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La Patience (1)
Pendant de longues années, j'ai considéré la patience comme une assez petite vertu. Je pensais, évidemment, qu'il faut être patient, comme il faut être propre, ou ordonné, ou poli et j'employais mon énergie à acquérir des qualités que j'estimais plus importantes.
Puis, en relisant les épîtres de Paul, j'y ai trouvé de si nombreuses exhortations à la patience que j'ai commencé à entrevoir qu'elle était quelque chose de beaucoup plus grand et de beaucoup plus vital que je ne l'avais supposé, qu'elle était peut-être même une des bases de la vie intérieure et que fille de l'amour et soeur de l'espérance, c'est à son école que nous devons nous mettre. « L'amour est toute confiance, toute espérance, toute patience. » (Corinthien 13, 7.)
J'avais espéré méditer à loisir sur ce sujet de la patience, mais des circonstances implacables sont venues à la traverse de mes beaux projets. Je me suis impatientée, irritée, agitée en voyant que jamais je n'aurais le temps de le faire, quand soudainement l'illumination s'est faite, et j'ai compris que Dieu ne me demandait pas d'épiloguer sur la patience, mais de la vivre. Alors, pour me remettre dans le bon chemin, j'ai essayé de penser à quelques hommes patients et je vous apporte les simples réflexions qu'ils m'ont suggérées.
J'ai d'abord évoqué Isaac tel qu'il nous est dépeint dans la Genèse :« Tous les puits qu'avaient creusés les serviteurs d'Abraham, les Philistins les comblèrent et les remplirent de poussière. Isaac creusa de nouveau les puits d'eau que les Philistins avaient comblés. » Je lis un peu plus avant :« Les serviteurs d'Isaac creusèrent encore dans la vallée un puits d'eau vive, les bergers de Guérar querellèrent les bergers d'Israël en disant : L'eau est à nous », et quelques versets plus loin : « Isaac creusa encore un autre puits ». (Genèse 26.)
Petit détail, direz-vous, humble histoire, mais cependant preuve de persévérance et de patience en face de circonstances adverses.
Ensuite j'ai pensé à Moïse :« Or Moïse était fort patient, plus qu'aucun homme sur la face de la terre. » (Nombres 12, 3.) Et certes la patience ne lui était pas naturelle, je n'en veux pour preuve que la manière sommaire dont il supprima et enterra dans le sable l'Egyptien qui avait frappé un Hébreu, mais à force de « parler avec l'Eternel, face à face, comme un homme avec son ami » (Deutéronome 34, 11), .Moïse avait appris à supporter les hommes et avait acquis la patience nécessaire pour diriger pendant quarante années ce peuple au col roide, et l'amener, malgré les embûches du désert, jusqu'à la Terre promise.
Job nous montre la patience dans le dépouillement et la souffrance physique et morale ; son livre renferme des plaintes et des soupirs, mais il se termine par ces mots :« Job répondit à l'Eternel et dit : Mon oreille avait entendu parler de toi, mais maintenant mon oeil t'a vu. »(Job 42, 6.) La douleur, supportée avec patience, lui avait révélé Dieu.
Oui, ces hommes d'autrefois, et bien d'autres autant qu'eux, nous montrent ce que peut être la patience - patience en face des circonstances adverses, des hommes adverses, de la souffrance incompréhensible et imméritée; patience qui est à la fois support et attente paisible de l'avenir.
Et tandis que nous méditons sur ces choses, voici que tout à coup se dresse devant nous la figure du Christ tel qu'Il était lorsqu'Il parcourait les chemins de la terre. Elle nous apparaît comme l'incarnation parfaite de la patience : patience illimitée envers ses disciples, tendresse pour les petits, les malades, pitié pour les pécheurs et surtout cette paix extraordinaire, ce calme et cette sérénité qui lui permettaient de faire chaque chose en son temps. Il n'était pas seulement douceur et bonté, son âme était virile et austère, sa parole était parfois sévère, Il pouvait sévir et maudire, mais je ne veux voir ici que la douceur et sa patience qui étaient sans borne, parce qu'elles n'étaient qu'une face de son amour.
Et comment dire la grande patience de Dieu à notre égard ? Dieu créa l'homme à son image. Qu'avons-nous fait, pauvres humains, de cette image de Dieu qui nous avait été confiée ? Dans quelle médiocrité l'avons-nous abaissée, de quelles laideurs l'avons-nous affublée, dans quelle indifférence à son origine divine l'avons-nous engourdie : Devant Lui, comme nous sommes faibles et éphémères! Mais pourtant nous sentons en nous l'étincelle divine et nous voudrions trouver le chemin qui mène au calme, à la confiance, à la patience.
