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La force du mal est moins à redouter que la faiblesse du bien
Ils sont là, une vingtaine d'enfants de dix à quatorze ans, réunis chaque mois dans une maison amie, face au lac et à son large horizon. Enfants privilégiés, gardés du mal grossier par le milieu et les exemples qui les enveloppent et les protègent comme un rempart, ils viennent cependant, mois après mois, s'instruire sur la question de l'Alcoolisme afin de prendre position en connaissance de cause.
Je ne sais pas s'ils réalisent bien toute la valeur de leur effort; mais nous, qui les instruisons, nous vibrons d'un secret enthousiasme quand nous voyons fixés sur nous le regard direct, profond et intelligent de leurs claires prunelles remplies d'une parfaite confiance. Ces enfants, sans s'en douter, mettent là en action deux des plus hautes facultés de l'homme celle de connaître, puis de juger.
Ils sont venus là pour apprendre, pour être mis au courant, pour se rendre compte, puis ils décideront de quel côté ils jetteront la force de leur jeune conviction.
Trois chemins s'ouvrent devant eux dans ce vaste champ de la connaissance qui se révèle peu à peu à leur esprit, et il en sera de même toute leur vie et pour toutes les questions où le Bien et le Mal s'affronteront.
Ou bien ils peuvent s'accommoder du mal et subir même son attrait perfide mais véritable en se disant qu'après tout il vaut bien la peine de lui sacrifier quelque chose
, fût-ce sa santé ou celle des siens!
Ou bien l'indifférence engourdira leur coeur et leur conscience; un instant soulevé par l'intérêt qu'éveillent les causeries scientifiques et les récits vrais qui ont posé devant eux le problème, le lourd voile de la passivité retombera sur eux et les rendra inertes et indécis.
Ou bien une flamme s'allumera au fond de leur âme, claire et joyeuse, la flamme d'un élan juvénil vers le Bien, d'une aspiration à la lutte bonne à laquelle on les convie; le sentiment de la solidarité et de la responsabilité naîtra en eux. Si le danger de l'alcoolisme ne leur apparaît pas comme une menace personnelle, ils sentent néanmoins qu'il est une des forces puissantes et malfaisantes à l'oeuvre dans le monde pour miner sournoisement le corps et l'âme des hommes et ils comprennent qu'ils ne peuvent rester neutres à son égard.
La grande valeur pédagogique du mouvement de « l'Espoir »*, réside dans le fait que les enfants peuvent faire la l'apprentissage du libre choix après un examen attentif et prolongé de la question; puis, s'ils deviennent membres actifs, ils s'exercent à la discipline personnelle, en acceptant de limiter leur liberté par une signature qu'ils apposent librement sur une feuille, contresignée par leurs parents, par laquelle ils s'engagent à s'abstenir de toute boisson alcoolique, sauf usage médical ou religieux, tant qu'ils n'auront pas renvoyé leur carte de membre au directeur de leur section. Cette abstinence totale qui est demandée aux membres actifs, nous paraît la seule attitude nette et vraie à proposer aux enfants qui aiment l'absolu; mais nous éviterons naturellement d'affirmer qu'elle est la seule attitude possibles en face de la question alcoolique, nous souvenant de tous ceux qu'une juste modération garde dans les limites de la tempérance.
Enfin et surtout ils apprennent à l'« Espoir », qu'ils sont des chaînons indissolublement liés à la chaîne immense de l'humanité et que pas un mouvement, pas un élan d'un seul chaînon n'est indifférent à l'ensemble, que tout a sa répercussion, le bien comme le mal, et que le seul moyen efficace de combattre ce dernier est d'augmenter la force du bien en y ajoutant son petit effort personnel.
Oui, l'Ennemi veille et poursuit sans trêve dans l'ombre son oeuvre de mort, mais, nous aussi, nous jetterons inlassablement la bonne semence dans le cÅ“ur des jeunes, afin que l'épi germe et croisse et déploie enfin sa triomphante mâturité qui étouffera un jour définitivement l'ivraie : c'est là notre joyeuse certitude.
* Société d'abstinence pour la jeunesse, qui pour le seul canton de Genève, compte près de 1500 membres actifs ou auditeurs répartis en 43 sections.
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