutiendras.

Et le train les emporte en Italie vers la grande aventure.

Ils sont à Genève du mois de janvier au mois de septembre 1915.
Le 6 juillet, anniversaire cinq fois centenaire de la mort de Jean Huss, Masaryk fait, à la salle de la Réformation, une conférence sur le grand martyr.
« La Réforme tchèque, dit-il, a donné un sens à notre vie nationale, et c'est en elle que tous les Tchèques qui ne sont pas étrangers à la vie de leur peuple, trouvent leur idéal visible et concret.
L'histoire, a-t-on dit, est un juge ; elle est avant tout un maître impérieux. Chacun de nous, Tchèques, étant donné le passé de notre pays, doit opter pour la Réforme ou la contre-Réforme, pour la Bohême ou pour l'Autriche. »

De Genève, Masaryk va à Londres avec sa fille. Il y établit pendant deux ans son quartier général. De là, il fait, auprès des gouvernements alliés, une intense propagande pour son pays. Bénès, à Paris, travaille dans le même sens.
Mais en 1917, la Révolution éclate en Russie : le tzarisme est balayé. Que vont devenir les Tchèques incorporés dans l'armée russe ? Se laisseront-ils entraîner par l'idéologie bolchéviste ?
Inquiet, Masaryk décide d'aller se renseigner lui-même. Il passe par la Norvège, après avoir échappé à une mine, il arrive à Pétrograd, puis va à Moscou, qui est transformé en champ de bataille. Les mitrailleuses crépitent partout. Masaryk se trouve dans la rue sous une pluie de projectiles. Où se mettre à l'abri ? Il voit un hôtel et s'y précipite. Le portier l'arrête :
- Habitez-vous ici ?
- Non, dit Masaryk, qui ne sait pas mentir.
- Alors, vous n'entrerez pas.

Après avoir négocié avec le gouvernement français l'arrivée des légions tchèques sur le front d'Occident, Masaryk quitte la Russie. Il sent que le moment est venu de s'assurer l'appui du Président Wilson. Il fait le tour du monde pour arriver aux États-Unis. Il est reçu triomphalement à Chicago où se trouvent deux cent mille de ses compatriotes. Partout flotte à côté du drapeau étoilé le petit fanion hussite avec sa devise en lettres d'or : Veritas vincit.

Fin octobre 1918. Masaryk à Washington reçoit de Genève une dépêche de Bénès. Celui-ci entouré des représentants du Comité national de Prague convient avec eux que Masaryk sera président de la République. Avec la nouvelle de cette décision, Bénès câble à Masaryk l'invitation de retourner le plus vite possible dans la patrie, où l'on a besoin de lui.

Prague 21 décembre 1918. Entre en gare le train qui ramène le Libérateur de la Tchécoslovaquie, le Président Masaryk.
De haute taille, svelte dans son manteau noir, coiffé d'un feutre mou, les yeux graves, la démarche décidée, il s'avance.
Devant la gare attend un carrosse doré - le carrosse des empereurs - attelé de quatre chevaux blancs. Masaryk refuse d'y prendre place :
- Nous sommes en démocratie, dit-il.
On fait avancer un taxi, et il traverse les rues de Prague au milieu d'un enthousiasme immense, fait de respect et d'admiration pour le passé, de confiance et d'espoir pour l'avenir.

Le lendemain, au château royal de Prague, le Président F.-G. Masaryk lit à la nation son premier message:
« La prophétie de Comenius s'est littéralement accomplie : Notre nation est libre… »

Vivons-nous dans un rêve ?

Après une lutte terrible, ceux-là sont restés victorieux qui défendaient l'idéal et la justice.
L'esprit a vaincu la matière, le droit a vaincu la force brutale, la Vérité a prédominé sur la ruse.

Masaryk connait les difficultés énormes qui l'attendent.
Comment agira-t-il ?
Il n'exercera aucune vengeance.
Il n'emploiera aucun expédient.
Il respectera les minorités ethniques, leurs langues, leurs écoles, leurs religions. Elle seront représentées dans les Chambres et au Gouvernement.
Il respectera toutes les consciences, toutes les confessions.
D'esclaves qu'étaient les Tchèques, il cherchera à faire des hommes libres.
« Pour mériter sa place au soleil, la petite nation tchèque doit avant tout être une nation qui vit pour la Vérité. »

1933. Le Président Masaryk vient de faire à cheval sa promenade quotidienne, et maintenant il est assis au coin de la cheminée dans ce château de Làny que lui a donné la nation.
Il cause avec sa fille aînée, le Dr Alice Masaryk.
- Père, lui dit-elle, j'aimerais savoir si c'est votre Mère qui vous a fait aimer la Vérité.
Le grand vieillard recueille ses souvenirs.
- Je te dirai ceci, ma fille. Ma Mère, lorsque j'étais enfant, me répétait toujours ce court proverbe tchèque ! Celui qui ment, vole. Ces mots, dès lors, sont descendus dans ma conscience ; ils ont vécu en moi pour toujours.


(1) Proverbe tchèque qui équivaut à ceci : Celui qui ment est aussi coupable qu'un voleur.









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