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Les gauchers sont-ils vraiment gauches ?
Drôle de question !
J'ai trois enfants, et deux sont gauchers, tout ce qu'il y a de plus gauchers. Ils dessinent, écrivent, découpent, mangent avec la main gauche le plus habilement, le plus dextrement, le plus gaiement, le plus légèrement du monde. Le résultat ne le cède en rien à celui qu'obtiennent les enfants qui se servent « normalement » de la main droite. Il est vrai que Martine et Vincent n'ont pas le moindre sentiment de n'être pas « comme les autres ». Ils ignorent le « complexe », pour la simple raison que personne ne le leur a donné. A la maison, le père et la mère, à l'école, une institutrice avertie et sans idées préconçues les ont laissés faire. Ils ne sont d'ailleurs pas les seuls gauchers de leur classe. En tout, ils sont cinq ou six sur une trentaine d'enfants, ce qui correspond assez bien aux statistiques qui décèlent un peu partout une proportion de 15 à 20% de gauchers. Evidemment, la majorité, les « normaux » n'ont pas manqué de s'étonner et de manifester leur surprise, à la manière des écoliers. On sait comment. L'institutrice, avec à-propos, a invité les droitiers à écrire et à dessiner de la main gauche. Le résultat a été pitoyable et, comme le renard de la fable, ils ont juré qu'on ne les y reprendrait plus. La moquerie a même fait place à une certaine admiration. Il se trouve - c'est peut-être un effet du hasard - que la poignée de gauchers figurent parmi les élèves les plus doués, que leurs dessins sont parmi les plus personnels, qu'ils opposent des cahiers sans taches à la rumeur qui veut que les gauchers soient des barbouilleurs.
Pour moi, la question est résolue : les gauchers ne sont pas gauches, ils n'ont rien « d'anormal ». Le « gauchisme » n'est d'ailleurs pas, comme on le pense un signe de dégénérescence de notre civilisation. Il est aussi répandu parmi les peuplades nègres que chez nous ; n'a-t-on pas retrouvé des outils de l'âge de la pierre adaptés aux gauchers ? En dépit de toutes ces assurances, je n'en reste pas moins inquiet. Mes deux gauchers d'enfants ne font qu'entrer dans la carrière scolaire. Les maîtres qu'ils auront demain les laisseront-ils faire ? respecteront-ils leur comportement naturel ? Useront-ils, cédant aux opinions reçues, de leur autorité incontestée et magique pour en faire des « droitiers », des élèves « normaux »? Ils leur rendraient le plus mauvais des services. On ignore encore trop ce que l'on peut appeler sans exagérer le drame des gauchers refoulés. Les psychologues savent aujourd'hui que nombre d'individus qui bégaient, d'inadaptés, de distraits, sont des gauchers que l'on a contraints de s'adapter à la règle de la majorité. Et sans raison. En effet, parmi les hommes qui ont laissé un nom dans l'histoire de l'humanité, on retrouve assez exactement la proportion de gauchers que nous venons de mentionner. Faut-il ajouter que des témoignages dignes de foi permettent d'affirmer que cette contrainte que je redoute a étouffé chez nombre d'enfants le talent qu'ils manifestaient pour le dessin ou quelque autre aptitude manuelle, qu'elle a rendu leur écriture impersonnelle? Et une écriture impersonnelle n'est-elle pas le signe d'un appauvrissement de la personnalité? et qui se manifeste dans toutes les activités de la vie?
Ne vaut-il pas la peine de réfléchir à ce problème ! Trop de parents, dans la crainte que leur enfant gaucher ne soit handicapé dans la lutte pour l'existence, contrecarrent sa disposition naturelle, provoquent inutilement des troubles psychologiques, des inhibitions, affaiblissent l'esprit d'initiative et aboutissent, en fin de compte, exactement au résultat qu'ils n'ont pas voulu. Avons-nous le droit, au nom d'un simple préjugé l'affirmation de la supériorité du droitier n'est pas autre chose de soumettre un être humain à une contrainte qui le diminue? Il vaut la peine de se poser cette question à une heure où nous sommes plus conscients que jamais des menaces qui pèsent sur les libertés individuelles.
Il est intéressant de signaler à ce propos, qu'à Genève, en 1955, le corps enseignant avait reçu les instructions suivantes:
« Enfants qui écrivent de la main gauche.
« Un enfant qui écrit de la main gauche, non par caprice, mais par nécessité d'ordre physiologique, ne doit pas être contrarié.
« En voulant obliger les enfants gauchers à suivre la règle générale, on risque de provoquer en eux des troubles physiques ou psychologiques graves.
« Les maîtresses de tous les degrés et particulièrement celles de 2ème enfantine et de 1ère primaire sont rendues attentives à ce danger. »
(Réd.)
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