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Une ligne grise à l'horizon
Du, Nachbar Gott, wenn ich dich manchesmal in langer Nacht mit hartem Klopfen störe.
Rainer Maria RILKE
Sur la grande plaine blanche, une ligne grise, à peine visible dans le crépuscule, barre l'horizon. Voilà le lac ! et, voyez-vous là-bas, dans ce coin, c'est la frontière ! L'auto cahote sur la route gelée. Nos yeux se fixent sur la ligne grise, nous avons froid et nous sommes tristes
Tout à coup nous croisons deux jeunes gens aux visages hagards, deux réfugiés qui ne sont pas encore sûrs d'avoir atteint la terre promise. Nous aurions dû nous arrêter, mais la voiture poursuit sa course ; nous voulons atteindre le camp avant la nuit pour voir ce soir encore la baraque offerte par les Unions chrétiennes suisses. *
A longueur de journée nous avons visité des camps et vu des milliers de réfugiés. Le personnel de la Croix-Rouge et les directeurs de camps ne pouvaient comprendre pourquoi nous refusions de voir la cuisine, le réfectoire, l'infirmerie ! ! ! Nous n'avons que trop visité de cuisines au cours des onze années de travail en Autriche dans les « services d'aide aux réfugiés des deux Alliances mondiales d'Unions chrétiennes féminines et d'Unions chrétiennes de jeunes gens » (YMCA/YWCA services to Refugees).
Nous longeons la forêt et glissons dans un grand silence, essayant de retrouver un peu de paix avant de toucher le dernier camp, un camp tout isolé à plusieurs lieues d'un train ou d'un autobus. 2 600 Hongrois ! La baraque - notre baraque - est pleine à craquer : dans le grand hall des hommes jouent aux échecs, d'autres feuillettent de vieilles revues, d'aucuns encore méditent devant une grande carte affichée contre le mur. Sera-ce le Canada ? l'Australie ? les Etats-Unis ? Y a-t-il pour eux, quelque part dans le monde, encore une possibilité d'avenir ? Dans un coin, une jeune femme est assise seule, perdue dans ses pensées : « où est le mari ?» le reverra-telle ?
Dans l'une des deux petites pièces, une réfugiée donne une leçon d'anglais à un groupe de gens appliqués. A la paroi, l'horaire : deux leçons d'allemand chaque jour ; trois leçons d'anglais ; cours pour débutants, cours supérieurs.
De 14 à 15 heures les enfants peuvent venir jouer ; et parfois les garçons envient les fillettes car poupées et trousseaux sont souvent plus amusants que leurs jeux. A certaines heures les femmes peuvent utiliser la machine à coudre et faire leurs raccommodages. Une jeune diaconnesse allemande, qui parle le hongrois dirige le foyer ; elle travaille de 8 heures du matin à 10 heures du soir ; elle est lasse, mais tient bon. Elle connaît la vie et ses vicissitudes car elle a travaillé deux ans dans les mines de Sibérie ! Les gens viennent à elle en toute confiance, lui posent toutes sortes de questions, demandent un lexique, un dictionnaire, de la laine à tricoter et du papier à écrire
Pierre, un garçon de 14 ans, l'aide de son mieux, il prépare une séance de cinéma pour ce soir ; son rêve serait de posséder un réveille-matin suisse ! ! !
Lorsque nous sortons, il fait nuit. Petits points noirs mouvants sur la neige blanche, les réfugiés affluent de tous les dortoirs et se dirigent vers le « foyer unioniste ». C'est l'heure des nouvelles à la radio
quelles seront-elles ce soir ?
Nous quittons « Schwester », l'auto s'éloigne. L'entretien s'anime entre nous. Nous parlons de la tâche immédiate : du nouveau foyer suisse que nous ouvrirons demain dans la Haute-Autriche, du foyer donné par les unions britanniques qui sera inauguré le surlendemain près de Vienne, des six autres qui seront bientôt prêts et des 25 « centres » qui doivent être installés ou réparés sur tout le territoire autrichien. Mais tandis que nous additionnons machines à coudre, lexiques, dollars et schillings, tandis que notre imagination cherche où l'on pourrait trouver les collaborateurs pour ces tâches si lourdes, notre esprit erre le long de la frontière, suivant ceux qui marchent à travers les champs glacés et les bois, dans la terreur et l'angoisse, ceux qui n'atteindront jamais « la ligne » et qui disparaîtront pour toujours
C'est parfois, une grâce redoutable que d'avoir vu et de savoir. Resterons-nous silencieux ou heurterons-nous lourdement à la porte du Seigneur ?
Pouvons-nous réellement croire que Dieu dirige réellement toutes choses, au ciel et sur la terre ? Dans le secret de notre coeur nous ne pouvons murmurer qu'une seule prière : « Amen Seigneur Jésus, viens ».
* Les Unions chrétiennes féminines et les Unions chrétiennes de jeunes gens ont envoyé et équipé la première baraque utilisée en Autriche pour le travail parmi les réfugiés Hongrois.
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