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CARENCE D'AMOUR MATERNEL
Ses répercussions sur le développement intellectuel par le Dr H. FELDMANN
I. INTRODUCTION
Définir l'intelligence n'est pas une petite affaire. En effet la personnalité de l'individu est impossible à morceler en ses diverses composantes, et pour cette raison, le domaine intellectuel ne peut être arbitrairement scindé du domaine affectif et moral. Philosophiquement, Descartes dit de l'intelligence qu'elle est la faculté qui permet à la personnalité de s'affirmer toute entière.
Les successeurs de la doctrine cartésienne, et spécialement l'école du Professeur Piaget, en ont donné une définition voisine: « Les facultés intellectuelles dépendent de la socialisation de l'enfant ». L'école américaine de psychologie utilise comme critère d'intelligence l'adaptation au milieu environnant. Ainsi nous voyons que le développement intellectuel est fonction du milieu et c'est pourquoi nous nous devons d'étudier les relations mère-enfant dans son développement.
La personnalité de l'enfant ne peut se développer qu'en fonction de ses pulsions, de ses instincts, c'est-à-dire de son bagage constitutionnel, que les psychanalystes dénomment le « ça ».
Le nouveau-né est un individu inachevé qui n'a qu'une seule fonction atteignant un haut degré de perfection, le système digestif. C'est pourquoi la personnalité du nouveau-né se manifestera exclusivement par son activité orale. Dès la naissance, l'enfant éprouve du plaisir ou du déplaisir, qu'il manifeste par des réactions de contentement (lorsqu'il a par exemple sa nourriture au moment où il la désire) ou de dégoût (lorsque son alimentation ne lui plaît pas). Son psychisme va être mis à rude épreuve, au cours de son premier développement, à cause des nombreuses frustrations qu'il présentera sous l'influence du monde extérieur. Ce monde extérieur va organiser une fraction du « ça » dans le sens positif ou négatif, et c'est cette évolution qui va donner naissance au « moi », c'est-à-dire à la personnalité propre de l'enfant. Le « moi » dispose pour son évolution du contrôle des mouvements volontaires et des perceptions sensorielles. Il assure l'auto-conservation de l'individu en accumulant les expériences, en évitant les excitations externes trop fortes, en modifiant à son avantage le monde extérieur.
Mais au dedans, le « moi » va essayer de dominer le «ça », c'est-à-dire les tendances pulsionnelles, en acquérant la maîtrise des excigences pulsionnelles, et en décidant si celles-ci peuvent être satisfaites ou non. Dans son activité, le « moi » est guidé par la prise en considération des tensions psychologiques provoquées par les exitations du dehors ou du dedans. Un accroissement de cette tension va provoquer du déplaisir, sa diminution engendrer du plaisir.
Pendant la longue période d'enfance qu'il traverse et au cours de laquelle il dépend de ses parents, spécialement de sa mère, l'individu voit se former dans son « moi » une instance particulière par laquelle se traduira l'influence des parents : c'est le « surmoi », qui se développera ultérieurement selon les critères moraux que les éducateurs auront créés. Alors que le « moi », ou personnalité propre de l'enfant, est une instance en perpétuelle évolution, le « surmoi » au contraire est une instance rigide, fixée par l'éducation première. C'est le support fondamental de notre morale, de notre sens éthique. C'est un frein pulsionnel qui refuse ou accepte les pulsions d'une façon automatique, inconsciente et imposée.
Le « ça » et le « surmoi » ont un point commun : tous deux représentent en effet chez l'adulte le rôle du passé, le « ça » celui de la constitution, le « surmoi » celui d'autrui. Tandis que le « moi » est surtout déterminé par ce que l'individu a lui-même vécu, c'est-à-dire par l'accidentel, l'actuel.
Le développement de la personnalité de l'enfant est donc dominé par ses pulsions instinctivo-affectives et sexuelles, par un certain nombre de besoins et de frustrations variant en fonction de son âge. Les conflits entre besoins et frustrations nous fournissent la marche de la personnalité de l'enfant. Les perturbations apportées au développement normal des instincts et des tendances ne vont pas seulement créer des troubles du comportement affectif, mais auront également un retentissement sur le développement intellectuel.
II. LE DÉVELOPPEMENT INTELLECTUEL NORMAL.
Le développement normal de l'intelligence dépend non seulement des possibilités créatrices et synthétiques de l'individu, mais également de l'interaction des facteurs affectifs, c'est-à-dire de l'influence du milieu extérieur.
