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Encore deux tableaux
I.
La mère coud sans une minute de répit. Sa petite fille, six ans environ, vient s'appuyer sur ses genoux:
- Qu'est-ce que je peux faire, je m'ennuie ?
- Je ne sais pas, répond la mère avec un peu d'impatience, mais ne reste pas ici, tu m'empêches de travailler. Va jouer!
- Mais avec quoi?
- Avec ta poupée.
- Ça ne m'amuse plus et elle dort.
- Prends ton petit ménage.
- C'est ennuyeux de faire la dinette toute seule.
- Eh! bien que veux-tu que j'y fasse ? Laisse-moi tranquille, maintenant. Je dois finir cette robe pour que tu puisses la mettre demain.
- Pourquoi? Ça m'est égal la robe. C'est toi que je veux.
- C'est impossible. Ainsi, ne me dis plus rien, tu m'entends.
L'enfant s'assied avec nonchalance sur sa petite chaise et il se fait un moment de silence. Tout-à-coup la mère, levant les yeux, voit la petite s'amuser avec les ciseaux.
- Veux-tu bien laisser ces ciseaux tout de suite! s'écrie-t-elle avec colère. Tu as coupé les morceaux qui restaient de ta robe et dont je voulais me servir!
Sur quoi un soufflet est appliqué sur la joue de la petite fille, qui se met à pleurer.
As-tu bientôt fini de pleurnicher ? je ne t'ai pas fait mal et si tu ne cesses pas tout de suite tu recevras de quoi crier pour de bon. Les pleurs s'arrêtent et pendant quelques minutes l'enfant regarde tristement par la fenêtre.
Puis elle se hasarde à parler:
- Maman?
Point de réponse. Elle reprend plus fort.
- Maman?
- Oh! que les enfants sont énervants! Que veux-tu encore?
- Est-ce que je peux aller au jardin?
- Pour y faire quelque nouvelle sottise!
- Non maman je t'en prie, laisse-moi aller.
La mère fait encore attendre sa réponse et enfin:
- Vas-y, dit-elle, et surtout, laisse-moi la paix. Mais rappelle- toi que si tu n'es pas sage tu seras punie.
Une demi-heure plus tard, la mère ayant fini son ouvrage appelle:
- Hélène, viens vite essayer ta robe.
Lentement l'enfant s'approche et, dès qu'elle, l'aperçoit, sa mère s'écrie d'un ton courroucé:
- Qu'as-tu fait Tu as joué avec l'eau! Regarde ton tablier il est dans un bel état! Et tu as cueilli mes roses quand tu savais bien que je voulais le jardin aussi fleuri que possible pour ta tante qui vient demain!
- Je n'ai rien cueilli, seulement . . .
- Pas de mensonge! C'est déjà assez d'avoir désobéi. Tu vas aller te coucher sans souper pour t'apprendre à ne pas recommencer. Non, vraiment c'est incroyable la peine qu'on a avec les enfants!
Et la petite fille ainsi renvoyée s'éloigne le cÅ“ur bien gros et va méditer dans son lit sur l'injustice de sa mère. Celle-ci l'aime pourtant; elle ne se doute pas qu'elle l'a traitée avec dureté et pense que des deux elle seule est à plaindre.
II.
La mère coud; elle se dépêche; mais lève la tète en voyant entrer sa petite fille qui vient appuyer sa tête sur son épaule en disant:
- Je m'ennuie maman. Veux-tu jouer avec moi ? La mère caresse tendrement l'enfant et répond en l'embrassant:
- Si je n'étais pas si pressée, je le ferais volontiers, ma chérie; mais tu veux bien, n'est-ce pas, me laisser finir cette robe que tu dois mettre demain ?
La petite fille sourit d'un air de doute:
- Je ne sais pas maman.. je m'ennuie tant toute seule!
- Eh! bien il y a un moyen de tout arranger. Supposons que tu es Madame Legris et que tu viens me faire une visite avec Geneviève. Tu aurais pris quelque chose à coudre pour elle et nous travaillerions ensemble . . .
L'idée plait à l'enfant et après que sa maman eut choisi quelques chiffons, elle sortit de la chambre pour y revenir au bout d'un moment avec sa poupée. Elle frappe à la porte.
- Entrez, dit la mère en souriant. Bonjour, chère Madame Legris. Que je suis contente de vous voir! Et vous avez amené Geneviève? Comme elle a bonne mine! Asseyez-vous, je vous prie. J'espère que vous avez pris votre ouvrage. Je suis si pressée de finir cette robe que ma petite Hélène doit mettre demain, que je continue à travailler. Cela ne nous empêchera pas de causer. Vous faites une pélerine pour Geneviève? Comme elle lui ira bien!
Et la conversation continue ainsi.
“ Madame Legris †enchantée travaille activement pour sa poupée, ou plutôt pour sa fille.
Lorsque pèlerine et capote eurent été confectionnées et suffisamment admirées, la bonne mère, voyant que l'intérêt pour ce jeu commence à diminuer, propose à la visiteuse de faire un tour de jardin.
- Seulement, chère Madame, j'espère que votre fillette ne cueillera pas mes roses. Ma sÅ“ur arrive demain et j'aimerais qu'elle trouve le jardin tout en fleurs.
- Oh! Madame, ne craignez rien. Geneviève n'y touchera pas sans ma permission.
- C'est comme ma petite Hélène! On est bien heureux d'avoir des enfants obéissants. N'est-ce pas, madame?
“ Madame Legris†est tout-à-fait de cet avis et va au jardin.
Quand la mère a fini la robe, elle appelle l'enfant pour l'essayer, celle-ci arrive en courant. Elle tient une rose à la main. De loin la mère s'en aperçoit ; elle est tristement surprise, mais se contente de regarder la fillette sans rien dire. Alors les yeux de la petite tombent sur la fleur qu'elle porte et s'approchant de sa mère:
- Je rie l'ai pas cueillie, maman, je j'ai trouvée dans la plate-bande.
- Très bien; tant mieux, dit la mère en souriant. Je vois que tu as bien pensé à ce que je t'ai dit. Mais, ton tablier est mouillé; comment cela se fait-il ?
L'enfant paraît surprise:
- Oh! je ne savais pas. J'ai joué avec l'eau mais je croyais que ça ne faisait rien. Es-tu fâchée, maman ?
- Il-aurait mieux valu, me demander permission ; je t'aurais mis ton fourreau et tes caoutchoucs. Mais il n'y a pas grand mal. Viens te laver les mains et je t'essayerai ta robe neuve. Si tu-promets de ne pas la salir, tu pourras la garder pour la montrer à papa quand il reviendra.
- L'enfant joyeuse, embrasse sa mère avec effusion: “ Je t'aime beaucoup, s'écrie-t-elle. †Puis elle se laisse habiller sans peine et, sage comme une image, attend l'heure du souper.
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