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L'accouchement sans douleur
Les lignes qui suivent sont des extraits d'une conférence faite à l'Ecole des Parents de Genève.
L'accouchement sans douleur est une question très à l'ordre du jour. On sait que plusieurs méthodes de préparation sont actuellement employées. La méthode anglaise du Dr Read est basée sur la relaxation et la gymnastique, alors que celle pratiquée à Paris et introduite en France par le Dr Lamaze est dite « pavlovienne » parce que basée sur les réflexes conditionnés.
La méthode du Dr Lamaze prépare à l'accouchement en plusieurs séances dès le septième mois de la grossesse. Deux sont réservées à des exposés sur la grossesse et l'accouchement ; d'autres, à des exercices de respiration à faire pendant la grossesse ou pendant les contractions lors de l'accouchement. Une importance particulière est donnée à la respiration car la bonne oxygénation de la mère est une chose capitale pour la bonne marche de l'accouchement. D'autres séances sont consacrées à des exercices de détente neuro-musculaire conscients et dirigés. Les dernières séances, enfin, traitent du comportement de la femme pendant la dilatation et l'expulsion.
Mlle Antoinette Picot applique, à Genève, cette méthode et il nous a paru intéressant de saisir l'occasion de son exposé fait à l'Ecole des Parents, pour en donner quelques échos à nos lecteurs.
Réd.
Que faut-il faire pour accoucher sans douleur ? Cela veut-il dire respirer correctement, faire de la gymnastique, connaître son anatomie à fond? Oui, un peu de tout cela - mais la base de la méthode est plus large encore, et plus profonde. Si étrange que cela paraisse, le cerveau joue le rôle principal. - C'est un savant russe Pavlov qui a ouvert la voie dans ce sens. Il a fait de grands travaux sur l'influence du cerveau - de toute notre activité nerveuse supérieure - sur nos organes internes (glandes, viscères, etc.). Il a montré que suivant les associations d'idées que nous avons dans notre cerveau, nous pouvons réagir physiquement d'une façon toute différente. Nous connaissons son exemple maintenant classique d'un chien qui se met à saliver à la vue de son plat de viande. Si, chaque jour, avant le repas, un coup de sifflet retentit, que se passe-t-il? Le chien se mettra à saliver déjà au coup de sifflet. Dans son cerveau, il y a un lien, une association : coup de sifflet = viande que je vais manger. On dira que le chien est conditionné au coup de sifflet qui est devenu pour lui un signal alimentaire.
N'avez-vous pas remarqué que votre enfant réagit de façon semblable lorsqu'il s'agite et trépigne si vous lui mettez une serviette autour du cou ? Il sait que vous allez lui donner à manger. Et même sans avoir vu son biberon ou l'assiette pleine, une liaison s'est faite dans son cerveau : serviette = nourriture. C'est ce qu'on appelle un réflexe conditionné.
Au cours de la préparation à l'Accouchement sans douleur, nous apprenons qu'il y a en nous des réflexes conditionnés qui nous jouent de vilains tours le jour de l'accouchement. Qu'y a-t-il dans notre cerveau ? des liaisons peu encourageantes en vérité ! Accouchement = moment difficile à passer. Contraction utérine = douleur (tant et si bien que la sage-femme nous accueillait autrefois en disant :« Vous avez des douleurs toutes les combien, Madame ?!»). Notre cerveau est imbibé de la conviction que l'accouchement est un phénomène douloureux. Et il y a toujours des récits d'amies ou de voisines ; ou des lectures terrifiantes qui fortifient en nous ces mauvais réflexes. Nous sommes sûres que nous aurons mal.
N'est-ce pas un peu la situation d'une personne qui reçoit un télégramme contenant une très mauvaise nouvelle. Qu'éprouve-t-elle alors ? Elle respire avec peine ; elle a mal à l'estomac ; elle a « les jambes de coton ». Pourquoi? puisqu'il n'y a pas de lésion interne? C'est que le cerveau a reçu un choc ; il est devenu un cerveau « faible ». Et alors, les sensations normales sont mal interprétées ; elles sont ressenties comme douloureuses. Le cerveau qui normalement ne ressent pas les sensations de tous les organes internes (estomac, intestins, foie par exemple) est devenu si faible sous le coup de l'émotion qu'il ne peut plus rien contrôler.
Autrefois, l'accouchement dès qu'il se déclenchait, faisait l'effet du télégramme ! La contraction utérine était non seulement une sensation mais une douleur.
Actuellement, l'accouchement est un acte de confiance. Je dis bien confiance et non absence de peur. Car il y a une certaine inquiétude normale. On ne va pas accoucher comme on va chez le coiffeur. C'est un grand événement et qui vous atteint au plus profond. Et quand une femme me dit qu'elle a peur, je comprends et je lui dis que c'est normal. Une femme qui accouche sans douleur, n'est pas une femme qui n'a jamais été inquiète mais elle a dépassé son inquiétude.