L'intelligence, fonction intimément liée à la personnalité de l'enfant, dépendra donc aussi de la capacité que présente l'enfant de maîtriser les instincts ou les affects qui ne sont pas acceptés par le « moi » ou le « surmoi », de les diriger dans des voies différentes des données primitives, et de réaliser ces instincts ou ces affects déviés au profit d'une vie sociale adaptée.
L'enfant acquiert ses expériences au moyen de deux processus contradictoires:
a) L'imitation, qui est la base fondamentale de la vie individuelle et sociale du petit enfant. Grâce à son mimétisme, il pourra apprendre à parler, à agir, c'est-à-dire à utiliser les fonctions symboliques qui lui permettront d'entrer en contact avec la société. Mais cette imitation n'est pas seulement un mimétisme automatique, elle est conditionnée par les réactions affectives de l'enfant vis-à-vis du milieu. L'enfant imite quand ses fibres affectives vibrent avec le modèle à imiter, l'enfant n'imite que ce qu'il aime, et cette donnée est valable aussi bien pour le développement moteur qu'intellectuel.
b) Si l'enfant n'a pas de sympathie pour l'objet ou le sujet considéré, il prend le contre-pied, et c'est la réaction d'opposition qui explique les réactions bizarres et paradoxales de certains enfants à l'égard de leur milieu. C'est par exemple par réaction d'opposition que certains enfants ayant reçu une excellente éducation deviennent pervers ou délinquants. C'est encore par opposition au nouveau milieu imposé que certains enfants présentent des troubles pendant la période scolaire.
L'antipathie des opposants est souvent refoulée inconsciemment et n'est révélée que par les procédés d'investigation analytique. La réaction d'opposition est une réaction physiologique au cours du développement normal de l'enfant: elle se voit vers trois ans, à la fin du développement moteur primaire, au moment de la prise de conscience de sa personnalité, lorsque l'enfant dit « moi », « je » au lieu de se nommer par son prénom, lorqu'il dit toujours « non » à son entourage ; c'est la période de socialisation où l'enfant a les qualités motrices et intellectuelles d'un petit homme et où il s'oppose au milieu pour s'affirmer.
Cette réaction se voit également vers sept ans, au moment où l'enfant entre à l'école. Enfin, à la puberté, à l'époque du plafond du développement intellectuel, lorsque l'enfant prend conscience de sa valeur d'être humain adulte, lorsqu'il se sent l'égal de son père ou de sa mère et peut rivaliser avec les adultes ; c'est la « crise d'originalité juvénile », qui est une réaction d'opposition normale de l'adolescent qui s'affirme.
Le développement intellectuel du jeune enfant est ainsi directement dépendant de son contact avec l'extérieur, ce qui revient à dire avec sa mère dans les premières années de sa vie.
La mère, jusqu'au stade de socialisation de l'enfant, c'est-à-dire jusque vers 3-4 ans, est le seul truchement qui permette à l'enfant d'entrer en contact avec la société. Jusqu'à trois ans, en effet, l'enfant n'a pas encore pris conscience de sa propre personne et ne peut à plus forte raison prendre conscience du milieu environnant; sa mère et lui-même ne font qu'un. Lorsque sa mère vient à disparaître, il est incapable d'affirmation personnelle. C'est par l'imitation et la stimulation de sa mère que l'enfant va se développer.
Vers trois mois, il peut fixer son regard dans la direction d'un visage ou d'un objet et commence à jouer avec ses mains, ses bras, ses jambes, constate que les segments de membres sont articulés, imite le langage de sa mère par le gazouillis, le balbutiement, les modulations du cri. Vers quatre mois il réagit aux excitations visuelles. Vers six mois, il commence à préciser ses premières réactions positives, se dirige vers un objet, imite plus ou moins consciemment les mimiques, présente un intérêt pour les excitants externes. C'est à ce moment qu'il commence à s'asseoir, qu'il développe sa compréhension, et peu à peu, il va acquérir vers neuf mois une volonté consciente au fur et à mesure que son écorce cérébrale se développe.
A partir de six mois, l'enfant, capable de faire la distinction entre les visages, ne sourit plus qu'aux familiers et devient méfiant, timide ou hostile envers les étrangers ; cette timidité va disparaître à une année.
C'est à partir de neuf mois environ que l'enfant est capable de faire un choix, d'exécuter des actes réfléchis et coordonnés.
