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Phobies, peurs inexplicables
Ce que j’ai découvert un matin de septembre 1959, c’est qu’une salle de gymnastique moderne, et particulièrement sa hauteur, pouvait me terroriser. Je découvrais un vertige à l’envers, non pas vécu par quelqu’un qui regarderait de haut en bas mais bizarrement de bas en haut. J’ai appris plus tard, beaucoup plus tard, que cette terreur porte un nom: agoraphobie, la peur des grands espaces.
Je n’ai connu l’angoisse de ce lieu qu’en 4ème année primaire, lorsqu’un jour la maîtresse nous annonça toute fière en début d’année, qu’enfin les élèves de notre vieille école allaient bénéficier d’un lieu adéquat pour les heures d’exercices physiques. Fini les élèves serrés comme des sardines en boîtes, cherchant à s’allonger sans se toucher, comme c’était le cas dans l’ancienne salle, recyclée à présent en salle de rythmique.
La maîtresse en fait rêver plus d’un en décrivant ce nouveau lieu de défoulement extraordinaire, doté d’installations fantastiques. Bref, on allait s’éclater, comme dirait un enfant d’aujourd’hui. Sauf… sauf qu’à peine entrée dans l’immense pièce, au plafond tout là-haut, tout là-haut, un état de mal-être me paralysa instantanément, ne laissant aucune place pour l’agitation rieuse qui s’était déjà emparée de tous mes camarades de classe.
Pendant qu’ils cavalaient en tous sens, je me terrais sur un banc, contre un mur, me tenant aux espaliers, incapable même de lever la tête. Notre maîtresse voulut d’emblée nous faire connaître les joies des anneaux, qui au repos, paraissaient si minuscules, discrètement accrochés sous le plafond. Elle les fit glisser verticalement et les fixa à hauteur de nos bras levés. Six paires d’anneaux ainsi alignés nous attendaient, la leçon pouvait commencer.
Toujours recroquevillée et scotchée à mon banc, j’observais les garçons s’élancer dans un balancement ludique, augmentant leurs mouvements avec leurs jambes tendues. Les miennes tremblaient depuis un bon moment sans discontinuer. C’était l’horreur. Les anneaux auraient été des potences que je n’aurais pas moins tremblé.
J’avais envie de disparaître sous le banc, de ramper vers les vestiaires et de m’y cacher jusqu’à la fin du cours.
Ce jour-là, au milieu des « C’est à mon tour! » hurlés par les suivants dans la queue, la maîtresse fut trop occupée à calmer le jeu des excités pour se retourner et s’apercevoir qu’une de ses élèves maudissait cette initiation. Mais ce ne fut que partie remise.
Inutile de vous décrire la honte que me provoquait mon état « différent » des autres, si incompréhensible et si déshonorant puisque la seule explication que je pouvais donner à mon constant refus de participer, c’était la peur.
J’aimerais conclure en déplorant la cécité de mon entourage face à cette phobie qui m’a paralysée toute mon enfance, m’obligeant à développer mille ruses pour éviter l’affrontement de ces vides aux bordures trop éloignées, que je qualifie aujourd’hui de volumes inhumains.
Et si j’étais trop ignorante pour savoir que mes angoisses étaient connues et répertoriées dans le monde des peurs, je regrette qu’il ne se soit trouvé personne pour me rassurer et me dire que malgré les apparences, je n’étais pas la seule au monde à en souffrir.
Maîtresses, si un jour vous observez un enfant qui refuse pour la xième fois de faire le cochon pendu sous prétexte qu’il a mal au ventre, ou qui montre beaucoup de réticence à se coucher sur le dos lors d’exercices au sol, demandez-vous s’il ne souffre pas d’angoisses qui lui sont hélas « inexplicables » et qui provoquent des blocages qui ressemblent à de l’opposition.
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