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Comment aider l'adolescent
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Il est nécessaire de maintenir un contact profond de l'esprit et du coeur avec la jeunesse, ce qui est particulièrement difficile parce qu'en même temps, il faut savoir accepter de perdre ce contact en apparence : nous ne pouvons plus exiger d'être au courant de tout ce qui concerne nos enfants et pourtant, malgré l'ignorance des détails, il est possible de maintenir un lien profond entre parents et enfants. On n'y parviendra que par un respect véritable de l'individu, de sa pensée, de sa sensibilité, de ses secrets. C'est parfois en respectant les secrets qu'on obtient le plus facilement de les connaître; cette attitude ne doit pas être dictée par un machiavélisme retors, mais par le désir de faire régner une plus grande confiance ; ici, contrairement au précepte, on a parfois intérêt à ne pas demander pour recevoir.
Ce respect de la personne de l'adolescent, qui est la seule façon d'avoir accès à ses pensées, ne doit pas être pris pour de l'indifférence ; il ne s'agit pas non plus d'abdiquer toute autorité et toute responsabilité, mais uniquement de laisser à l'adolescent la responsabilité de son comportement dans tous les domaines de sa vie qui le concernent seul.
La conversation avec un adolescent n'est possible que sur un certain plan. Or, il est très difficile pour les parents qui se trouvent avec leur enfant devenu adolescent, d'arriver à bavarder sans préoccupations éducatives, ou du moins sans conserver une attitude éducative un peu guindée. Beaucoup de parents, quand ils parlent avec leurs grands enfants, ont toujours un peu le sentiment qu'ils doivent conseiller, ce qui est peut-être méritoire mais risque d'éloigner l'adolescent. Si, devant la cathédrale de Paris par exemple, on dit à un adolescent, avec une étrange insistance: « Admire la beauté de ce monument » (alors qu'avec toute autre personne on se contenterait d'admirer en silence), notre auditeur aura, bien entendu, envie de répondre par une moue dédaigneuse ! Cette façon pseudo-pédagogique de diriger l'admiration ne fait que mettre des distances entre l'adolescent et l'adulte. C'est à quoi il faut renoncer si nous voulons être écoutés: les sentences, les principes, les moralités, tout cela n'est plus de mise car l'adolescent se rendrait compte, qu'on veut le traiter en enfant. Ce n'est pas à dire que ces principes soient mauvais, mais ils doivent être « sous-entendus » pour être « entendus »: l'adolescent admet mieux les principes de ceux qui l'entourent si ces derniers n'appuient pas trop lourdement; sinon il ferme ses oreilles, son esprit, son coeur, et va chercher des directives ailleurs.
Les principes vécus valent mieux que les principes énoncés, il faut toujours se le rappeler, et les moralités latentes valent mieux que les moralités démontrées et clamées. L'absence d'emphase est de la plus haute importance : l'adolescent a parfois de l'emphase mais il peut l'accepter venant de lui-même tandis que chez l'adulte, il ne la pardonne pas. Au contraire, un certain cynisme peut lui plaire mais il ne faut non plus prendre par démagogie un ton crapuleux pour le séduire. Il est des gens qui se forcent à employer des mots grossiers en croyant qu'ainsi les adolescents les traiteront en « copains ». Mais l'argot ne suffit pas à créer un lien de confiance mutuelle.
En revanche, il convient d'admettre le cynisme de l'adolescent qui n'est souvent qu'une forme de la sincérité, et surtout de distinguer le cynisme en paroles et le cynisme en actes : autant le cynisme des paroles doit être accepté dans une large mesure, autant le cynisme du comportement mérite parfois d'attirer notre protestation.
Il faut surtout être capable de ne fuir aucun sujet, si scabreux soit-il, rester objectif ou du moins s'efforcer de le rester, en disant son avis sincère et non un « avis pour usage éducatif ». Dire vraiment ce que l'on pense est d'ailleurs le plus difficile, mais aussi le plus utile. Lorsqu'on est sincère, on peut se faire entendre de l'adolescent et garder un certain crédit auprès de lui. En somme il faut être vis-à-vis de lui, dans un état de disponibilité affective et intellectuelle constante, pour que la porte soit toujours ouverte à la conversation, même si cette porte ouverte n'est pas toujours franchie.
Un autre honnête moyen d'influence consiste à avoir de l'adolescent une image qui le valorise. Sans même que nous en parlions, l'image que nous nous faisons de l'adolescent, agira puissamment sur lui.
Je me souviens d'une personne qui semblait toujours penser que les enfants étaient gentils et ne doutait jamais de leur bonne volonté. Effectivement, elle obtenait d'eux tout ce qu'elle voulait. Au contraire, bien des parents donnent un ordre en pensant: « Il ne l'exécutera pas ». Leur doute se perçoit aux modulations mêmes de leur voix et l'enfant est ainsi incité à désobéir.
L'image que l'on se fait des gens les modèle.
Quand on dit à un enfant qu'il ressemble à l'oncle Oscar qui était un criminel ou un escroc, on le pousse à devenir semblable à l'oncle Oscar, alors que sans cette généralisation dont nous sommes responsables, il ne lui aurait ressemblé que par quelques traits de caractère. Il est donc dangereux de structurer ainsi une situation. Quand on a devant soi l'image d'un adolescent qui se développe, devient autonome, mûrit, évolue dans sa faculté d'aimer et devient vraiment un adulte, si on le traite comme tel et s'il se rend compte que l'on attend justement de lui qu'il ressemble à cette image favorable, on l'aide beaucoup plus efficacement que par un excès de principes et de morale qui, généralement suscite des réactions d'opposition. L'adulte est un miroir et l'image qu'il renvoie à l'enfant a une influence créatrice ou destructrice suivant les cas: c'est dire le danger de traiter l'adolescent en enfant incapable ou en criminel virtuel.
L'adolescent est un adulte qui n'est pas encore sûr de l'être et qui peut prendre parti pour ou contre l'état d'adulte que nous lui proposons. Il est donc très important que notre attitude toute entière valorise cet état d'adulte, cette maturité de jugement, de comportement, de sensibilité.
*« Comment aider l'adolescent à atteindre la maturité affective », Dr A. Berge : Le métier de parents. Ed, Aubier, Paris, 1956.
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