La mémoire est très rudimentaire à cet âge et les notions de temps, de durée, ne sont guère acquises avant 12 à 18 mois. Lorsqu'un objet disparaît, il ne le reconnaîtra que si l'absence ne dépasse pas dix jours; c'est ainsi qu'un enfant d'une année sera incapable de reconnaître sa mère si celle-ci vient à disparaître pour une durée plus longue.
Dès l'âge de 18 mois, l'enfant, grâce à son désir de sociabilité, va se construire un monde objectif, fera la conquête des noms, comprendra certaines significations. Les objets sont vivants, animés d'une volonté. Son langage va se développer par une imitation des paroles de sa mère, et il va peu à peu commencer à construire de petites phrases.
A partir de deux ans, il est capable, pendant les courts intervalles d'absence de sa mère, de vivre un « monde magique » où les objets animés et capables de volonté suppléent à l'absence de contact avec la réalité. Il pourra, grâce à ce stade magique, annuler un nombre important de conflits dus aux frustrations, et développer de cette façon harmonieusement sa personnalité. La réceptivité de l'enfant aux stimulations extérieures devient intense à partir de deux ans et demi; l'enfant regarde attentivement, écoute une conversation, éprouve le besoin de s'orienter dans le temps, et le contact social devient indispensable à son éducation.
C'est vers cinq ans que le stade magique cesse, que la contre-suggestion apparaît, que la volonté augmente. L'observation logique des phénomènes extérieurs va permettre à l'enfant ses acquisitions futures : il devient capable d'élaborer spontanément une structure mentale propre.
A 11 ans, la pensée abstraite est possible.
A 14 ans, le jugement et le raisonnement, reposant sur la notion de comparaison et de compréhension verbale, sont achevés.
A 16 ans, le raisonnement inductif est possible, c'est-à-dire l'analyse d'une situation, puis la revalorisation de cette situation pour en faire une donnée générale. Ce raisonnement inductif est indispensable à toute étude scientifique, au raisonnement mathématique par exemple.
L'imagination, qui apparaît déjà à trois ans, est l'élément fondamental de l'intelligence créatrice. C'est la qualité de l'imagination qui, alliée à la mémoire et à l'expérimentation, va créer la perfection intellectuelle.
Ainsi, nous voyons que l'intelligence est un ensemble de fonctions très complexes.
III. TROUBLES DU DÉVELOPPEMENT INTELLECTUEL ET RELATION AVEC UNE
CARENCE DE L'AMOUR MATERNEL.
Les observations directes du développement intellectuel et physique au cours des premières années démontrent clairement que lorsque l'enfant est privé de soins maternels, son développement est presque toujours retardé physiquement, intellectuellement et socialement. On pourrait se demander si les retards en question sont définitivement acquis et s'il n'est pas possible de faire aisément disparaître les symptômes.
Les études rétrospectives et les observations suivies montrent nettement qu'un tel optimisme n'est pas toujours justifié.
Le Dr Bowlby, étudiant des enfants de pouponnière ayant reçu des soins physiques impeccables, mais vivant en collectivité avec des nurses changeant constamment, a constaté un ensemble de manifestations physiques et psychiques correspondant à ce que Spitz a décrit sous le terme d'« hospitalisme ». Le placement de l'enfant après le troisième mois et avant la première année dans de tels établissements provoque un arrêt du développement psychomoteur, ou même une régression, avec un délabrement psychique important et une mortalité des enfants au-dessous d'un an trois fois supérieure à ce que l'on observe dans les milieux les plus pauvres, sans soins d'hygiène, mais où l'enfant vit au contact de sa mère. Ces enfants ne sourient pas, se balancent constamment à longueur de journée, ont un aspect d'inertie complète, se désintéressent de leur entourage, refusent de réagir à tout essai de prise de contact; si l'on insiste, ils poussent des hurlements désespérés et refusent souvent toute nourriture, si appétissante soit-elle. Ils deviennent insomniaques, prennent peu à peu une expression figée, un regard immobile, une stupeur rappelant la confusion mentale. Cette « mélancolie de l'enfant » apparaît assez rapidement, est installée à partir du troisième mois qui suit la séparation d'avec la mère. Sur le plan du développement psycho-moteur, ce développement s'arrête et régresse même. En revanche il s'élève instantanément après le retour de la mère à condition que l'absence de cette dernière n'ait pas dépassé un délai maximum de quatre à cinq mois.