L'accouchement peut être sans douleur. N'est-ce pas exagéré dira-t-on? ne faut-il pas parler plutôt d'accouchement facilité? Non. L'Accouchement sans douleur existe. Enlevons ce terme ; et toutes nous souffrirons. Si nous n'y croyons pas, nous n'y parviendrons jamais. Il y a, bien sûr, les anomalies, certaines difficultés pathologiques, ou des préparations insuffisantes. Mais le but ne doit pas pour cela être dévalorisé ; il existe. On apprend dans un sens à accoucher comme on apprend à nager - et si l'on boit quelques tasses, ce n'est pas que la nage n'existe pas, c'est simplement que l'on n'a pas su apprendre ou que l'eau était trop agitée ! Même s'il y a des moments difficiles, la préparation est une grande aide. Comme disait une jeune mère: « Même si cela fait mal, ce n'est pas angoissant ».
A mon sens la question ce n'est pas tellement de n'avoir pas du tout mal ou plus ou moins mal. La grande découverte de l'Accouchement sans douleur, c'est que nous sommes maintenant actives; c'est de vraiment mettre notre bébé au monde (et non de subir sa sortie, si j'ose dire). L'accouchement est un acte et non une opération au sens chirurgical. Nous sommes réveillées, pleinement conscientes au moment de la naissance. Et toutes prêtes (normalement fatiguées et non épuisées comme souvent autrefois) pour accueillir notre enfant. Comme a écrit une femme: « Au cours de mon dernier accouchement, j'ai suivi activement la progression de mon enfant et je l'ai aidé, tandis qu'aux deux premiers, je n'avais eu de pensée que pour moi-même et ma souffrance ».
Et cette activité pour « recevoir » l'enfant, elle n'est pas seulement valable pour l'accouchement. La préparation peut aider avant et après.
La préparation est déjà une aide sur le plan de la solidarité. Beaucoup de femmes se préparent en groupe (5 ou 6 en général). Les impressions, les questions, les renseignements s'échangent. Et cette activité draine les « énervements » normaux qu'éprouve facilement une femme enceinte.
Et d'autre part, attendre un bébé éveille beaucoup de choses en nous. Et c'est normal. Ce n'est que dans la littérature que la grossesse peut signifier un événement de conte de fées poétique et charmant. Nous pouvons nous sentir anxieuses - ou trop dépendantes, passives - parfois un peu infantiles comme si on allait jouer à la poupée - ou à des moments agressives : cet enfant est une promesse, mais aussi une perturbation ! - Il est très normal de ressentir mille pensées chaotiques ou de passer par des états divers, parfois contradictoires. Cela n'a rien qui doive nous faire peur. Il n'y a pas à se sentir coupable. Il faut en parler - et la préparation nous aide à orienter nos tendances particulières et leur accentuation vers un sens positif. Non pas que la préparation soit la panacée qui nous guérira de nos difficultés, de nos contours caractériels trop marqués. Mais elle nous orientera, nous canalisera. Et ce sera un enrichissement.
Des mères diront peut-être : j'ai aimé mon enfant dans les heures de souffrance sauvage qu'il m'a données. Est-ce que je ne l'aimerai pas moins en accouchant sans douleur ? Non, il n'y a pas là une question de plus ou moins aimer. Il ne s'agit pas de quantité mais de qualité ; d'une relation que nous pouvons rendre plus juste, plus simple, plus rapide aussi avec l'enfant. Le fait de participer à la naissance n'est pas forcément en soi une expérience riche ; cela ne tombe pas du ciel - mais cela dépend de nous; de ce que nous voulons y mettre, de notre façon de le vivre. Et l'A.S.D. nous montre le chemin.
Le mari peut jouer un rôle capital dans l'Accouchement sans douleur. Autrefois le pauvre mari ne se sentait pas très fier! Il avait surtout l'impression d'être la cinquième roue du char !! Actuellement il en est autrement. Et l'accouchement peut demeurer pour le couple un lien étroit qui rapproche encore davantage - et qui est un lien en tant que mari et femme, et en tant que père et mère. Après un accouchement normal et heureux, la vie conjugale physique et affective reprend d'une façon positive. Il n'y a pas les impressions douloureuses d'un accouchement pénible qui rend l'épouse crispée et agressive pendant longtemps.
Et le bébé a tout intérêt à l'Accouchement sans douleur. Il est vrai que la méthode est jeune. On ne peut encore parler d'une façon précise des résultats bénéfiques pour l'enfant. Mais nous savons que la respiration - la bonne oxygénation de la mère est chose précieuse pour le bébé; que l'expulsion - moment où l'enfant franchit un canal étroit - est souvent plus rapide et se passe dans des conditions meilleures. Les bébés « sans douleur » ont en général un joli teint rose et un bon sommeil!! C'est l'avis général - à défaut de preuves scientifiques !
Je crois surtout que l'enfant né sans douleur peut avoir confiance dans sa mère. Si celle-ci est ouverte et sait tendre les mains, sa préparation et son accouchement auront été pour elle les premiers pas de l'éducation qu'elle va donner à son fils ou sa fille.
Elle saura être confiante envers lui comme elle a appris à le devenir au cours de la préparation. Elle saura peut-être plus facilement n'être pas inquiète à son sujet (comme elle a dominé l'inquiétude de son accouchement) ; elle l'aimera sans les liens et les souvenirs d'une souffrance qui submerge - elle se pardonnera les mouvements d'agressivité inévitables et normaux - et elle comprend que aimer, ce n'est pas pour soi - mais pour donner la vie et rendre libre.
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