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Périls méconnus
Quand dès le bas âge les enfants entendent vanter la richesse comme le plus grand des biens et l'économie comme la plus essentielle des vertus, on ne doit pas s'étonner de voir l'égoïsme, l'avarice et la cupidité se développer en eux.
On fortifie encore ces dispositions, en leur faisant des présents à la dérobée et en leur permettant d'en jouïr seuls et en secret. Les craintes continuelles pour l'avenir, la défiance envers les autres hommes, les jouissances accordées de mauvaise grâce sont autant de moyens pour développer ce défaut.
Il n'est pas rare de voir l'avarice et la lésinerie se perpétuer dans une même famille.
On pourra combattre ces tendances avec fruit, en enseignant par l'exemple une manière généreuse de penser et d'agir, en ayant confiance en Dieu tout d'abord, et dans les hommes aussi; tandis que tout moyen de s'enrichir, s'il n'est pas tout à fait honnête doit être condamné.
Il faut accoutumer les enfants à procurer des jouissances aux autres, et dans ce but leur donner quelque argent dont ils puissent disposer à leur gré, mais se garder de combler de bienfaits les enfants avares dans l'espoir illusoire de leur faire honte.
Hélas! on rencontre la disposition au vol et à la tromperie non seulement chez des enfants qui n'ont reçu aucune éducation ou ont été habitués à ces vices, mais même dans les milieux respectables.
L'habitude de manger des friandises rend parfois les enfants voleurs dans le seul but de satisfaire leur passion.
De graves attentats à la propriété d'autrui pourraient être prévenus, si les éducateurs se montraient très sévères vis-à-vis des premières atteintes à l'intégrité. Pourquoi n'appellerait-on pas voleur celui qui cueille des fleurs ou des fruits qui ne lui appartiennent pas? Celui qui foule aux pieds des épis ou qui endommage des choses qui ont coûté aux autres de l'argent ou du travail ? On est ordinairement très sévère contre le vol proprement dit et trop indulgent envers toutes ces autres violations de la propriété.
Persuadons-nous bien que le scrupule ne saurait être poussé trop loin à cet égard.
(Daprès Niemeyer).
Pour développer les idées émises dans cet article nous le faisons suivre d'un extrait des enseignements sur ce sujet adressés par le pédagogue F. W. Foerster à ses élèves et publié dans le beau volume « Pour former le Caractère », sous le titre :
Comment on devient voleur.
Vous lisez dans le Décalogue : « Tu ne déroberas point ». Vous l'apprenez par coeur avec les commandements de Dieu, et vous pensez : « Mais comment donc un homme peut-il se permettre de voler? » Puis, quand vous voyez passer la voiture cellulaire et des voleurs en descendre, vous les regardez comme des hommes d'une espèce tout à fait différente de la vôtre, et vous ressemblant aussi peu que les insulaires de l'Océanie, ou les Caraïbes que vous avez vus récemment dans quelque exposition. Mais ne l'oubliez pas: les voleurs ont été des enfants comme vous qui, à votre âge, ne dérobaient pas avec effraction à l'aide de lanternes sourdes. La seule chose que l'on pouvait observer chez eux était peut-être qu'ils n'avaient aucune force pour résister aux
appétits de leur gourmandise quand un mets les attirait, ou un dessert, ou un fruit savoureux, le désir de le posséder les dominait comme un mauvais charme. Ils voulaient l'acquérir à tout prix, et ils n'avaient aucun repos qu'ils n'eussent atteint leur but.
Je ne veux certainement pas supposer le pire et dire que tous les enfants gourmands doivent nécessairement finir par la prison. Non, n'exagérons rien. Il faudrait alors, convenons-en, plus de prisons que d'écoles... Mais il ne faut, en tout cas, jamais badiner avec la gourmandise...