Cette mélancolie avec arrêt et régression du développement psycho-moteur guérit spontanément sans autre intervention dès que la mère reprend son bébé, à condition, bien entendu, que la séparation soit inférieure à 4-5 mois. L'enfant reprend sa vitalité à une allure spectaculaire, le développement se rétablit et ne tarde pas à atteindre un niveau supérieur à celui qu'on avait relevé avant la séparation.
Il ressort de toutes ces études que le retard et la régression du développement intellectuel chez les enfants abandonnés dans leur tout jeune âge pour une durée dépassant six mois, peuvent aller jusqu'au point de fournir l'image d'une imbécilité profonde. En effet, la fonction sociale la plus indispensable, c'est-à-dire le langage, est la plus atteinte, la faculté d'expression étant infiniment plus retardée chez ces enfants que la faculté de compréhension.
Dorothy Burlingham et Anna Freud signalent que des petits enfants anglais qui ont été placés pour des raisons de sécurité durant l'époque des bombardements, dans des institutions, loin de leurs parents, cessaient de parler, même s'ils avaient acquis un début d'expression verbale, mais que ce retard de la parole disparaissait très rapidement; ces auteurs rapportent que « lorsque les enfants sont en visite dans leurs familles, leur langage peut accomplir en deux ou trois semaines des progrès qui n'auraient été réalisés qu'en trois mois ou plus dans les pouponnières ».
Au cours de ses observations, Spitz étudie aussi les personnalités des mères elles-mêmes, et leurs rapports avec leurs enfants. Il constate que les résultats de la séparation étaient funestes seulement lorsque, au préalable, les rapports affectifs mère-enfant étaient bons; quand ils étaient au contraire franchement mauvais, et que la mère détestait ou maltraitait son enfant, la séparation provoquait une rapide amélioration de son développement psycho-moteur. Il ressort que ne pas aimer son enfant, ne pas s'appliquer à le sécuriser et le protéger, constitue une très grave imprudence; mais qu'en revanche la séparation peut être salutaire dans un pareil cas.
Spitz insiste sur le fait que de bonnes relations mère-enfant sont vitales pour tout le développement de la personnalité. La connaissance émotive précède toujours la connaissance réelle, logique. Ainsi, par exemple, à quatre mois l'enfant pleure quand sa mère le quitte. Ce n'est que deux mois plus tard, à six mois, qu'il pleure lorsqu'on lui enlève son hochet, et ce n'est qu'à huit mois qu'il commencera à distinguer les personnes connues et familières des étrangers.
Mais la carence de l'amour maternel ne se fait pas sentir seulement sur le premier développement de l'enfant. Elle se répercute sur toute son évolution ultérieure et peut donner lieu à une arriération mentale profonde allant parfois jusqu'à l'imbécilité.
Des contrôles de développement effectués ultérieurement et à plusieurs reprises chez des enfants ayant présenté à l'origine une carence d'amour maternel, soit qu'ils aient été élevés en pouponnière, soit qu'il n'aient pas reçu d'amour de leur mère, ont démontré que d'une manière générale ces enfants obtenaient de mauvais résultats scolaires et qu'ils présentaient surtout de grosses déficiences dans le domaine de leurs connaissances. Il faut manifestement rapprocher ces déficiences des baisses de niveau de développement et d'intelligence constatées dans les études directes des nourrissons d'institutions. De plus, les troubles du langage déjà signalés dans la plupart des études directes, persistent, et ces enfants ont non seulement des difficultés dans l'articulation (zézaiement, bégaiement, etc.), mais surtout dans l'expression verbale, ont un langage enfantin, élémentaire, peu élaboré.
Il en va de même lorsque la mère, fatiguée par les questions du jeune enfant avide de tout connaître, le rabroue sans cesse ou ne lui répond pas, ne prêtant aucun intérêt à ses désirs. L'enfant n'ayant plus d'aliment pour son intelligence en évolution, devient indifférent, n'a plus de curiosité intellectuelle pour le monde extérieur. Son développement stagne, peut même régresser à un stade moins évolué.
Des observations suivies de Goldfarb ont une valeur toute particulière à ce sujet, car cet auteur a pu choisir un groupe d'enfants placés en institutions depuis leur première enfance, et a pu les comparer à un autre groupe d'enfants ayant vécu dans leurs familles. Ces deux groupes, ayant eu le même niveau intellectuel au départ, présentaient une notable différence dans leur développement intellectuel, celui des enfants d'institutions s'abaissant progressivement de 10 à 40 %.