Ce chemin, c'est l'amour qui nous y conduira parce que seul il nous donnera le courage d'abdiquer, d'obéir, d'acquiescer. Je dis abdication, non écrasement, je dis acquiescement libre et joyeux; c'est un choix que nous faisons, qui ne nous est pas imposé et dont notre vie, quelles que soient ses difficultés, doit être illuminée. Tant que nous n'avons pas abdiqué nous demeurons inquiets, révoltés, mais si nous nous abandonnons à la volonté de Dieu, tout s'éclaire et se simplifie pour nous.
La seule possibilité de supporter la douleur physique c'est de le faire avec la volonté de patience. Combien plus encore cela est vrai pour la douleur morale. Ce ne sont pas tant des provisions de force, ni de courage que nous devons faire dans l'épreuve, mais bien de patience. Le courage est une aide dynamique d'un moment qui nous fera traverser victorieusement certains instants très difficiles et supporter certaines douleurs intenses, mais c'est la patience qui nous permettra de porter notre croix sans fléchir et de continuer à cheminer sur la route, si rude soit-elle. La patience c'est le courage de tous les jours, c'est la porte ouverte à la consolation. Grâce à elle nous pouvons accepter la vie, telle que Dieu nous l'envoie, sans la comprendre peut-être, mais en gardant une confiance totale, enfantine.
Avez-vous jamais pensé à la patience de certains enfants qui savent attendre et supporter mille petits ennuis sans que les grandes personnes s'aperçoivent de l'épreuve qu'elles leur font subir
promesses qu'elles tardent à accomplir, répétition inutile des mêmes mots, des mêmes gestes, discours sempiternels pour des choses vaines, et si souvent cette réponse à l'enfant :«Attends une minute, je viens tout de suite» que le petit traduit en lui-même: «Je sais bien que cela durera encore une heure ». Et cela me fait souvenir du mot d'un petit garçon qui, pour calmer sa soeur agitée, lui disait gravement : « Mais voyons Louisette, tu sais bien que la patience est la mère des verdures!»
Savoir attendre, quand nous aimerions voir nos désirs réalisés immédiatement, savoir attendre devant un résultat problématique, alors que nous voudrions que nos efforts soient couronnés de succès, savoir attendre sans les presser que des enfants rebelles aient reconnu d'eux-mêmes leurs torts, savoir attendre, toujours attendre est difficile, épuisant, parce que cela demande un effort continu, mais nous n'avons pas le droit de désespérer de personne, ni de croire qu'une erreur commise est irrémédiable. Gardons la foi dans l'avenir.
L'abdication est au début du chemin de la patience, nous devons aller plus loin, arriver au renoncement : aimer les autres jusqu'à nous sacrifier pour eux sans rien attendre en retour.
Toute vocation exige des renoncements de celui qui veut la suivre : un acrobate, un médecin, une mère doivent chacun renoncer à quelque chose pour accomplir intégralement leur métier. Pour les candidats à la patience il y a aussi des renoncements nécessaires, ou plutôt, si nous voulons être absolument sincères, un seul renoncement, mais il est capital. Il nous faut renoncer à nous-même, à notre cher moi dont nous aimons tant les aises, les goûts, les délicatesses et la paresse, notre cher moi pour lequel nous avons une si grande indulgence et que nous avons tant de peine à oublier, même quand nous croyons aimer.
Savons-nous aimer ?
L'amour d'une mère
cette poésie, cette beauté suprême qui fait croire en Dieu l'être le plus durci. Cette grâce du coeur qui se donne, cette ardeur qui ne se consume jamais.
Nous qui sommes mères, savons-nous aimer?
Quand nous descendons jusqu'au fond de notre coeur, notre pauvre coeur humain, qu'y trouvons nous pour l'être qui nous est le plus cher ?
Des élans et une ardeur qui brûle si vite, ne laissant souvent que des cendres.
Une passion qui se recherche elle-même.
Un désir qui fait souffrir, une faim que rien n'assouvit.
Et nous qui croyions être riches de tendresse et d'amour nous nous trouvons pauvres et délaissées.
« Envoie-moi l'amour, frais et pur comme la pluie qui bénit la terre altérée et remplit les jarres d'argile de la maison.
« Envoie-moi l'amour qui voudrait s'abîmer jusqu'au fond de l'être, et de là jaillir, en une sève invisible, à travers les branches de l'arbre, donnant le jour aux fruits et aux fleurs.
« Envoie-moi l'amour qui retient le coeur dans une plénitude de paix. » (Rabinadratt Tagore.)