Si l'un d'entre nous remarque qu'il est faible vis-à-vis de certaines friandises ou des pommes du jardin voisin, il ne doit pas se désespérer: au contraire. Celui qui s'examine soi-même, et prend conscience de sa faiblesse devient capable, par un exercice approprié, de devenir le plus fort justement parce qu'il emploiera les vrais remèdes, tandis que celui qui est insouciant laissera se développer ses mauvais penchants. Le premier peut se servir de cette passion pour les plats sucrés pour fortifier sa volonté. Je lui conseille de laisser traîner deux ou trois bonbons, quatre pralines, cinq fruits confits, ou n'importe quelles autres chatteries sur sa table de travail, et de s'obliger à les y retrouver intacts à la fin de la journée. Si l'on peut dresser un fauve comme le lion, qui ne sait rien de l'excellence de l'empire sur soi-même, à prendre une tête d'homme dans sa gueule sans même l'égratigner, comment à plus forte raison ne pourrait-on pas dresser un homme, qui n'est pas une bête sauvage, et qui sait bien à quoi sert une telle gymnastique pour l'âme et la volonté ? Il faut qu'il arrive à ne pas toucher aux choses dont il a envie, quand même elles sont continuellement à sa portée. Nous avons dit que par le mot dérober on n'entend pas seulement le vol, mais encore bien d'autres choses, par exemple frustrer, pour son propre avantage, un autre d'un gain légitime, revêtir, pour le tromper, des apparences de la justice, quand on n'a d'autre but que de lui enlever son argent ou son bien, faire de la réclame de mauvais aloi pour son commerce, etc. Enfin, on peut encore traiter de voleurs les gens qui s'entendent à extorquer l'argent des autres, en échange de marchandises avariées ou sans valeur. A l'âge où vous êtes, vous vous révoltez certainement tous contre de telles pratiques, et vous êtes décidés à ne jamais vous salir en vous y livrant.
Mais, pensez-y bien, le mal en grand vient du mal en petit. Peut-être n'êtes-vous pas bien sûrs que, en ce moment même, ne croissent pas en vous toutes sortes de mauvaises habitudes, qui aujourd'hui paraissent a peu près innocentes, et qui néanmoins vous entraîneront, à l'âge d'homme, à des actions qui, en ce moment, vous font horreur. Pas un enfant n'aurait l'idée de rogner sur le gain d'une pauvre maîtresse de piano. Mais nombre de petites filles et de petits garçons de votre âge se laissent entraîner par toutes sortes de convoitises: plus tard ils voudront gagner de l'argent, parce que l'argent permet de satisfaire ses penchants; puis cet argent, une fois gagné, ils y tiendront si ferme qu'ils oublieront les convenances sociales et même la compassion pour les souffrances d'autrui. Et un beau jour, on dira à la pauvre petite maîtresse de piano, tout exténuée de fatigue: « Hélas ! mademoiselle, nous ne pouvons pas faire beaucoup; ne pourriez-vous donner vos leçons à 1 fr. 25 ou à 1 fr. 50 ? ».
Quand on est étudiant, on ne paie pas la note de son cordonnier parce que l'on fait mentalement le calcul des bouteilles de bière dont il faudrait se priver! Si l'on est fabricant, on abaisse le salaire des ouvriers, on épargne sur le prix des assurances contre les accidents du travail, parce que cette économie permettra d'aller en Italie au printemps, ou parce qu'on ne veut pas diminuer le nombre de ses domestiques! Eh bien ! les gens qui font ainsi aujourd'hui ont été des enfants aimables et complaisants; seulement ils vivaient insouciants de mortifier leurs convoitises égoïstes, leur amour de la jouissance et leur gourmandise. Ils ne se refusaient rien; c'est pourquoi le plaisir des sens est devenu peu à peu le maître chez eux et leur coeur a perdu sa bonté...
Au contraire, celui qui exerce chaque jour sa volonté dans les petites choses se forge des armes pour le jour où la tentation cherchera à faire de lui l'esclave de son corps.
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