Des études encore plus importantes ont été faites par le Centre de recherches pour la sauvegarde de l'enfance de l'Université d'Iowa (U.S.A.) : Skeels note que le développement intellectuel des enfants placés en orphelinat dès leur premier âge décroît avec l'âge dans une mesure nettement plus grande qu'on ne l'observe dans des milieux très pauvres, où l'enfant ne reçoit aucune éducation familiale, mais où il reste en contact avec sa mère. Dans une étude ultérieure, il a démontré que le développement mental d'enfants de milieux sociaux inférieurs, issus souvent d'une mère débile, mais bien adaptés à leur milieu dans leur première enfance, s'est maintenu dans l'ensemble à un niveau supérieur à la moyenne du développement de la population jusqu'à l'adolescence.
Ainsi, l'intégrité des structures nerveuses ne suffit pas à assurer un développement normal et l'apport du milieu est prévalent, par les stimulations intellectuelles et affectives qu'il fournit. Un milieu éducatif valable ne peut se concevoir qu'individualisé et riche de possibilités d'échange et de chaleur affective. Ce sont avant tout les valeurs affectives équilibrées qui permettent à l'intelligence de se développer. Or, c'est la mère qui - durant de longues années - est la plus proche de son enfant pour établir ces relations.
Après l'exposé de ces faits précis, mais combien arides, j'aimerais vous parler des nombreux enfants qui, bien que vivant au sein de leur famille, bien que jamais séparés de leur mère, se sentent pourtant abandonnés.
Ce sont des enfants dont les exigences et les besoins affectifs n'ont pu être satisfaits à cause d'une mère non aimante, trop anxieuse ou affectivement absente. Ils se sentent toujours lésés et désécurisés dans leur milieu familial, ont souvent l'impression d'être rejetés de leur milieu. Ils n'ont pas eu les conditions d'élevage normales ou suffisantes de leur point de vue: ils ont été frustrés gravement de quelque façon que ce soit.
Mais si l'incidence sur l'enfant d'un milieu familial inexistant ou gravement déficient le marque d'une façon globale et caractéristique, l'enfant ne ressent pas nécessairement l'abandon. Souvent c'est un appauvri, mais ce n'est pas un exigeant, un assoiffé de soins: il n'aspire pas à un retour au sein maternel qu'il ignore. Son équilibre final est un équilibre déficitaire dont les traits généraux sont le caractère indifférent ou anti-social.
Les enfants présentant un sentiment d'abandon ont une attitude infantile de régression à un stade antérieur où l'enfant ne pensait qu'avec sa mère, attitude qu'il essaie de faire revivre chaque jour. La contamination de l'intelligence par cette affectivité infantile se fait rapidement, et la pensée reste magique, pré-logique. L'enfant ne peut se développer intellectuellement parce qu'il est dans l'impossibilité d'affirmer sa personnalité. Cette non-valorisation de soi, caractéristique chez l'abandonnique, fait qu'il doute de lui-même, ne s'estime pas digne d'être aimé du fait des angoisses d'abandon éprouvées antérieurement. Il présente une « mentalité de catastrophe », vivant sur le qui-vive et dans la peur, n'osant affirmer ses idées, n'osant entrer en contact avec la société, d'où diminution dans les connaissances et dans la socialisation.
Le besoin de sécurité est sans doute un besoin biologique fondamental nécessaire au premier développement normal de l'être, à la constitution de son unité personnelle. Et la non-satisfaction de ce besoin est une des menaces les plus graves qui puisse peser sur l'avenir de l'individu. Le sentiment d'abandon peut se manifester sous deux formes :
- soit par un « écrasement », un renoncement forcé à la satisfaction affective, dont la forme la moins névrotique est l'extinction du dynamisme de la personnalité : indifférence apparente, absence d'unité personnelle. La forme la plus névrotique est le repliement sur soi pouvant faire penser à une schizophrénie, avec impossibilité, peur ou refus inconscient d'établir des contacts sociaux normaux.
Cette réaction ne portant pas de conflit ouvert avec l'entourage, risque de passer longtemps inaperçue. Ces enfants sont traités de « mous », d'indifférents, de paresseux, que rien n'intéresse. Il n'y a plus lutte en eux, ils sont vaincus, n'ont plus de réaction autonome.
- soit par une agressivité qui semble avoir d'abord une valeur de revendication, de provocation en vue d'attirer l'attention de l'adulte, de forcer son intérêt, fut-il même négatif, ou de le mettre à l'épreuve pour se rassurer ; plus tard, l'agressivité prend une signification différente, elle rend l'entourage responsable de l'abandon. Ces réactions agressives entraînent fatalement une réprobation et une
culpabilité inconscientes qui se traduisent par un redoublement de conduite agressive amenant des sanctions encore plus lourdes de la part de l'entourage.