Et puis donne-moi de ne pas tant chercher à modifier les autres qu'à me transformer moi-même et aide-moi à les comprendre, à me mettre à leur place, à faire effort pour aimer leur vérité, cette vérité qui me semble à moi une erreur, à avoir assez de patience pour démêler leur pensée et communier avec elle.
« On dit que l'amour est aveugle, au contraire, l'amour donne la vraie lucidité. L'amour éclaire la mère et lui fait voir dans son enfant des choses ravissantes cachées aux étrangers ; l'amour fait que l'enfant de parents fâcheux ne voit point leurs défauts et n'est point troublé dans le respect qu'il leur porte. L'aveugle, ce n'est point cette mère bienheureuse et ce n'est pas cet enfant qui ignore la honte de ses parents
mais celui-ci est aveugle qui calmement, prudemment, raisonnablement, sous prétexte de voir clair, s'abstient d'aimer. » (Ch. Dieterlen.)
Ce chemin malaisé de la patience, fait d'acquiescement, d'oubli de soi et de compréhension des autres, nous ne pouvons le suivre que si nous possédons la maîtrise de soi. Il nous faudra tenir d'une main ferme et vigilante tant de coursiers impulsifs qui ne demandent qu'à s'échapper hors des brancards dans lesquels nous voudrions les maintenir :
Nos oreilles pour les obliger à écouter avec bonne grâce ce qui nous ennuie ou nous contrarie.
Notre langue pour qu'elle ne parte pas avant de s'être retournée sept fois.
Nos nerfs qui battent la chamade.
Et surtout notre pauvre coeur qui bout, qui pleure, qui se révolte ou qui geint.
Ce sera une lutte de chaque jour et pour faciliter la victoire, nous n'oublierons pas qu'il n'y a pas que des conditions morales, il y a aussi des conditions extérieures de calme, de tranquillité, de silence. Il ne nous faudrait ni surmenage, ni bousculade, ni énervements, ni fatigues exagérées. Je dis « faudrait » en pensant à cette trépidante vie moderne que nous devons supporter et dominer et à l'influence qu'elle a sur nos nerfs. Nos vies sont traversées parfois de grandes difficultés et de grands chagrins, mais elles sont faites le plus souvent de petites contrariétés et de petits ennuis qui recommencent chaque jour, toujours les mêmes et dont la répétition met notre patience à l'épreuve. Quel repos procure à son entourage une âme sereine et tranquille, qui, le sourire aux lèvres et la parole égale, malré les ennuis, sait dominer les circonstances. Mais n'allez pas croire que cet empire sur soi-même nuise en rien à la spontanéité joyeuse ni au sens de l'humour qui donnent tant de charme à la vie. Bien au contraire, je crois que la maîtrise de soi favorise certains réflexes inattendus de gaieté et d'explosion de bonheur.
Que concluerons-nous de tout ce que nous avons dit : Notre attitude dans toutes les circonstances de la vie sera-t-elle toujours la même, faite d'amour, de compréhension, de soumission, dépouillée de tout orgueil et de tout égoïsme, notre patience accepterat-elle toujours tout ce que les autres lui imposeront ? Certes non ! Devant le mal, devant l'adversaire, notre attitude devra changer du tout au tout. Moïse a brisé le veau d'or, Jésus a chassé les vendeurs du temple et maudit les scribes et les pharisiens. Donnons, nous aussi, libre cours à notre indignation et à nos blâmes et veillons à ce que notre patience ne devienne pas trop grande indulgence ou lâcheté ; ne camouflons pas en vertu notre manque de courage. Que notre patience ne soit pas non plus pour nous un prétexte à ne pas agir, un oreiller de paresse et un voile sur nos yeux. Ne nous contentons pas de passer l'éponge d'une main lasse, mais ayons une patience active, intelligente, alerte.
Encore un mot avant de terminer, un proverbe que je veux vous laisser parce qu'il est précieux dans les bons et les mauvais jours. Le voici :« Cela aussi passera. » Dans nos difficultés, nos ennuis, nos soucis, nos maladies, prenons patience et disons : « Cela aussi passera. » Et quand la roue de la fortune nous favorise et que tout nous réussit, disons aussi au milieu de notre joie, notre confort, notre fierté et notre prospérité :« Attention, cela aussi passera! » Alors nous serons dans la vérité, avant enfin distingué ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas, ayant écarté ce qui n'a qu'une utilité momentanée et transitoire; nous ne serons plus un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit parce que nous aurons compris que seul l'amour demeure et qu'il est toute confiance, toute espérance et toute patience.
(1) Extrait d'une causerie adressée à des mères de famille.
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