Les besoins intellectuels de l'enfant de 6 à 12 ans sont intriqués aux besoins affectifs. Par exemple, la lecture ; pour lire, il faut un certain niveau intellectuel, mais la lecture elle-même, lorsque les mécanismes en sont acquis, fait davantage partie des besoins sociaux et culturels. Lire ce qui a été écrit par autrui dans le but de le communiquer (besoin social) ; lire dans le but de s'instruire (besoin culturel). Il en est de même pour le langage et pour tous les actes de la vie quotidienne aidant au développement de l'intelligence.
Le raisonnement, chez l'enfant, peut être développé non seulement par le milieu scolaire, mais également par le milieu familial, qui doit être aussi riche que possible pour permettre à l'enfant de développer au maximum ses facultés intellectuelles. C'est en s'intéressant à lui et à son travail que l'enfant sera stimulé dans son avidité d'apprendre. La négligence des parents et surtout de la mère, qui ne s'intéresse pas aux études de l'enfant, qui ne le surveille pas, qui ne vérifie pas l'exécution des devoirs à domicile, est souvent cause d'un désintérêt total pour les acquisitions scolaires. L'enfant livré à lui-même n'est pas plus blâmé pour ses fautes qu'il n'est encouragé pour ses réussites. Il finit par se désintéresser de son travail parce qu'il ne rencontre pas d'écho affectif chez ses parents et spécialement sa mère, et il manque ainsi de stimulus. Il n'a plus de but dans son travail.
Mais uni intérêt mal dirigé est aussi néfaste qu'un désintérêt profond. Combien de parents, cherchant à se valoriser eux-mêmes à travers les succès scolaires de leur enfant, veulent en faire des poulains, des forts en thème, et pour ce faire les stimulent démesurément jusqu'à épuiser complètement leur propre personnalité. Ces enfants ne travaillent plus que « pour les moyennes », et non dans le but d'apprendre.
Il existe également une autre erreur, combien fréquente, consistant à ne jamais se montrer satisfait des résultats scolaires, même s'ils sont largement suffisants, dans l'espoir que l'enfant va chercher à améliorer ses résultats pour faire plaisir à ses parents. Mais l'enfant, ne recevant plus de satisfaction affective pour les rendements acquis, n'aura plus suffisamment d'énergie pour avancer et se perfectionner.
Très fréquente, actuellement, est l'adulation de l'enfant, conséquence d'idées mal assimilées sur la liberté et l'autonomie de l'enfant. Laisser à l'enfant sa liberté ne veut pas dire ne pas le diriger : entre le despotisme et la faiblesse des parents, il y a un juste milieu à observer.
Les besoins intellectuels de l'enfant de 6 à 12 ans exigent un « moi » représentatif, conscient et actif, dynamique. Ce « moi » ne peut s'établir sur le plan de la conscience que si l'évolution affective de la première enfance s'est faite normalement. Dans ce cas, c'est vers 7-8 ans que le « moi » s'enrichit de possibilités intellectuelles nouvelles : l'auto-critique se dessine, l'égocentrisme régresse. L'action se socialise et c'est l'âge « de raison ». La maîtresse du type maternel est rejetée et l'enfant préfère travailler seul une fois que les explications lui ont été données. Son « moi » s'hypertrophie et cherche à se réaliser en toute indépendance.
IV. CONCLUSIONS.
Nous pouvons dire que pour éviter les troubles du développement intellectuel par carence de l'amour maternel, il faut agir sur trois plans:
- Tout d'abord, la présence d'une mère aimante et sécurisante est indispensable. Une mère anxieuse, une mère ne désirant pas son enfant, va créer des troubles importants dans le développement intellectuel en désécurisant l'enfant et en supprimant les possibilités d'affirmation de son « moi ». Les abandonniques entrent dans ce groupe et ont dans la vie une impression de non-valeur.
- Fortifier le « moi » par un intérêt affectif perpétuellement présent de la part des parents et surtout de la mère, sans le stimuler démesurément, mais en montrant à l'enfant le plaisir qu'il nous apporte par son développement intellectuel.
- Créer l'autonomie de son « moi » en lui permettant d'investir ses intérêts dans ses camarades, dans ses maîtres, dans la société.
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